Comme on l’a vu, la métaphore qui inspire les récits de conversions des divinités locales est souvent celle de la soumission sexuelle. Dans ces récits, le bouddhisme est fondamentalement mâle, tandis que les cultes locaux sont souvent féminisés. La question des rapports du bouddhisme et des femmes constitue un autre cas de dissonance entre la théorie et la pratique.

L’histoire commence d’ailleurs assez mal. La tradition rapporte que le Bouddha refusa initialement, dans l’ordre qu’il venait de fonder, sa propre tante et mère adoptive, Mahâprâjapati. C’est après l’intervention réitérée de son disciple et cousin bien-aimé Ânanda que le Bouddha aurait fini par consentir à accepter l’ordination des femmes, non sans imposer à celles-ci quelques règles particulièrement sévères (en raison de l’extrême imperfection féminine). En outre, il prédit que, du fait de leur présence, la Loi (Dharma) bouddhique était condamnée à décliner au bout de cinq siècles.

En théorie, le principe de non-dualité si cher au bouddhisme Mahâyâna semble pourtant impliquer une égalité entre hommes et femmes. Dans la réalité monastique, les nonnes restent inférieures aux moines, et sont souvent réduites à des conditions d’existence précaires. Avec l’accès des cultures asiatiques à la modernité, les nonnes revendiquent une plus grande égalité. Toutefois, leurs tentatives se heurtent à de fortes résistances de la part des autorités ecclésiastiques. Tout récemment, les médias ont rapporté le cas d’une nonne thaïe physiquement agressée par certains moines pour avoir demandé une amélioration du statut des nonnes.

Le bouddhisme a par ailleurs longtemps imposé aux femmes toutes sortes de tabous. La misogynie la plus crue s’exprime dans certains textes bouddhiques qui décrivent la femme comme un être pervers, quasi démoniaque. Perçues comme foncièrement impures, les femmes étaient exclues des lieux sacrés, et ne pouvaient par exemple faire de pèlerinages en montagne. Pire encore, du fait de la pollution menstruelle et du sang versé lors de l’accouchement, elles étaient condamnées à tomber dans un enfer spécial, celui de l’Etang de Sang. Le clergé bouddhique offrait bien sûr un remède, en l’occurrence les rites, exécutés, moyennant redevances, par des prêtres. Car le bouddhisme, dans sa grande tolérance, est censé sauver même les êtres les plus vils…

BERNARD FAURE

Professeur à l’université de Stanford, Californie. Auteur notamment de Bouddhisme , Liana Levi, 2001 ; Bouddhismes, philosophies et religions , Flammarion, 1998.

Bernard Faure