Voici le nouveau livre de Jean-Marc Mantel. Vous y trouverez de nouveaux dialogues sur la quête de vérité et la nature de la réalité, classifiés par thèmes. Préface de Nicole Montinéri..

Extrait : La conscience

Face à ce vieux Tcheng qui essaie d’aider les têtes chauves à reprendre contact avec l’esprit originel, des questionnements me sont venus concernant la pertinence de garder et vivre avec cette mémoire retrouvée de l’origine qui est rien et tout à la fois. Une fois retrouvé ce qui, en Moi (en Soi), ni ne varie, ni ne meurt, que puis-je en faire ?

Est-ce cela qui ni ne varie, ni ne meurt, qui pose la question ? Ou bien est-ce la personnalité qui cherche une sécurité dans un savoir stable, dans un objet auquel elle puisse s’accrocher ?

Si je suppose que ce que le vieux Tcheng appelle « l’esprit originel » est aussi appelé « le plérôme » par C.G. Jung ou « le néant » par Maître Eckhart, le premier dit :  » réfléchir à l’esprit originel est votre poison « , le second dit dans les sept sermons aux morts : « il est inutile de réfléchir au plérôme », et le troisième dit dans son sermon n°11 : « tout ce qui est néant doit être enlevé et si caché qu’on ne doit même jamais y penser », la cervelle boiteuse que je suis a beau ne plus penser à l’esprit originel, c’est l’esprit
18originel qui s’immisce en moi avec tout le vide qui prend toute la place dans mon esprit. Que puis-je faire de ce vide que je suis ?

Le vide n’est connu que par le plein. Comment pourriez-vous parler du vide sans vous référer à votre nature pleine ? Voyez donc le vide en tant qu’objet. Vous ne pouvez être objet de votre propre observation, mais ne pouvez observer que ce que vous n’êtes pas.

Qui puis-je être ici avec cette mémoire retrouvée ?

Être est sans mémoire. Il est la source de toute idéation, n’étant pas une idée par lui-même. C’est de lui que jaillit la pensée, c’est en lui qu’elle meurt. Contemplez donc ce ballet qui se déroule en vous. Si vous étiez le danseur, vous ne pourriez le voir danser. Si vous étiez le spectateur du danseur, vous ne pourriez non plus vous voir. N’étant ni le danseur, ni le spectateur du danseur, ce que vous êtes brille comme la lumière du soleil, sans que nul ne puisse vous saisir.

Rien à atteindre, rien à posséder… Que devient alors ma conscience ?

Le devenir concerne l’objet. Le connaisseur du devenir est sans devenir. La conscience, connaisseur du monde, est libre du monde. Elle n’est ni ceci, ni cela. N’étant ni ceci, ni cela, que pourrait-elle bien devenir ? Ne peut devenir que ce qui a une forme. Que peut bien devenir ce qui n’a pas de forme ?

Quel est le but de ce fonctionnement conscient qui caractérise ma condition d’être humain réflexif ?

Si on voulait chercher un but, on pourrait dire que le but est d’être vous-même votre propre but, comme l’archer qui chercherait à atteindre ce qu’il est, renonçant à atteindre ce qu’il n’est pas. L’arc et sa flèche lui tombent alors des mains, et la grâce le saisit dans ce mouvement d’abandon.

Si rien ne peut être dit sur l’esprit originel, que signifie cette barrière ?

Lorsqu’on parle d’une chose, on ne parle pas de la chose elle- même mais de sa représentation que notre mental a construit.
Ainsi, rien ne peut être dit concernant le silence que vous êtes. Le nommer, c’est s’en éloigner. L’habiter, c’est ne pas en être séparé.

Qu’y a-t-il au-delà ?

L’ici est sans au-delà. Vous et vous êtes une seule et même réalité. Il n’y a pas deux vous. Bien que le même acteur puisse prendre des visages différents, il reste toujours identique à lui-même.

Oui, l’esprit originel est constamment avec moi, sans que je sois toujours conscient de sa présence. Sans l’avoir cherché, il s’est manifesté et s’est rappelé à moi dès mes 12-13 ans. Ce vide impénétrable faisait entrer l’adolescent que j’étais dans une terreur indescriptible. Avec un peu plus de connaissance, j’ai pu me rappeler qu’il était question de l’origine de l’être incarné que je suis. Puisque j’ai en conscience cette origine innommable, que peut devenir l’homme qui vit dans/avec l’esprit originel ?

Ne dénaturez pas cette expérience primordiale en la conceptualisant. Restez immergé dans la fraîcheur de l’incréé. La mémoire de l’expérience n’est pas l’expérience elle-même. Laissez la mémoire vous quitter. Le neuf ne peut habiter l’ancien.

Que devient l’esprit originel dans/avec l’homme que je suis aussi ?

Lorsque le marionnettiste ne se confond pas avec la marionnette qu’il anime, il n’est pas esclave de ses apparences. Il se sait être, avant toute apparition. Acceptez donc votre corps, votre mental et votre personnalité comme des émanations de ce que vous êtes, mais non pas comme la réalité elle-même. La mère ne peut jamais aussi bien accomplir sa fonction que lorsqu’elle en est libre, qu’elle ne se réduit pas à la fonction mais se sait être globalité.

Si la seule signification de l’existence, c’est d’être clairement dans l’esprit originel, où cela peut-il mener ? Il n’y a pas de secret concernant l’esprit originel, seulement de l’oubli.

Il n’y a nulle part où aller. Pour que vous puissiez aller quelque part, il faudrait que vous soyez divisé. Or, vous n’êtes qu’unité. Où que vous alliez, vous restez toujours vous-même. Dans le sommeil profond, dans le sommeil de rêve et dans l’état de veille,
vous êtes toujours unique réalité. Rien ne peut perturber ce que vous êtes. Les états se succèdent en vous. Comment pourriez-vous vous succéder à vous-même ?

Peut-on qualifier la conscience d’énergie ? Nous-mêmes, une fois sortis du contexte corps mental, serons-nous énergie ?

Tout dépend ce qu’on entend par énergie. Mais, en principe, ce terme est utilisé pour décrire des phénomènes observables, directement comme la lumière de l’ampoule, ou indirectement, comme l’électricité qui permet à la lumière de se manifester.

La conscience, regard qui contient le monde phénoménal, échappe à toute description. On peut décrire ce qui a une forme, mais non ce qui n’en a pas.

Cherchez ce que désigne le « nous-mêmes » dont vous parlez. Remontez à la source du je. Voyez, dans votre propre esprit, ce qui précède la naissance de la pensée je, et immergez-vous en cela. Rien ne peut remplacer l’expérience directe. L’on-dit nourrit le mental conceptuel, mais ne peut vous transmettre la saveur de ce vers quoi pointe le concept.

Je ressens bien cela, en effet, c’est innommable, impalpable… Je souhaiterais véritablement m’immerger dans Cela, car, pour le moment, ce n’est que furtif… Le temps de ressentir et c’est déjà parti. Y a-t-il des techniques, une marche à suivre, un chemin ? « Se fondre dans la conscience », est-ce une notion qui pourrait traduire cette recherche ?

Votre désir d’immersion en Cela vient de Cela que vous êtes déjà. Vous ne faites que chercher ce que vous êtes. Tout effort pour atteindre Cela ne fait que vous en éloigner. Portez attention à ce que vous n’êtes pas : projection, idée, pensée, croyance, opinion. « Ce que vous êtes » se révèle lorsque « ce que vous n’êtes pas » vous quitte. Être est l’ultime résidu, cela qui ne peut être enlevé alors que tout vous a quitté, y compris le vous qui est lui-même quitté. Sans vous, vous êtes. Vous ne pouvez même pas vous fondre avec ce que vous êtes. L’or fondu n’est-il pas toujours de l’or ?

Vous dites : « par mégarde, on localise la conscience dans le corps ». C’est un point clé, n’est-ce pas ? Comment prouver aux rationalistes cette méprise ? Pour eux, la conscience n’est qu’un produit du fonctionnement cérébral. Doit-on chercher du côté des OOBES (Out Of Body Experiences) pour prouver la chose ? Ou bien, à un certain niveau de fusion dans la source, des preuves, du type de la clairvoyance, se présentent-elles spontanément ?

C’est en effet un point clé. La conscience elle-même, libre de projection, se réfléchit dans le corps. Le corps donne alors l’impression d’être le dépositaire de la conscience, alors qu’il n’en est que sa réflexion. Cruelle erreur qui entraîne toutes les conséquences que chacun connaît.

Le désir de prouver peut aussi être abandonné. La rose a-t-elle besoin de demander à tous de humer son parfum ?

Ceci dit, et c’est ce qu’on peut constater à l’heure actuelle, les témoignages innombrables finissent par ébranler les convictions les plus ancrées.

Puisque vous évoquez le sujet, au récent congrès de Martigues sur les NDE (near death experiences = expériences de mort imminente), un professeur de cardiologie, hollandais je crois, a montré comment des êtres enfoncés dans un coma avec un tracé EEG (électro-encéphalogramme) plat, signe de mort clinique pour la médecine actuelle, non seulement sont sortis du coma, mais ont pu raconter la totalité de ce qui s’est passé quand ils étaient comateux, y compris dans la période avec EEG plat. L’effrayant constat qui s’est alors imposé à eux est : « la conscience n’est donc pas localisée dans le cerveau »…

Les meilleures preuves sont finalement votre vécu, votre aptitude à vivre les circonstances changeantes et imprévues dans une tranquillité stable et une joie saine.

La vie est l’instructeur. Elle met en place les circonstances parfaites pour réveiller les endormis, que ce soit par un chant mélodieux ou par des piques douloureuses. Elle œuvre à sa manière et avec sa propre intelligence. Toutes les illusions
résiduelles seront donc tôt ou tard nettoyées par ce grand « Kärcher » qu’est la vie, qui brise les mirages et ramène à elle les brebis égarées.

Si j’ai bien compris, nous sommes conscience et sommes tous reliés entre nous, avec la nature, les animaux, etc. Cependant, quelque chose me gêne : il ne me plaît pas d’être reliée avec un criminel, par exemple… Vous allez peut-être me dire qu’il faudrait ressentir son « essence », son « je ». Mais justement, qu’en est-il des personnes criminelles, défiant la Vie de cette façon ? Peut-on dire que c’est un cheminement comme un autre ?

Qui est gêné ? N’est-ce pas le moi, avec son système conditionné de préférences, qui fait obstacle à l’évidence de la réalité ?

Un seul vent pousse les deux bateaux vers l’est et l’ouest, une seule vie anime le corps et la tumeur qu’il héberge, une seule eau constitue le fond silencieux de la mer et ses vagues agitées, une seule lumière habite l’ampoule poussiéreuse et l’ampoule transparente, une seule présence anime l’assassin et l’assassiné.

Du point de vue de la vie, tout est vie. Accueillez cette possibilité et voyez ce qu’elle évoque en vous. Laissez-la agir comme le ferait un sachet de thé plongé dans l’eau bouillante.

Ma question porte sur ce qui ne change pas. D’aussi loin que je remonte dans mon histoire, il y a une « sensation » d’être qui a toujours été là, identique. Mais avant le « aussi loin que je remonte », était-ce le même vécu, non mémorisé alors (juste vécu) ou bien y a-t-il eu « chute » ?

C’est en fait l’histoire du je qu’il convient de remonter. Ce je émerge dans la vacuité de la conscience. La vacuité de la conscience précède donc la naissance du je. Parler de vacuité est parler d’une qualité. Mais quelle qualité peut bien avoir cela qui est sans qualité ? Les mots arrivent là à leur limite. Ils pointent vers une réalité, mais ne servent qu’à orienter le regard. Le regard orienté vers lui-même est comme suspendu. Il ne peut aller nulle part, ni devant, ni derrière, ni dehors, ni dedans, ni en haut, ni en
bas. Pour lui, il n’est point de chute, puisque aucun lieu ne le contient.

Qu’est-ce que la conscience-sujet ? Quelle est sa relation au vide ?

La conscience-sujet est cela que vous êtes, à chaque instant.

C’est de ce point de vision que vous percevez le corps, le mental et la personnalité.

C’est parce que la conscience-sujet n’est ni le corps, ni le mental, ni la personnalité, qu’elle peut les percevoir.

Le vide lui-même est perçu par elle. De ce fait, la conscience ne peut être assimilée au vide.

Jean-marc Mantel