En 2009 et 2010, j’ai écrit tout un tas d’articles sur le new age, et je n’y suis pas revenu depuis. Il me semble que le moment est venu d’y revenir succinctement et de faire une petite mise au point.

Première chose, je ne reviens pas sur ce que j’ai pu dire à l’époque. Je considère toujours le mouvement new age comme une nébuleuse qui fait la promotion d’idées fausses souvent teintées d’inculture et de puérilité. J’ai aussi dit qu’il n’y avait pas que du mauvais dans le new age. C’est une évidence. Je ne tiens pas à tomber dans le même piège manichéen dans lequel tombent précisément les tenants des théories new age, avec leurs croyances simplistes et binaires du combat de la lumière contre le mal.

Le new age a le mérite notamment de populariser toutes sortes de connaissances ésotériques anciennes provenant de toutes sortes de traditions.
Mais ce mérite est aussitôt annulé par le fait que cette vulgarisation s’accompagne d’une telle paresse dans l’abord de ces connaissances, que celles-ci se transforment en ignorances de masse. Les gens apprennent des choses sur les chakras, sur le Grand Esprit, sur les mythes, sur l’alchimie, et puis ils approfondissent si peu que ces connaissances prennent la forme effective d’une ignorance.

Cela ouvre la porte à un nouvel obscurantisme de masse dans lequel chacun peut se croire éclairé, alors qu’il est en fait aveuglé par des connaissances superficielles dont il ne sait que faire. Ce qui est doublement pernicieux.

Le new age n’a pas combattu l’obscurantisme hérité de l’époque de l’inquisition, il l’a seulement importé, se l’est approprié et au final on en est toujours au même résultat : les esprits éclairés sont toujours aussi rares, et ce sont ceux qui font l’effort de ne pas en rester aux théories exposées, mais qui les expérimentent, les explorent profondément et les mettent à l’épreuve pour en valider les aspects justes et vérifiables, et en écarter l’ivraie. Travail que très peu de gens font, soyons lucides et honnêtes.

Outre cela, la nébuleuse new age est surtout une tentative de réponse à la déshumanisation ambiante, et en tant que tel, c’est un phénomène réactionnaire. Par conséquent, c’est un mouvement dont le moteur est essentiellement l’angoisse. La spiritualité vraie n’a pas pour moteur d’éteindre ou de lutter contre l’angoisse.

Il s’agit d’une démarche plus profonde, et détachée des contingences des époques ou des pensées à la mode…

C’est une démarche universelle et intemporelle dont il est stupide de croire qu’une mode va la renforcer. Si les individus ne saisissent que ce qui est véhiculé par l’époque en termes d’ésotérisme ou de spiritualité, ils feront toujours partie d’une masse asphyxiante et angoissante qui, au final, leur dicte ce qu’ils doivent croire. En cela le new age n’est en rien différent d’une religion.

C’est la religion de l’époque libérale, celle où l’individu choisit une spiritualité à la carte, en mettant de côté les éléments qui ne l’arrangent pas.

C’est donc une pseudo-spiritualité, qui a tous les caractères de contrôle social que les religions ont toujours eu, et qui n’a pas d’intégrité, puisque chacun peut y prendre sa part et rejeter tout le reste, sans nécessaire souci de cohérence globale.

Il est d’ailleurs à noter que les représentants des philosophies spirituelles amérindiennes et orientales, souvent récupérées par la nébuleuse new age, sont les premiers à critiquer fortement les dérives de ce mouvement, et les incompréhensions et déformations qu’il amène dans ces systèmes de croyance.

Comme je l’ai dit aussi à l’époque, le new age s’intègre en réalité parfaitement avec les dérives individualistes et libérales de notre époque, auxquelles il participe directement, en le facilitant, en s’insérant dans le coaching d’entreprises, et en fournissant des légitimations idéologiques au système déshumanisé dans lequel il s’inscrit.

Certains parlent même du new age comme d’un complément idéologique parfait au capitalisme, ce en quoi je ne saurais les contredire… Le new age est donc tout sauf l’antidote à la déshumanisation moderne. C’en est l’un des instruments privilégiés, et l’un des plus pervers.

Certaines définitions fort complaisantes de l’idéologie new age nous expliquent que ce qui importe dans le new age n’est pas la vérité de ce qu’il énonce, mais la beauté qu’il propose. Soit. Qu’on m’explique donc quelle beauté il y a à infantiliser l’espèce humaine en prétendant qu’elle est fille de races extra-terrestres supérieures qui interviendront pour la sauver de ses problèmes écologiques, par exemple ?

Il s’agit d’une idéologie de déresponsabilisation, et c’est très moche. C’est aussi très cohérent avec certains éléments de notre politique écologique qui fournit à certaines multinationales des droits à polluer sous forme de taxes… Tout cela se tient parfaitement, et rien de tout cela ne contribue à faire avancer les choses.

Petite parenthèse, à l’époque je vous avais justement parlé d’une certaine Kiesha qui se prétendait réincarnation d’une grande chamane… Que nous promettait-elle en 2009 ? Précisément qu’en 2010 ou 2011, les extra-terrestres viendraient sur Terre, et feraient disparaître magiquement tous nos problèmes écologiques et nos conflits sociologiques.

Entre temps, j’ai aussi appris par la bouche d’une autre personne qu’un dieu à deux têtes et quatre bras viendrait bientôt chez nous dans un grand vaisseau spatial et dissoudrait toutes nos armes… Bon. Nous savons tous ce qu’il en est réellement. Je me suis demandé ce que devenait cette Kiesha, après l’échec patent de ses prédictions.

Et bien elle a rejoint la grande cohorte de ceux qui nous promettent un très grand changement à la date du 21 décembre 2012. En ce qui la concerne, elle a clairement affirmé qu’il y aurait de très grandes catastrophes et que cela serait très dur, mais que cela serait bénéfique par la suite.

Ces gens ont toujours une solution de recours pour expliquer leurs échecs, et sur youtube leurs vidéos (que je vous laisse chercher, car je ne veux plus faire de « publicité » à ces gens) dépassent les 90% à 95% d’appréciation.

Personnellement cela me sidère et me terrifie. Je vous donne rendez-vous après la date fatidique, disons début 2013, pour faire le point sur tout ça… je pense que ce sera édifiant.

Cette parenthèse refermée, je n’en dirai pas plus sur cette date fatidique, je crois que le mieux est d’attendre, de voir, de sourire à l’ineptie de la chose quand elle aura été dument constatée, et de passer à autre chose, mais sans oublier de mettre tous ceux qui nous aurons rabaché les grandes catastrophes et les changements fondamentaux à venir devant leur échec.

Il serait temps d’en finir avec les prolongements obscurantistes qui ne cessent d’envahir nos sociétés et de les embrumer avec des espérances fausses.

Lorsque nous aurons acquis une sérénité et une lucidité, au lieu de frémir bêtement et superstitieusement à l’approche de grandes dates, nous pourrons peut-être enfin nous comporter en humains adultes et responsables face aux enjeux de nos sociétés. Voilà une priorité bien plus importante, que n’auraient sans doute pas renié des sœur Emmanuelle ou des Krishnamurti, esprits éclairés, proches des réalités, spirituels et pragmatiques s’il en est.

Avant de finir, je reviens sur un point. Lorsque, sur des forums notamment, j’aborde la question du new age sous un angle critique, une des réponses qui m’est fréquemment retournée, à part la relativisation de bonne guerre des effets négatifs de la chose, c’est qu’en fait le new age n’est pas si important que ça dans nos sociétés. Je m’inscris en faux.

Le new age est omniprésent dans nos sociétés occidentales modernes. Le new age, ne l’oublions pas, est une nébuleuse d’idéologies disparates plus ou moins syncrétiques qui intègre aussi bien des éléments religieux que des éléments scientifiques. Le new age, qui n’est pas tout noir selon moi, je le répète, se manifeste sous des aspects très divers.

On le retrouve dans tous les domaines de l’ésotérisme occidental moderne, mais on le retrouve aussi dans certains groupuscules croyants aux extra-terrestres, dans la quasi-totalité des mouvements dits sectaires sous différentes formes et à différents degrés d’intégration.

On le retrouve dans le domaine scientifique avec par exemple les croyances relatives à la physique quantique, conséquence d’une très mauvaise compréhension des implications et des non-implications de celle-ci, sous la forme d’une recherche de caution scientifique, notamment.

On le retrouve dans toute la sphère socio-psychologique sous la forme de théories de développement personnel plus ou moins valides, allant de la psychothérapie au coaching en passant par la connaissance de soi. Enfin, on le retrouve dans l’art, en particulier lorsqu’il s’agit d’art d’ordre commercial, comme la vente de musique new age, mais même le cinéma hollywoodien.

Exemple frappant, le film Prometheus de Ridley Scott, que j’ai détesté, au passage.

Dans ce film, on retrouve l’idée que les extra-terrestres nous ont créé et ont donc la paternité sur nous. On voit que des scientifiques vont à la rencontre de ces « ingénieurs » qui sont nos pères, car ils veulent discuter avec leurs créateurs. On retrouve dors et déjà une des grandes thématiques new age.

On peut par contre arguer que le traitement est trop sombre pour être new age, ce qui est vrai, mais j’objecterai personnellement que ce qui compte c’est plutôt le fait que la surenchère d’action, dans un film où celle-ci occulte totalement le propos prétendument philosophique de l’ « œuvre », est un élément vendeur, et que personne, du réalisateur jusqu’à la production, n’ignore ce fait.

On retrouve là un point commun avec le new age, qui est la superficialité de l’idée, où l’on s’arrête au côté plaisant des choses, sans aucune velléité d’aller plus loin, de développer des aspects humains, d’explorer des idées, ou de proposer une véritable issue spirituelle ou philosophique crédible aux choses.

En ceci, ce film est un film new age : c’est un exutoire des sensations morbides et une mise en spectacle d’une galaxie réduite à un terrain de jeux pour de mauvais humains et de mauvais ingénieurs qui s’échangent coups de poings et explosions.

Je ne dis pas qu’un exutoire soit une mauvaise chose. Je dis simplement que ce film, tout comme l’idéologie dominante new age ne constitue qu’un ensemble de « solutions » pour gérer le stress d’être un occidental aux 20e/21e siècles, n’est qu’un film à grand spectacle dont la fonction se limite à extérioriser des pulsions anti-sociales à base de violence et d’épanchements de sang.

Je n’ai rien contre cela, mais ce n’est rien de plus que ça, contrairement à toute la publicité qui a été faite autour de ce film. Et c’est tout ce que je déplore.

Ce que Prometheus et le mouvement new age ont un commun, c’est de promettre des issues spirituelles, et de fournir à la place le spectacle ou l’annonce de grandes catastrophes.

Ceci est le résultat malheureusement prévisible de la crispation psychique produite par la discordance entre les buts avoués de ces choses, et le résultat auquel on parvient.

Pour être synthétique, ce que je reproche au mouvement new age dans cette argumentation, c’est de faire croire à des choses qu’il ne peut pas tenir, car la force qu’il met en œuvre s’oppose en fait à la réalisation de ce qu’il promet.

Le new age promet le bien-être et la joie, et tout ce qu’il peut faire pour en convaincre, c’est d’offrir le spectacle de la désolation et de la mort pour contraster avec son message, preuve de son mensonge fondamental.

Preuve aussi qu’on ne peut absolument pas avancer vers la lumière qu’on prétend en s’aveuglant de fausses idées qui nous ramènent en cercle vicieux vers la violence et la morbidité qui nous hante, et qui est le véritable moteur caché de cette prétendue spiritualité.

En guise de conclusion, et je ne reviendrai plus sur ce sujet qu’après la date à laquelle nous serions tous censés mourir, je ne reproche pas au new age d’être un mouvement totalement dépourvu de qualités. Je lui reproche d’être un mouvement dépourvu des qualités qu’on lui prétend. Le new age n’est pas un mouvement progressiste.

C’est un mouvement d’inertie qui fait tourner en boucle l’homme moderne autour de promesses jamais tenues d’un mieux être au sein d’un monde qui ne cesse de se déshumaniser tant qu’il se maintient à ce niveau là.

Or, comme je l’ai expliqué, le mouvement new age est un des agents qui favorise cet état de fait, cette inertie, ce non-mouvement. C’est une force de justification et de consolidation des idéologies destructives contemporaines, qui lui fournit des excuses et des raisons de perdurer.

En cherchant des cautions scientifiques, les idées new age cherchent à leur tour à se porter caution de la prétendue bonne santé du système. Là aussi c’est un terrible argument circulaire qui se justifie par lui-même et que rien ne peut pénétrer, simplement parce qu’on n’a ni le courage, ni l’intelligence d’envisager des alternatives qui ne nécessiteraient pas ces béquilles que sont le développement personnel ou le coaching.

Là où l’on met des pansements, c’est qu’on a causé des blessures… Au lieu de créer de meilleurs pansements, qui cachent mieux les plaies, essayons plutôt de limiter la casse…

Oeil Du Selen