Envie de donner, échanger, partager, c’est souvent une ruse de plus de l’ego. Que pourrait-on dire
d’un vrai partage, d’une vraie générosité ? Communion ? Si on reste au niveau de l’ego, peut-on
éprouver un sentiment authentique, juste, droit, avoir ne serait-ce qu’un petit échantillon d’amour
envers quelqu’un, par moments ? Tant que l’on reste dans notre prison, est-ce possible ?

Imaginez vouloir mettre l’océan dans une boîte de conserve. Il en est ainsi lorsque l’amour se
réfléchit dans le mental limité.
Mais cela n’empêche pas qu’il soit au coeur de toutes les intentions, de l’idéaliste comme du reclus.
Cette réflexion de l’immensité du Soi dans le corps-mental limité, lorsqu’elle est acceptée en tant
que telle, n’est pas un obstacle à l’expression de l’amour. Le « je t’aime », bien qu’il n’ait pas de valeur
dans l’absolu, n’étant qu’une vaguelette sur l’océan de l’amour, a sa valeur sur un plan relatif comme
une reconnaissance de la beauté et de la bonté qui sont présentes en chacun, dans l’ami comme dans
l’ennemi.
L’accueil sans nom et sans préférence est un avant-goût de ce qu’est la nature de l’amour, qui
contient sans séparer, ignorant la division propre au mental conditionné. L’idée même de la prison et
des murs qui l’encerclent n’est qu’une fiction de l’esprit. Ces murs sont en fait transparents; le dedans
et le dehors, des concepts.
Rendons ainsi hommage à la conscience qui contient les opposés, tout en étant une et indivisible.

Qu’est-ce que l’amour entre deux personnes ?

Le « je t’aime » contient deux affirmations.
La première est « toi et moi sommes un ». Imaginez un rideau percé de deux orifices dans lesquels
vous passez vos deux mains et bras. Vos deux mains peuvent alors se croire indépendantes.
Lorsqu’elles se joignent, elles symbolisent l’unité fonctionnelle du couple. Le sens de séparation est
brisé, tout du moins dans les limites de ce microcosme. Lorsque les doigts se croisent, c’est le
symbole de « ta chair est ma chair, ma chair est ta chair ». De la friction naît le plaisir, de l’union naît
l’enfant.
La seconde est « toi et moi sommes l’Un ». Les deux mains prennent alors conscience qu’elles
appartiennent au même corps. Cette prise de conscience est signe de maturité. La fille de la maturité
est la paix. Là est l’objectif secret du couple : amener chacun des deux partenaires à réaliser que la
paix n’appartient pas au monde, mais à l’être. Le creuset qu’est le couple prend alors toute sa valeur,
permettant à chacun, par le pouvoir du miroir, de voir les projections qui l’éloignent de la réalité et
de s’unir à l’objet véritable du désir, le sans-nom.

Que pouvez-vous nous enseigner à propos de la compassion ?

La compassion est une résonance à la souffrance. C’est votre propre expérience de la souffrance qui
vous fait vibrer lorsque vous êtes en contact avec un être qui l’expérimente aussi.
Cette vibration a le pouvoir d’éveiller des mémoires, tant qu’elles n’ont pas été complètement
« digérées » par l’acceptation. Cet éveil de mémoire est une auto-guérison, puisque seul ce qui émerge
dans la lumière de la conscience peut être résorbé en elle.
Si vous restez en résonance avec cette vibration qui s’éveille en vous, celle-ci peut alors se
dissoudre dans le silence de votre écoute. Cette qualité intérieure qui se dévoile est le plus beau des
cadeaux qui peut être offert à ceux ou celles qui expérimentent la souffrance sans pouvoir se libérer
de l’identification qui la maintient en vie. Vous devenez alors l’exemple vivant qu’il est possible
d’être libre de la souffrance, ce qui signifie en fait d’être libre du moi qui souffre, sans pour autant se
couper du monde par un mouvement de refus négativiste.
La tendresse est ce partage du coeur, qui n’est pas de nature émotive, mais une union dans la
conscience, un écho de la conscience à la conscience. En vous sachant une dans votre essence, vous
n’êtes plus distraite par le pouvoir des projections. C’est en effet la projection confondue avec la
réalité qui est la racine-même de la souffrance.
La compassion vous amène ainsi à ne plus vous vivre comme étant séparé(e) de l’autre, à vous
savoir uni(e)s dans vos natures profondes. C’est ce qui manque au bourreau qui ferme son coeur
pour pouvoir accomplir sa tâche et se coupe ainsi de la joie sans fin de la nature véritable de l’être.
C’est ce qui irradie du saint ou du sage, dont l’esprit épuré n’est plus encombré par les attentes et
projections diverses.

Par ce beau ciel bleu et ce soleil radieux, je me demandais une chose sur l’amour… Comment saiton
(si toutefois cela peut s’expliquer par des mots…) si l’on aime une personne avec le coeur et non
avec l’esprit, c’est-à-dire que cet amour n’est pas encore une fois attaché aux mémoires passées ?

Dans certaines rencontres, il se produit une reconnaissance particulière, une familiarité inexplicable
qui fait que vous vous sentez en territoire connu. C’est un phénomène de résonance qui échappe à
toute logique. Cette résonance se fait en premier lieu par le regard, ou même par le champ vibratoire
qui précède l’échange de regard. L’amour se nourrit de cette reconnaissance.
Sur un plan plus global, lorsque vous êtes ancré dans le silence de la conscience sans pensée, celleci
se reconnaît derrière tous les êtres, comme une trame invisible qui relie des apparences
disparates. Dans son sens ultime, c’est ainsi que l’amour se révèle dans son omniprésence. Dans son
sens relatif, le sentiment amoureux est éveillé par une interaction particulière qui vous fait dire « je
suis touché(e) ». Voyez à quoi fait allusion ce « touché ». Une expansion se fait dans votre coeur. Un
contentement jaillit, une joie sucrée. Faites corps avec ce qui se révèle. Vous serez ainsi guidé par
votre ressenti, et non par votre intention. Le reste est finalement secondaire. Ce qui se fait ou ne se
fait pas n’est pas entre vos mains. Laissez à l’univers ce qui lui revient. Cela vous évitera d’avoir à
porter un poids qui ne vous appartient pas.

Que peut-on dire de la tendresse, de l’expression de la douceur, de la manifestation de l’amour ?
L’affectif étant le plus souvent l’expression du moi enfantin qui demande, réclame… l’expression
d’un manque profond qui se transforme en besoin objectif. Il semble que la relation s’articule
autour de ce manque sans cause, d’une agitation pure et d’un besoin (non identifiable) de combler
un vide. Une nostalgie de l’Être peut-être… Que reste-t-il dans la relation libre des enfantillages,
des projections, de l’imagination ?

La tendresse est la manifestation la plus éclatante de l’amour désencombré de l’idée d’être quelqu’un.
Elle ne peut être cultivée comme un but en soi, mais émane de l’être comme le parfum de la fleur. A
l’instant où votre esprit se libère de la projection, et donc de l’attente, le terrain est libre, vierge de
contenu, et permet à l’amour de fleurir sous sa forme la plus délicate. La communication, ou plutôt
communion, ne se fait que lorsque moi et l’autre sont absents. C’est cette absence qui révèle la
présence, sédiment résiduel inaliénable. Ne peut être abandonné que ce que vous n’êtes pas. Ce que
vous êtes est au-delà de la perte et du gain.
L’affectivité est une expression de l’amour déformée par le besoin de la personne. Dans sa forme
purifiée, elle est l’amour lui-même, sans sujet, sans objet. Voyez simplement quand et comment la
personne surgit et prend place dans l’illimité. Vous objectivez ce surgissement dans votre corps par
une sensation de restriction. L’accueil de la restriction vous libère de la restriction et vous ramène à
l’accueil lui-même, directe expression de la conscience sans forme. L’accueil n’a pas besoin
d’accueillir, puisque telle est sa nature. L’accueil est sans besoin. Cela, vous êtes.

Mon « conditionnement » a fini par m’imposer un sentiment infernal d’être humain pas comme les
autres… Si différent que je me sens parfois supérieur aux autres, parfois inférieur… ressentant que
je n’ai jamais reçu la moindre marque d’affection, le moindre signe d’attention de la part des miens,
et en particulier de mes parents… Je me dis souvent que, même avec cela, je reste orgueilleux et ne
baisse la tête devant personne… Je dois donc m’estimer heureux ! Mais cet effort insoutenable de
comparaison et de jugement me consomme énormément d’énergie et m’envoie le plus souvent au tapis, knock-out.

Soyez attentif à la tendance au jugement dans votre propre mental, aussi bien le jugement « négatif »,
« ce n’est pas bien », que le jugement « positif », « c’est bien ». La pensée fonctionne par polarités
opposées. Elle est l’essence-même de la dualité. Elle fonctionne sur un mode binaire, comme
l’ordinateur : 1-0-0-1, bon-mauvais, bien-mal, positif-négatif… Le regard qui contemple la pensée
est en dehors de la binarité. C’est en lui que vous vous trouvez unifié, non séparé.
On a l’impression que « les autres » ne nous donnent pas d’attention, d’affection, alors qu’en fait c’est
nous-mêmes qui en sommes incapables. Voyez ce fait, et acceptez-le tel qu’il est. Cette
reconnaissance de l’incapacité à être attentif et à aimer est déjà de la nature de l’amour. En
accueillant ce que l’amour n’est pas, vous réalisez que vous êtes vous-même l’amour que vous
cherchez. Une fois cela réalisé, vous verrez ce même amour qui se cherche dans le regard des
« autres », mais ne nourrirez plus la tendance à chercher au loin ce qui est déjà là.

Il semble que la vie veuille que je sois éprouvée en ce moment. D’abord, confrontée à des difficultés
administratives, les personnes auxquelles j’ai à faire sont imprégnées de préjugés raciaux. Ensuite,
il y a une femme, que je ne connais pas, qui vient pratiquement tous les jours me voir pour me montrer à quel point elle me déteste. Face à ces situations, je n’ai pas la force de me défendre. Je sens monter en moi l’effet d’une pilule effervescente, et cela me fait tourner la tête. Je me rends compte que ça ne me plaît pas du tout de me montrer face à l’autre comme une personne faible, qui tremble. C’est très contradictoire. Je voudrais défendre ce qui me paraît injuste et en même temps je sens aussi comme une paralysie. Aujourd’hui, je comprends pourquoi j’ai du mal à lâcher prise, le regard de l’autre a beaucoup d’importance.

Le jugement que vous voyez dans le regard de l’autre n’est que le reflet de votre propre jugement.
Ne jugez pas le jugement lorsqu’il jaillit dans votre esprit. Accueillez-le comme une pensée, limitée
par nature. Le fragment n’est pas le tout. Vous êtes le tout. Toute pensée sur ce que vous êtes ou sur
ce que l’autre est n’est qu’un reflet du tout, le fragment d’une totalité qui échappe au regard.
Remontez le fil du jugement jusqu’à la question « qui juge ? », question qui a le pouvoir de détruire
les concepts mentaux sur ce que je crois être. N’étant rien de conceptualisable, n’étant pas une
pensée mais le connaisseur de la pensée, n’étant pas un jugement, mais la source de tous les
jugements, « je » est libre de tout point de vue, de toute opinion. Sans opinion, vous êtes. Sans
conclusion, vous êtes. Sans interprétation, vous êtes. Être précède la pensée. A ce titre, il en est
libre. Revisitez ainsi la situation et voyez que vous et l’ennemi êtes l’expression d’une seule et même
conscience. Vous êtes toutes deux contenues dans la main de la conscience, vous êtes toutes deux
conscience avant d’être ce corps et cette forme. Immergée dans cette compréhension, le sens de
séparation disparaît. Sans séparation, il n’y a ni vous, ni l’autre. Sans vous et sans l’autre, tout est amour.

Oui, ce n’est pas la première fois que je tombe dans le piège de croire que le jugement appartient à l’autre. Je me passerai bien de me tourmenter l’esprit mais, ce qui saute aux yeux, c’est de croire
que le refus est justifié. Ce qui contribue à donner crédit à ce raisonnement, c’est que je ne vois pas bien. Si je ne suis pas séparée de l’autre, pourquoi ai-je l’impression de n’avoir une prise que sur
mon corps-esprit ? Je ne sais pas si je suis claire. Ceci dit, ce doit être soulageant lorsque le sens de la séparation disparaît définitivement.

Votre seule possibilité est en effet le changement dans votre propre perspective. C’est cette dernière qui est déterminante, qui va faire que la réactivité de l’autre ne sera pas nourrie par la vôtre.
Familiarisez-vous avec la perspective d’une unité sous-jacente à la multiplicité, comme vos deux mains qui sont unies par le haut bien qu’elles peuvent donner l’impression d’être indépendantes.
Voyez les choses à partir de la conscience-une, et non du point de vue fractionné de la personnalité.
Accueillez en vous les perceptions telles qu’elles sont, en négligeant les commentaires et interprétations. C’est cette qualité de regard silencieux qui est la clé pour l’établissement dans l’unité
de la conscience.

L’Amour a-t-il vraiment besoin de s’ex-primer, de s’ex-térioriser ? Quelle est la teneur de cette bouffée qui cherche à sortir ? Est-ce l’Amour ? N’est-ce pas plutôt sa réflexion ? N’est-ce pas
simplement un mouvement énergétique réprimé par habitude, par peur, par résistance ?

Vous êtes amour. Ce que vous êtes profondément, et avez toujours été, cherche à s’exprimer à travers le corps, le mental et la personnalité. Lorsque vous êtes petit enfant, le mental n’est pas
encore développé. Ce que vous êtes peut alors s’exprimer facilement, faisant l’admiration des uns et des autres qui y pressentent l’écho de ce qu’ils sont. Puis le mental vient s’interposer, tentant de
prendre le contrôle par l’intermédiaire de la personne. Une gangue vient alors mettre sous cloche la nature de ce que vous êtes, en en limitant son expression, récupérée à des fins personnelles. La
maturation, et le discernement qui l’accompagne, amène un abandon de la saisie. Ce que vous êtes peut alors s’exprimer sans contrainte, sans la peur de l’attachement et de ses conséquences. Dans
votre nature, vous êtes toujours libre des expressions, étant sans expression. L’émanation à travers le corps et le mental se conditionne d’autant plus qu’est structuré le canal d’expression. L’activité de
service est une de ces expressions conditionnées. Elle n’est pas l’amour, mais l’exprime dans le manifesté. Identifié à l’acte et à l’idée de l’acteur, le mirage de la maya se pérennise. Sans cette
identification, votre nature d’amour pur se révèle à elle-même, sans reflet et sans expression : autoperception, aperception.

Que représente pour vous le coeur de l’homme ? Il y a tellement d’expressions : « le coeur sur la main », « prendre son travail à coeur », « ça me fend le coeur », « je suis de tout coeur avec toi », « mon
coeur est pris », « il a le coeur dur comme de la pierre », « elle est jolie comme un coeur »… Bref, le coeur, me semble-t-il, est important notre langage. Pour ma part, il me semble qu’il est le COEUR de
la relation humaine, le centre du don de soi. Comment expliquez-vous cela ?

Le coeur anatomique est composé de deux oreillettes, qui reçoivent le sang, de deux ventricules, qui l’expulsent, et de valves qui assurent la coordination des flux. Sur un plan subtil, le coeur assure les
fonctions de réception et d’expression. Si le premier prédomine sur le second, il y a risque d’implosion. Si le second prédomine sur le premier, il y a risque d’explosion. Le bon fonctionnement
des valves est assuré de façon optimale par un corps détendu et un esprit vacant.

Le coeur est aussi le point de jonction entre la verticale et l’horizontale, le centre de la croix. La verticale est ce qui vous fait ressentir « je suis » avant « je suis ceci ». L’horizontale est ce qui vous fait ressentir « toi et moi sommes un ». Bien qu’étant localisé, le coeur est une porte vers la nonlocalisation.

L’amour, l’accueil, l’acceptation, en sont son mode d’expression. Cette expression ne peut se faire que dans la transparence. Elle implique donc une dissolution des agrégats du moi. Elle est, de ce fait, une porte ouverte vers la conscience pure, celle où ne règnent ni moi, ni toi.

Comment comprendre l’expérience du coup de foudre, de l’attraction vers une personne en particulier, du point de vue des différents niveaux de l’enseignement ? Faut-il y voir l’ultime illusion (ultime par sa force) ? Une illusion, car la personne magnifiée n’est qu’une pure création de « ma » conscience. Ou bien y a-t-il une place (à un niveau peut-être moins élevé de la manifestation) pour une « compatibilité vibratoire » entre deux êtres qui explique soudainement une attirance forte
(attirance qu’il faut savoir gérer, car cela fait des noeuds dans le ventre…). Bref, totale création mentale, possibilité d’une réaction à un échange vibratoire entre deux êtres, ou finalement les
deux ? Et sur le plan pratique, le sage laisserait-il l’expérience se développer, en faisant par exemple un « premier pas » vers l’autre, pour voir s’il y a réciprocité, ou alors prendrait-il du recul
face à ce qui ne serait qu’une apparition dans la conscience ? Agir ou ne pas agir, mais vous allez me dire qu’il n’y a personne pour faire ce choix…

Le coup de foudre est nourri par le sens de la séparation. Vous ne tombez amoureux que de ce dont vous vous pensez séparé. Pourriez-vous tomber amoureux d’un clone de vous-même ? C’est la différence et le contraste qui créent l’attraction.
Les formes sont distinctes les unes des autres, chacune ayant ses propres caractéristiques. Le sansforme ne connaît pas la distinction, étant, par nature, unité.
Ce qui se passe lorsqu’une telle résonance s’éveille n’est pas du domaine de la volonté. Que les corps s’unissent ou s’éloignent est le fruit des circonstances.
Faites donc face au besoin qui vous tenaille. Acceptez-le, sans le refouler, ni l’encourager. Permettez
ainsi à l’émotion amoureuse de se dévoiler dans le silence de l’écoute.
Les circonstances vont ensuite s’aménager au mieux des possibilités. Que les choses aillent dans un sens ou dans l’autre, il n’y a ni gagnant, ni perdant. Toute expérience est utile dès lors qu’elle est
acceptée comme enseignement. La fusion fait flamber le sentiment d’unité. La séparation vous ramène à vous-même, dans le repos de la lumière incréée.

J’ai, depuis bien des années, croisé par moments une personne qui, chaque fois, a « abusé « de mon amitié. Chaque fois, je reprenais le large, sans rancoeur, sans amertume, mais décidée à ne plus
donner suite à cette drôle de relation. Mais quand je la croisais de nouveau, n’étant pas rancunière, je la fréquentais un peu jusqu’à ce qu’elle me fasse un « coup bas ». Que faut-il que je fasse ? Que je
décide de ne plus jamais donner suite si je la croisais une nouvelle fois ? Faut-il voir en elle un message que la vie doit me faire passer ? J’ai du mal à faire la différence entre pardonner et
continuer une relation que je trouve stérile, même si elle est ponctuelle ; je précise que, pratiquement chaque fois, je l’ai tiré d’un mauvais pas plus ou moins important selon les périodes.
Je ne comprends pas ce genre de relation. Je ne vois pas pourquoi je vis cela. De façon pratique et matérielle, cela m’importe peu de l’aider chaque fois qu’elle passe dans ma vie. Cela n’est pas un
problème, mais me faire abuser par la suite me laisse perplexe quant à mes décisions futures à son sujet. Bref, rencontre-t-on parfois des personnes qui nous permettent de purger un karma, ou les
croisons-nous jusqu’à ce l’on comprenne le message qu’elles nous offrent ?

Le don est pure offrande, sans idée d’un donneur. L’idée du donneur est une surimposition égotique donnant au moi le sentiment du pouvoir de l’action. Voyez à quoi se réfère le don sans donneur,
émanation spontanée de l’être, qui ne laisse aucune trace dans le mental. Un des enseignements transmis aux boddhisattvas est : « lorsque vient le voleur dans ta maison, offre-lui tout, y compris ton propre corps ». Voyez donc ce qu’il y a de plus cher à offrir. Faites-en
l’offrande dans la joie de la libération d’un carcan encombrant. Rien n’est plus cher que le concept moi, personnage adoré qui fait si bien miroiter la lumière sans forme de l’incréé. Laissez le reflet
vous quitter et dilatez-vous dans l’immensité spacieuse et silencieuse de la conscience, le royaume qui aime et nourrit sans jamais rien demander. Pour qu’il y ait abus, il faut qu’il y ait propriété. Le sens de la propriété se réfère au corps et à ses prolongements. Êtes-vous cela ? En interrogeant le « je » jusqu’à sa disparition en cela qui le précède, c’est la propriété et le propriétaire qui disparaissent tous deux au profit de l’unique, qui est toute appartenance. C’est en cela que naissent et meurent le propriétaire et ses propriétés. Vous en avez
l’expérience dans le sommeil sans rêve. Référez-vous à son bienheureux repos, qui vous attend dèslors que vous laissez vos bagages à sa porte.
Revisitez ainsi la visite de l’ami qui vous dépouille, et remerciez-le d’emmener avec lui ce qui ne vous a jamais appartenu. La gratitude peut alors fleurir à votre porte, et transformer le chagrin amoureux de la victime en un amour heureux.

Comment exprimer l’amour d’une manière juste et harmonieuse dans nos relations au quotidien ?

L’amour ne peut s’exprimer par l’effet de la volonté. L’amour s’exprime par émanation, comme le parfum qui émane d’une fleur.
Les obstacles à cette expression sont contenus dans la crampe égotique, contraction secondaire à l’identification restrictive au concept moi. Tout ce qui participe à l’expansion contribue à la
dissolution de cette crampe. C’est ainsi que l’amour ne peut trouver sa pleine expression que dans votre absence.
Le besoin d’aimer et d’être aimé sont des réflexions de l’amour dans le mental individuel. Ils ne sont pas l’amour lui-même. L’amour n’a pas plus besoin d’être aimé ou d’aimer que la lumière n’a besoin d’être éclairée. Cette compréhension suffit à transformer votre vie relationnelle en éliminant ce que l’amour n’est
pas. Seul l’amour lui-même ne peut être éliminé. Vous êtes cela.

Je trouve cette idée finalement « folle » que de se dire que « l’amour absolu, l’amour pur » est terni, voire sali par le désir. Finalement, pourquoi blâmer à ce point le désir, et le rendre si impur aux
yeux de Dieu ?

Vu sous l’angle de la séparation et de l’unité qui se cherche, tout désir est l’expression d’un désir d’unité. Qu’il se matérialise dans la chair ou dans l’esprit, cette quête de l’Un domine le manifesté,
sans pour autant être visible au premier coup d’oeil.

Cela me remémore ce livre de Jean-Yves Leloup : « tout est pur, pour celui qui est pur », qu’il me faudrait peut-être relire, avec un nouveau regard… Vous connaissez ?

La pureté pointe vers la nature immaculée de la conscience. Le moi, fruit d’une contraction, n’exprime qu’imparfaitement ce dont il est issu.

Je pressens que le « monde divin » où il fait bon vivre, et qui peut donc être perçu extérieurement comme le monde du renoncement par excellence, est paradoxalement un monde très sensuel.

On peut en effet le dire ainsi.

Comme si ce contact avec le Vivant qui se cherche derrière chaque fait et geste, quels qu’ils soient, révélait une qualité de finesse et de sensibilité ultra-sensuelle.

Oui.

C’est d’ailleurs ce que je peux percevoir parfois dans l’intimité des approches corporelles, que vous nous enseignez, et où l’on fait l’éloge de la lenteur. Mais cela demande effectivement un état
de totale présence au mouvement.

Oui.

Si c’est le cas, je me demandais s’il fallait essayer d’une manière ou d’une autre de cultiver un peu consciemment cette finesse et cette sensualité du geste, ou si elle se révèlera naturellement au plus
on s’approche du Soi ?

Le corps appelle naturellement la conscience. Il n’est jamais mieux que lorsqu’il est habité. Le geste suit le corps. Un corps habité induit un geste habité. Il y a en effet une forme de sensualité dans
cette éloge à la vibration, dans laquelle tout est vibration. La volonté n’est ici pas tant impliquée que l’amour, puisque c’est l’amour du vivant qui amène cette joie de la présence et de son expression
manifestée.


Notre nature profonde étant indifférenciée, commune, sans intérieur, extérieur ni opposé, que peuton dire des notions de féminin et masculin ? Alors qu’elles apparaissent avec l’identification, que
sont ces caractéristiques au regard de la conscience pure ?

Lorsque la conscience prend forme, elle acquiert des caractéristiques et différenciations. Le féminin et le masculin sont ses deux modes d’expression privilégiés.
Le féminin est l’expression la plus fidèle de l’amour qui, dans son sens ultime, est conscience. Le masculin est l’expression la plus fidèle du pouvoir qui, dans son sens ultime, est conscience.
Lorsque les deux polarités sont équilibrées, l’amour est pouvoir et le pouvoir est amour. Ils sont alors indissociables, comme deux mains dont les doigts sont joints.
C’est en cela qu’on dit de l’être accompli qu’il a réalisé l’homme et la femme, qu’il unit en lui les deux polarités comme une seule et même vivante réalité.

L’être identifié à son corps-mental se voit comme féminin ou masculin. Il se méconnaît en tant que conscience, mais se réduit aux caractéristiques de sa structure corps-mental. L’homme se prend pour un homme et agit en tant que tel. La femme se prend pour une femme et agit en tant que telle.
La perspective de la conscience unitive d’arrière-plan donne un nouvel espace à ce fonctionnement.
Il est alors possible d’assumer une masculinité ou une féminité dans l’expression, sans s’y réduire pour autant. La fonction n’est jamais aussi bien remplie qu’en l’absence d’identification, comme le
bon acteur qui joue pleinement son rôle, tout en sachant ne pas être cela. Il s’oublie lui-même dans l’action, mais réintègre ce qu’il est dès le masque retiré. Le rôle est apparat. La conscience est
essence.

Extraits de « L’effort et la grâce »
et « L’abécédaire du bien Être », par Jean-Marc Mantel
, éditions de la Mésange (lamesange.com).
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Jean-marc Mantel