– trois jours après le naufrage
Je suis en détention depuis vendredi soir [31 août]. Je vais tenter de relater au jour le jour ce que je vis et ce que je ressens. Je n’ai pas pu écrire avant, on vient de me donner seulement ce matin un stylo et du papier à lettres ainsi que deux enveloppes pré-timbrées et le règlement intérieur destiné aux détenus. Je sais que mon arrestation est justifiée. J’attends de pouvoir être jugé – je ne sais quand – et d’être enfin condamné. Samedi matin, j’ai vu un médecin. J’ai demandé une prise en charge psychologique, j’attends un rendez-vous. Voilà trois jours à présent que je suis enfermé ici. Trois jours, ou plutôt trois jours et trois nuits. Les nuits ont été pour moi bien plus éprouvantes que les journées. Durant le jour, les conditions m’ont semblé moins terribles que j’avais imaginé. Certes, la cellule est spartiate, mais ça je m’y attendais. Je suis placé, pour la semaine dans le quartier dit des ‘arrivants’.
Le premier soir, on m’installe dans une cellule sans lumière et sans toilettes. La cellule est remplie des détritus laissés par ceux qui m’avaient précédé. Malgré tout, je trouve ces conditions plus correctes que les geôles de l’Evéché [Nom familier du Commissariat central de Marseille] où j’ai passé deux jours en garde à vue et la journée au TGI [Tribunal de Grande Instance] : ici on veut bien me servir à manger, plus que les quelques bouchées et le sandwich auxquels j’ai eu droit là-bas. Les occupants précédents m’ont même laissé, en restes, deux pommes. Bon, tout ça, ce n’est pas le plus important depuis je mange à ma faim. Dès le lendemain matin je parle au surveillant et ils veulent bien me changer de cellule. Celle-ci est ‘parfaite’ – elle possède même un double-vitrage qui me protège un peu du vacarme, des appels incessants et des cris des autres détenus. Il y a un WC et une douche qui fonctionnent.
Depuis ma fenêtre, j’ai vue sur la cour. [Je me rendrai compte par la suite qu’il y a plusieurs cours, les unes à côté des autres, séparées par des murets barbelés.] En face il y a un autre bâtiment, et derrière encore d’autres bâtiments. Pareilles à un gros bourg isolé de montagne dont grands murs gris et les lourdes bâtisses paressent, immobiles, sous le soleil d’été, égarées dans un paysage magnifique [ici, au pied du (nouveau) Parc national des Calanques], les Baumettes s’offrent à moi, à ma vue, à mon ouïe et à mon odorat : grouillantes, bruyantes et malodorantes.
Dès qu’on entre en prison la première question, la question rémanente qu’on te pose est ‘as-tu une cigarette ? As-tu du tabac ?’. J’avais un paquet sur moi le premier jour, un paquet à peine entamé qu’on m’a rendu après avoir que j’ai passé le sas d’entrée, c’est-à-dire après la séance de déshabillage, de palpation corporelle et les autres formalités d’usage. Des cigarettes j’ai, mais pas de feu. J’ai donc dû dès le début, dealer cigarette contre feu. A présent, il ne m’en reste plus que deux. Vais-je tenir ?
J’ai une cellule pour moi tout seul. Cela vaut mieux. J’ai pas vraiment envie de  »causer » et encore moins des motifs de mon incarcération. Les autres détenus, pour la première fois, je les ai vus, ou plutôt entrevus, lors du transfert en fourgon cellulaire qui nous amenait, telle une cargaison de fruits mûrs, du Tribunal aux Baumettes : une grosse demie-heure de trajet en ville dont on ne voit rien. Seulement les soubresauts et les à-coups des trous et des bosses, les changements de direction du véhicule, ses coups de frein et ses accélérations, ses pinpons éclatants lui donnant priorité, nous offrent des indices du parcours : c’est bien aux Baumettes que l’on va ! Le camion s’arrête, une série de portes métalliques, de portails s’ouvrent et puis se referment. Voilà. On est arrivé. Une grosse demie-heure, à peine, pour passer, pour basculer d’un monde à un autre, peut-être pour des années ! J’ai vu souvent passer, quand j’étais en liberté, ce fourgon, sans savoir que moi-même un jour j’en serai le passager.

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Bruno Des Baumettes