(Tomy est un chien qu’observent Anne et Daniel dans une odyssée consacrée à la découverte du monde animal sur Terre vue sous l’angle enrichissant de la décorporation ou voyage astral)

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Alors à nouveau à une distance d’une dizaine de mètres au-dessus de ses toits nos âmes aperçoivent le vieux mas, puis là-bas, dans un coin, Tomy qui se dirige d’un pas hésitant vers un grillage derrière lequel hurlent en sautant quatre ou cinq chiens.

Un homme se tient sur le perron de la bâtisse et observe la scène. Il porte un pantalon de toile cher aux chasseurs et un chandail de grosse laine grise. Immédiatement, ses pensées parviennent jusqu’à nous dans un désordre qui paraît être le juste reflet de sa chevelure hirsute.

« Pas mal ce chien… m’intéresse… pas de collier… on peut toujours essayer… »

Puis, soudain, la succession de ses réflexions est interrompue par un cri rauque qui jaillit avec violence de sa poitrine.

« Oh, silence là-bas ! »

Aussitôt, comme par miracle… ou plutôt sous l’effet de la crainte, les chiens se sont immédiatement tus dans le chenil. A peine entend-on encore quelques gémissements étouffés suivis de petits grognements sourds.

A vrai dire, il ne s’agit pas véritablement d’un chenil mais plutôt d’une sorte de poulailler, vaguement modifié pour la circonstance. Quelques tôles, disposées tant bien que mal sur des murets de pierres adossés à la maison, constituent un abri de fortune où l’on peut encore deviner, dans l’ombre, un ou deux récipients de plastique.

Cependant, près de la voiture, l’homme a déjà mis une main au cou de Tomy qui s’est rapidement applati sur le sol en remuant timidement de la queue.

« Il va le prendre, soyez-en certain. »

En douceur, la voix-guide vient une nouvelle fois de s’introduire au centre de notre conscience. Sans nous l’avouer clairement, nous n’attendions qu’elle, elle qui commence déjà à nous être si familière, elle qui maintenant peut sans doute nous dire le pourquoi de tout cela…

« Pourquoi ? Mais, parce que l’animal a une âme, mes amis. Parce qu’il est grand temps que l’homme n’en doute plus… et parce que cette âme est aussi pleinement âme que toutes celles dont l’humain admet l’existence dans la totalité de la Création. Comprenez-vous à quel point cette simple affirmation est déjà hérétique pour votre monde ?

Votre tâche est de visiter cette âme, d’écrire un hymne à sa beauté, d’en dépeindre ses rouages et d’en chanter le devenir. Il faut que vous le disiez, oui, l’animal est analogue à l’homme, analogue dans son fonctionnement, dans son développement, dans ses buts. Il est, tout comme vous, une partie du corps de la Divinité qui expérimente sans cesse l’infinité des chemins de la Conscience et apprend à s’y expanser.

Voyez Tomy… A l’instant vous vous demandiez le pourquoi de son « errance », le pourquoi de ce chasseur qui tente de se l’approprier, enfin le pourquoi de cette nouvelle existence qui s’installe autour de lui en si peu d’heures… Parce que comme vous, à l’image de chaque être qui respire à la surface de ce monde, il a son propre chemin de vie, sa destinée. »

« Son… karma ? »

« Son karma si vous préférez. Son karma dans la mesure où sa conscience a commencé de s’individualiser et où son être a entrevu sa possible autonomie par rapport à l’ensemble de sa race… ce qui est le cas de Tomy. Le karma individuel, voyez-vous, est un fruit de la maturité. Une âme ne se le constitue que lorsqu’elle devient responsable d’elle, c’est-à-dire d’une pensée et d’une volonté autonomes. Il peut être comparé à une sorte de compte en banque sur lequel viennent s’inscrire, sous forme de potentiel énergétique, non pas tout le bien et le mal générés par une âme mais plutôt tout ce qui a été compris ou non, vécu harmonieusement ou non par elle.

Tomy, à l’image d’une multitude d’animaux qui vivent en contact proche et permanent avec l’humain, a commencé à développer cette sorte de réflexion autonome que procure un tel réservoir subtil.

Regardez-le réagir auprès de cet homme dont il ignore tout et qui déjà vient de lui imposer une corde en guise de collier. C’est de son plein gré qu’il a accepté, poussé par une confiance, par un espoir. Il y a quelques vies de cela, il aurait refusé une telle approche, il aurait fui, préoccupé seulement par un éventuel contact avec ses semblables amassés de l’autre côté du grillage. Il aurait puisé toute sa capacité d’action et de survie, toute sa résistance et son savoir, dans l’âme collective d’un tel groupe… Certainement pas auprès de l’homme, trop étranger à son fonctionnement.

Aujourd’hui, après avoir accumulé des existences, son âme est capable d’une vision plus élargie de la vie. Elle devient suffisamment forte pour aller plus avant vers ce qui ne lui ressemble pas mais qui va activer sa capacité de réflexion. »

Sans plus attendre, une question fuse en nous, aiguillonnée par la vision de cet homme, si sûr de lui, qui entraîne déjà Tomy au bout d’une corde et l’attache à une barrière de bois.

« On peut donc parler de réincarnation pour les animaux ? »

« Aussi sûrement qu’on le dit pour l’homme ! »

« Sans exception ? »

« Sans aucune exception. Mais encore faut-il bien comprendre qu’il existe une infinité de niveaux de descente de la conscience dans un corps, que celui-ci, d’ailleurs, soit animal ou humain.

Cette notion d’enracinement plus ou moins profond de la conscience n’est pas plus vraie pour un règne que pour l’autre. Simplement, je dirais qu’elle se manifeste différemment. Chez l’humain, elle se traduit par des capacités que l’on dit intellectuelles mais aussi, bien sûr, par des possibilités d’abstractions métaphysiques, par une indépendance marquée et une foule d’autres signes d’affinement.

Chez vos frères animaux, elle se signale d’abord par le détachement d’un individu hors de son groupe. Lorsque ce détachement a lieu, il est la trace d’une pensée personnelle digne de ce nom. Il indique que l’animal commence à faire éclore en lui les premières manifestations de son corps mental. C’est quelque chose de très beau, voyez-vous, et il faut apprendre à déceler cette flamme chez un être car elle est le témoin d’une plus grande révélation du Divin en lui. »

(Sur cette planche le Corps Mental, ici pour l’humain, correspond au 3ème chakra et donc à la 3ème couche aurique, chakra généralement jaune, couche aurique jaune)

Tandis que nous écoutons ces paroles venus de l’invisible Présence, nos yeux ne parviennent pas à se détacher de l’attitude de Tomy face à la meute des autres chiens qui a repris de plus belle ses aboiements.

En effet, attaché à sa barrière, Tomy ne regarde pas dans la direction du chenil. Il fixe une porte par laquelle l’homme a disparu depuis quelques instants. En silence, il attend.

« A cette seule attitude, vous pouvez comprendre qu’il a fait son choix, reprend la voix. Il a opté pour la fréquentation de l’homme plus que pour celle de ses semblables.

Ainsi, ce que vous prenez parfois pour de la servilité n’est, en fait, rien d’autre qu’un besoin impérieux d’apprendre… au contact d’un frère, d’un ami qui a fait quelques pas de plus.

Concevez-vous votre degré de responsabilité en tant qu’humain dans tout ce processus ?

Voilà pourquoi, mes amis, plus vos compagnons animaux arrivent à se libérer des réflexes caractéristiques à leur espèce, plus ils agissent par eux-mêmes, plus leur contact avec l’homme est poussé et plus on peut employer le terme de réincarnation. Car alors, sachez-le bien, cette force que l’on appelle l’ego prend naissance et consistance en eux. A compter de tels instants, ils ne vivent plus à l’heure du nous mais du je. »

En observant Tomy qui tire maintenant sur sa corde pour fuir, semble-t-il, la présence menaçante des autres chiens, nous ne pouvons nous empêcher de réagir à ce qui vient d’être dit.

« Mais enfin, tout cela n’est-il pas contraire à l’ascension de toute conscience vers la Lumière ? Cette recherche absolue du moi-je est toujours perçue comme le premier obstacle à la paix intérieure… »

« Défaites-vous donc de cette conception schématique d’un égo juste bon à formuler un moi-je qui plombe la conscience. L’ego, ne l’oubliez pas, est semblable à un miroir à deux faces, un outil déterminant sur le chemin de la découverte puis de l’épanouissement de soi. Sur l’une de ses faces, il vous renvoie une image déformée de vous-mêmes, génère des reflets, vous propose une vision éloignée de votre réalité et vous égare. Sur l’autre, cependant, il vous permet d’observer cette sorte de « je suis » qui est le début de toute ascension. Il vous donne la merveilleuse possibilité de formuler celui-ci en conscience, tel un « sésame ouvre toi ». Il restitue pour vous la première image, la première promesse de votre divinité promise.

C’est sur la frange mystérieuse et limpide qui sépare les deux faces de ce miroir que l’être se hisse pour un temps. Sur son fil, le « moi » s’effrite et le « je » perdure ; Mais un « je » magnifié, voyez-vous, un « je » qui absorbe et élève tous les « nous » de la race, puis prend place telle une étoile dans l’univers.

Bénissez donc la naissance de l’ego chez vos frères animaux car celle-ci est une marque de leur croissance, aussi surement que le dépassement de ce même ego en est une chez vous. »

Tandis que ces paroles s’achèvent, un défilé d’images étranges vient s’immiscer en nous. Nous savons de façon certaine qu’il provient du groupe de quatre ou cinq chiens qui sautent encore, aboient et grognent derrière leur grillage. Ce sont des images fugitives, difficilement traduisibles en langage humain. Nous y percevons pêle-mêle l’herbe et les ronces contre les murs de l’habitation, des ongles et des crocs, mille museaux qui flairent et des touffes de lavande nimbées d’une lumière jaunâtre. Mais surtout, surtout, derrière ces images inscrites en filigrane, ce sont des vagues de jalousie et de méfiance qui nous assaillent. Elles se ruent vers nous, tel un rouleau d’écume déferlant sur la plage.

Nul doute que Tomy ne les reçoive de plein fouet car elles lui sont destinées, lui qui ne fait pas partie du clan, lui qui n’a pas montré le moindre signe de soumission à sa suprématie.

Cependant que nous vivons cette singulière expérience au contact des projections psychiques de la petite meute, toute perception auditive vient à s’estomper en nous. Dans l’état subtil qui est le nôtre depuis bientôt trois heures, nous pouvons alors observer à loisir les émanations lumineuses qui s’échappent de la troupe des chiens. Celles-ci sont mariées comme pour former un seul corps, une aura unique au cœur de laquelle s’entrechoquent des masses rouge carmin, ocres et grises. Nous savons que cette forme lumineuse commune témoigne de la conscience globale qui régit le groupe. Pendant quelques secondes nous reviennent alors à l’esprit des visions analogues perçues il y a des années au-dessus d’une foule en colère amassée sur une place publique.

Un petit sourire extérieur à nos deux êtres fait à cet instant une brève irruption sur l’écran de notre conscience puis laisse place à la voix-guide, plus chaude, plus aimante que jamais.

« Voyez, voyez ce qui se passe… Vous l’avez compris, n’est-ce pas ? Vous aussi, humains, vous pouvez encore expérimentez ce que représente une âme de groupe. C’est une force qui absorbe l’individu, lui impose parfois un flot de réactions mécaniques et le fait agir selon des schémas préétablis. Vos guerres en sont la meilleure illustration. Quelle est cette énergie capable de pousser des millions d’êtres qui ne se connaissent pas, à s’entre-tuer, sinon une âme collective fonctionnant au moyen de rouages primaires ? Tous vos nationalismes et particularismes qu’ils soient religieux ou politiques, ne sont jamais qu’une version plus policée de la force qui fait agir ces chiens dans leur chenil. Leur petit groupe n’est pas plus ridicule, avec ses jalousies primaires et son bout de terrain à protéger, que la majorité des humains à laquelle une infime minorité donne des armes et des frontières.

Hommes ou animaux, nous nous trouvons sur la même échelle dont les barreaux ne sont pas si éloignés les uns des autres. »

A quelques mètres sous nos corps de lumière qui continuent d’écouter en silence, la silhouette de l’homme au chandail gris vient de réapparaître. Cette fois, Tomy est détaché de son poteau et emmené vigoureusement dans une grange. Affectivement aimanté par son petit être, nous le suivons, sans attendre, à l’intérieur de la bâtisse. D’un geste lourd, l’homme s’est retourné vers la grosse porte de bois, l’a fait grincer sur ses gonds en la fermant d’un coup d’épaule puis a détaché Tomy qui s’est mis à gambader.

Dans la grange, c’est la pénombre, quelques rais de lumière y pénètrent seulement par deux ou trois ouvertures du toit et viennent caresser des restes de paille sur le sol. Dérangée dans son repos, une tourterelle s’envole brutalement de sa poutre dans un battement d’ailes qui fait sursauter Tomy, puis s’échappe par le toit.

Les mains sur les hanches, l’homme commence alors à observer le comportement du jeune chien qui a aussitôt entrepris, nez au ras du sol, sa découverte des lieux. L’air songeur, il se gratte les cheveux puis sort de la bâtisse en lançant vers Tomy un « attends-moi là » qui semble clouer l’animal sur place. L’homme part vers la ville, nous l’avons perçu dans ses pensées. Quelques provisions, des outils, peut-être un collier… voilà ce qui le préoccupe sur l’heure.

A deux pas du chiot et au ras de la poussière du sol, nos êtres se stabilisent alors, bien décidés à tenter un contact avec Tomy.

Dehors une portière claque, un moteur ronronne, grince, puis enfin le véhicule s’éloigne et les chiens se taisent.

Voilà… Le silence est à nouveau tombé sur le mas et Tomy s’est précipité vers la porte comme pour recueillir les parfums du vent qui s’engouffre sous elle.

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(Extrait du livre « Le Peuple Animal » écrit par Anne Givaudan et Daniel Meurois)

(Notes entre parenthèses et correction orthographique, titre et retranscription : Delta de la Lyre)

(Suite de l’odyssée dans le prochain article « Des intelligences animales et autres, d’ici et d’ailleurs »)

Anne Givaudan Et Daniel Meurois