Les abeilles, piliers de la pollinisation et donc de la présence des fleurs, fruits et légumes, disparaissent massivement dans de nombreuses régions du monde, laissant perplexes les scientifiques qui ne manquent toutefois pas d’arguments puisés notamment dans la pression insoutenable des activités humaines sur l’environnement.

Historique de l’effondrement des colonies d’abeilles

Depuis le milieu des années 80, l’apiculture est confrontée à un affaiblissement et une surmortalité marquée des colonies d’abeilles d’origine multifactorielle.
C’est en France, en 1994 que les apiculteurs se sont alarmés : durant l’été, de nombreuses abeilles ne revenaient plus dans les ruches, laissant derrière elles la reine et quelques jeunes… Les abeilles étaient retrouvées mortes sur le sol, en petits groupes ou volaient désorientées devant la ruche avec des comportements alimentaires anormaux.

Depuis, l’état de la filière apicole française est désastreux : en 2012, par rapport à 2004, le nombre d’apiculteurs a baissé de 40 %, le nombre de ruches de 20 % et la production de 28 %, selon l’Audit économique de la filière apicole française, commandité en 2011 par FranceAgriMer. Ainsi, depuis une vingtaine d’années, rien qu’en France, les taux de mortalités observés sur les colonies se sont fortement accrus. Les mortalités hivernales moyennes sont supérieures à 20 % et il est fréquent que les taux de pertes annuelles dépassent les 30 %.

Ce phénomène s’est ensuite propagé à d’autres pays européens et notamment aux Etats-Unis où à l’automne 2006, les abeilles ont commencé à disparaître de manière inquiétante avec plus de la moitié des états touchés et des pertes de population comprises entre 30 % et 90 %. Le « syndrome d’effondrement des colonies » (« colony collapse disorder » ou CCD) était né.

Malheureusement, loin de rester localisées, ces mortalités massives ne cessent de s’intensifier dans de nombreux pays : Grande-Bretagne, Belgique, Italie, Allemagne, Suisse, Espagne, Grèce, Pologne, Pays-Bas… depuis le début des années 2000. Là aussi, certaines colonies d’abeilles perdent jusqu’à 90% de leurs population…
Par exemple, en Italie, de nombreuses ruches sont restées désespérément vides selon rancesco Panella, président du Syndicat des apiculteurs professionnels italiens, du jamais vu… En Grande-Bretagne, le plus important apiculteur a perdu plus de la moitié de ses ruches, sans qu’une confirmation du phénomène n’ait été donnée pour l’ensemble du pays.
Dans de nombreuses régions du monde, les populations d’abeilles sont en fort déclin, avec des variabilités suivant les années. Si il est encore difficile aucun dispositif n’est aujourd’hui mais la tendance est structurelle et inquiétante depuis quelques années.

Des conséquences lourdes pour la reproduction des plantes à fleurs

Les conséquences sont désastreuses pour la pollinisation[1] qui permet, depuis des millions d’années, d’assurer la reproduction de 70 à 80 % des plantes à fleurs dans le monde. Par ailleurs, plus de 70 % des cultures, dont presque tous les fruitiers, légumes, oléagineux et protéagineux, épices, café et cacao, soit 35 % du tonnage de ce que nous mangeons, dépendent fortement ou totalement d’une pollinisation animale. Cette dépendance existe pour la production de fruits (tomates, courges, arbres fruitiers…) et pour la production de graines (carottes, oignons…)[2].
Les fameux aliments conseillés par tous les nutritionnistes… D’ailleurs, dans certaines régions du monde comme au Sichuan (Chine), la disparition d’insectes pollinisateurs oblige les agriculteurs à polliniser manuellement, tous les insectes pollinisateurs ont été décimés par les pesticides…

Extrait du film « Le silence des abeilles » de Doug Shultz (2007) diffusé sur « National Géographic » (2008). Au Sichuan, des centaines d’ouvriers agricoles sont obligés de féconder eux-mêmes les fleurs des poiriers.

Rien qu’en Europe, plus de 200 travaux de recherche s’intéressent à la santé des abeilles, ce qui illustre la difficulté à isoler un facteur déterminant.

Les différentes causes de la disparition des abeilles

Les chercheurs et les apiculteurs avancent de nombreuses hypothèses car aucune cause principale n’a encore été clairement identifiée, ce qui laisse perplexe les spécialistes sur la question. Toutes les pressions sur l’écosystème et la santé des abeilles sont passées en revue : OGM, ondes électromagnétiques, pesticides, pollutions, changement climatique, raréfaction des fleurs, virus, maladies, parasites, champignons…

Depuis l’antiquité l’Homme a domestiqué les abeilles pour en récolter le précieux miel mais depuis quelques années, les sources de dégradation de leur environnement et les atteintes à leur santé sont telles qu’il pourrait s’agir d’une combinaison de facteurs qui surpassent la capacité de résistance des abeilles. Dans un article du journal Le Monde du 29 août 2007, M. Neumann, du Centre agroscope Liebefeld-Posieux (Berne, Suisse), explique ainsi : « on peut supporter séparément une maladie, une mauvaise alimentation, un empoisonnement aux pesticides, mais quand tous les facteurs se conjuguent, il arrive un moment où la limite de résistance est atteinte ».

Fin novembre 2013, l’Anses a fait le point sur l’état de santé des abeilles et a indiqué effectivement que « divers facteurs peuvent agir sur la santé des abeilles, seuls ou en association, -maladies infectieuses et parasitaires, stress lié aux changements des ressources alimentaires, produits phytopharmaceutiques, conditions climatiques,- et sont désormais reconnus par la communauté scientifique. »

Or l’abeille est un excellent témoin de la qualité de l’environnement dans lequel elle évolue…

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Au niveau des pesticides, bien que les quantités épandues soient beaucoup plus faibles qu’avant, les principes actifs sont bien plus puissants. Or, depuis près de 50 ans, les pesticides touchent tous les pays et les capacités de production des pays en voie de développement sont en pleine expansion : la contamination est planétaire. Aux Etats-Unis, par exemple, les pesticides sont responsables de la destruction de milliers de colonies d’abeilles chaque année.

L’insecticide Gaucho dont la substance active est l’imidaclopride a été rapidement incriminé. Ce pesticide, utilisé en enrobage de semences (maïs, orge, blé) et dorénavant interdit sur les graines de tournesol depuis 1999 et de maïs depuis 2004.

L’insecticide Régent (dont la substance active est le fipronil) a été suspendu début 2004 en France sur toutes les cultures mais autorisé en 2005 aux Etats-Unis.

L’insecticide Cruiser (substances actives : thiaméthoxam, fludioxonil et métalaxyl-M) a également étéinterdit en France mi-2012. En effet, une étude de fin mars 2012 de l’INRA a démontré que, même à une dose non létale, les abeilles sont mortellement désorientées par cet insecticide.

Malgré ces interdictions et une diminution du taux de mortalité des abeilles, les récoltes de miel se sont effondrées en France. Le Réseau Biodiversité pour les Abeilles, nous a indiqué qu’il est important que « l’usage des pesticides, agricoles comme apicoles, soit réglementé et encadré, afin que les utilisateurs respectent les doses, usages et conditions d’emploi préconisées pour la sécurité des hommes et de l’environnement. C’est cette bonne gestion des pratiques, agricoles comme apicoles, couplée à une réflexion intelligente sur l’environnement de l’abeille, qui permettrait la diminution des surmortalités d’abeilles constatées jusqu’ici. »

Les parasites

Des parasites comme le champignon unicellulaire Nosema ceranae ou l’acarien Varroa destructor sont des causes majeures de l’affaiblissement des colonies.

Varroa destructor

Importé involontairement en France depuis le début des années 1980, le « vampire de l’abeille », suce, à la manière d’un moustique, l’hémolymphe des abeilles, l’équivalent du sang. Il faut alors traiter les ruches avec un acaricide qui, mal dosé, entraîne la mort des abeilles… Ce parasite retient pour le moment l’attention des spécialistes qui pensent qu’il pourrait jouer un rôle important dans ce déclin, notamment l’hiver.

Les champs électromagnétiques

Quelques études montrent un lien entre les ondes électromagnétiques et la perturbation des abeilles, les téléphones potables et les multiples antennes relais, les lignes à haute tension pourraient donc participer au déclin des abeilles.
Baisse de la ressource alimentaire

Axel Decourtye, chef de projets à l’Association de coordination technique agricole (ACTA) a indiqué[3] qu’en zones de grandes cultures, une conséquence directe de l’intensification et des pratiques agricoles actuelles est la diminution, la disparition ou l’irrégularité dans le temps et dans l’espace des zones constituant les ressources alimentaires des abeilles. Ainsi, la quantité de pollen et de nectar récoltée par l’abeille domestique varie fortement au cours du temps dans ces agrosystèmes.
Par exemple, dans un paysage agricole céréalier, les colonies connaissent des pics de récolte de nectars durant la floraison des cultures oléagineuses, colza et tournesol. Cette très forte dépendance des abeilles domestiques et de l’apiculture envers les cultures oléagineuses, ainsi que la récolte significative du pollen de maïs, induit un risque d’intoxication lié aux pesticides employés par les cultivateurs.

De plus, les abeilles sauvages ont un comportement alimentaire différent de celui de l’abeille domestique. Les inventaires faunistiques réalisés sur fleurs en témoignent : en situation de choix les abeilles sauvages préfèrent butiner les fleurs des prairies et des bordures plutôt que celles du colza ou du tournesol. La diversité en abeilles dans le colza est ainsi 4 fois inférieure à celle mesurée sur une flore herbacée naturelle.

Au final, le paysage idéal pour la conservation des abeilles et pour l’apiculture devrait présenter à la fois des cultures offrant une importante masse florale appréciée des abeilles domestiques et des apiculteurs (colza, tournesol, luzerne), mais également des surfaces où la flore est plus variée, préservée dans la durée, offrant ainsi des apports alimentaires plus réguliers dans le temps (haies, bois, bosquets, bandes enherbées, lisières, bords de champs et de routes). Le remembrement a donc largement favorisé la perte de ressources alimentaires pour les abeilles, en sus de toutes les autres conséquences négatives sur la biodiversité et l’écosystème.

Les OGM

Les OGM jouent également un rôle néfaste parce qu’ils contiennent des insecticides. Bien qu’ils soient dédiés à la lutte contre les papillons, les mites et les coléoptères, ils ont certains effets néfastes sur les abeilles. Cependant, en Europe, il y a encore peu de champs cultivés avec des OGM, par rapport aux Etats-Unis, au Brésil ou à l’Inde, mais cela ne pourrait pas durer…
Le frelon asiatique

Selon les scientifiques et les acteurs du monde apicole, le frelon asiatique cause des dommages importants sur les populations d’abeilles et participe ainsi au phénomène d’effondrement des colonies d’abeilles observé dans les ruches depuis plusieurs années.
En effet, les frelons sont de redoutables prédateurs d’insectes (guêpes, mouches…) et notamment d’abeilles.

Début octobre 2012, le gouvernement français a proposé son classement en espèce exotique envahissante et nuisible à l’apiculture. Ils répondent ainsi en outre aux attentes légitimes des associations d’apiculteurs qui ont formulé cette demande depuis plusieurs années. Le classement d’une espèce comme espèce exotique envahissante et comme danger sanitaire permet l’élaboration et la mise en oeuvre de programmes de lutte obligatoire au niveau national et départemental.

Le changement climatique

Le climat, plus instable et moins prévisible avec les changements climatiques en cours, affecte également les abeilles notamment avec les extrêmes météorologiques de plus en plus fréquents.

L’érosion des espaces naturels

La perte d’espaces naturels dans la plupart des régions du monde est également alarmante. Les prairies naturelles sont de plus en plus rares, cédant leurs places à une agriculture intensive particulièrement pauvre du point de vue de la biodiversité. Ainsi, les ressources alimentaires des abeilles se sont fortement appauvries, or le pollen demeure leur unique source de protéines. Même les particuliers dans leurs jardins favorisent trop souvent la pelouse et les pesticides aux multiples fleurs qui poussent spontanément.

Les autres insectes pollinisateurs sont également en voie de disparition

Enfin, les autres pollinisateurs sont également affectés par ce phénomène : « on a toutes les raisons de penser que quand l’abeille domestique a des soucis, c’est pire pour les espèces sauvages, car la colonie a un effet protecteur », explique Bernard Vaissière directeur du laboratoire de pollinisation entomophile à l’INRA d’Avignon.

En Europe, un groupe de travail européen sur la prévention des mortalités d’abeilles a été mis en place, coordonné par le centre Agroscope Liebefeld-Posieux qui estimait fin août 2007 que le phénomène devenait plus fréquent, et qu’il prenait « des proportions plus importantes ».

Même si le mystère reste entier, lorsque les sentinelles du bon état de l’environnement viennent à disparaître, cela ne devrait laisser personne indifférent. En effet, ce syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles ne présage rien de bon pour les autres espèces, y compris l’Homme…

Notes

– La pollinisation désigne l’ensemble des mécanismes par lesquels le pollen provenant de l’organe mâle d’une fleur (étamine) est acheminé vers l’organe femelle (pistil) d’une autre fleur. Ce pollen permet la fécondation d’un ovule puis la formation d’un fruit contenant des graines. C’est le mode de reproduction sexuée des végétaux. Et les pollinisateurs – majoritairement des insectes (abeilles, bourdons, papillons, mouches…) – en sont les principaux acteurs.

– Certaines cultures ne dépendent pas des insectes, en particulier le blé, le maïs et le riz puisque la pollinisation de ces espèces est assurée par le vent.

Santé des abeilles : l’Anses fait le point ; 21/11/2013 – Anses

Sources

Les abeilles malades de l’homme – Le Monde, 29/08/2007
Mystery of Disappearing Honeybees – Institute of Science in Society (en anglais)
Syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles – Wikipédia
Insectes et plantes, des relations étroites : bienvenu dans le monde des pollinisateurs – Ministère de l’Environnement

Auteur

Christophe Magdelaine / notre-planete.info – Tous droits réservés

Christophe Magdelaine