Stella était une petite fille très rêveuse et d’une beauté extraordinaire pour son âge, à tel point qu’elle se faisait ainsi remarquer partout où elle allait. Cependant, elle préférait la tranquillité à toute autre chose, c’est pourquoi elle allait passer tout son temps libre chez sa grand-mère. Cette vieille dame, mystérieuse et bienveillante, habitait un élégant manoir qu’elle avait fait restaurer. Elle entretenait ses plantes avec une passion hors du commun en compagnie de son vieux jardinier qui lui tenait compagnie, et avec lequel elle s’entretenait de botanique des heures durant.

La tranquillité de cette existence plaisait à nôtre petite héroïne, qui aimait par-dessus toutes les délicieuses tourtes confectionnée avec les légumes du potager. La grand-mère, surnommée dans le voisinage comme « la fée aux main verte », savait l’art d’offrir de généreux paniers de légumes dont la quantité et la grosseur apparaissaient comme extraordinaires ; de même, elle possédait une quantité innombrable de contes fantastiques autour des plantes et de la végétation. Le soir tombant, la vieille femme et sa petite fille s’installaient sur la terrasse qui surplombait le jardin, et le soleil se couchait aux notes berçantes de la voix de la vieille conteuse.

Le jardin se déployait entre l’élégante demeure et un petit étang, ce qui faisait la joie de la fillette. Elle passait des heures entières à jouer au bord de l’eau à toutes sortes de jeux dont seule une enfance solitaire a le secret. Elle avait fait connaissance avec les habitants de cette eau stagnante, et avait donné un nom à ceux qu’elles reconnaissaient, car certaines familles de grenouilles vertes et de libellules avaient établies là leur campement familial. La petite fille avait courageusement nettoyé et restauré ce coin autrefois abandonné aux mauvaises herbes, et à l’aide de Marco le jardinier, elle avait appris à en entretenir la flore.

Dès qu’elle fut en âge de lire seule, Stella découvrit de nouvelles histoires, et se prit à rêver qu’elle se transformait en cygne à la nuit tombée, ou bien encore que les pierres des eaux dormantes lui parlaient. Sa grand-mère écoutait son babillage en souriant. Le vieux jardinier, en homme qui n’entendait rien aux choses de l’imaginaire, mais qui avait grand cœur et se souciait de la fillette comme si elle eut été sa propre petite fille, entendait bien lui faire entendre raison. Mais la vieille dame l’interrompait d’un geste ou d’un regard.

Stella avait donc tout le loisir de s’adonner à ses passions et soignait ses fleurs et son étang avec un zèle rare pour l’enfance.

Une nuit, elle rêva que les fleurs l’appelaient et lui parlaient : « Stella ! Résonnaient-elles en chœur, viens à nous, tu nous as sauvé de la sécheresse, tu nous as soignée et entretenues de bon cœur et avec une patience que personne n’avait jamais eu à notre égard. Nôtre reine veut te remercier »

Le rêve lui semblait si réel, que la fillette se réveilla et alla voir à la fenêtre : la lune éclairait d’un rayon le petit étang et tout semblait paisible. Elle eut envie d’aller voir si on l’attendait réellement à l’étang. Elle savait fort bien que personne ne croyait à ces choses fantastiques, hormis sa fantasque grand-mère que l’on jugeait déjà bien étrange; c’est pourquoi elle eut été bien en peine d’expliquer à quelqu’un pourquoi elle se levait en pleine nuit voir des fleurs qui l’avaient appelées en rêve. Elle parvint à se glisser silencieusement hors du manoir. Pas un souffle de vent ne troublait le silence presque absolu du jardin.

L’atmosphère était telle que l’on se croyait observé et écouté par une intelligence invisible et sage. C’était la première fois que Stella sortait la nuit, et elle crut que c’était là des particularités de la nature.

« La nuit est magique, pensa-t-elle, on dirait que tout est différent du jour, on ne me l’avait jamais dit à l’école »

En effet, un adulte eut pris peur : Le jardin était inondé par les rayons lunaires, comme irréel. Mais Stella avançait avec une confiance simple. Chaque arbre était comme embrasé, les fleurs et les plantes bruissaient dans un murmure et dans une sorte de ballet. Le tout paraissait mû par une force de vie commune et fantastique. L’allée principale semblait s’illuminer peu à peu, et Stella se sentait comme attendue et fêtée.

Elle s’arrêta à l’étang. Ses chères fleurs se balançaient de gauche à droite dans une sorte de concertation générale. Stella s’assit patiemment. « Je suis là, mesdames les fleurs ! » murmura-t-elle, craintive. Il se fit alors un silence absolu et les fleurs devinrent immobiles.

Notre héroïne commença à se demander ce qu’elle faisait là à parler à des fleurs qui ne connaissaient visiblement pas l’usage des mots humains. Mais, soudain, un pissenlit vint chatouiller son menton comme pour l’inviter à s’étendre auprès d’elle. La petite s’exécuta avec attention, craignant de froisser le moindre brin d’herbe et de vexer les délicates demoiselles, puis elle tendit l’oreille. Tout d’abord, elle n’entendit rien que le bruissement des feuilles dans les arbres. Mais en écoutant mieux, elle crut percevoir un son de clochette, qui s’interrompit alors qu’elle se redressait de surprise. Patiemment, la petite fille se repencha dans l’herbe, cessant de respirer, et le bruit de clochette revint, qui se multiplia en plusieurs, et s’accrut si bien que la petite fille eu grand peur.

Il lui semblait que toutes les fleurs voulaient communiquer avec elle, mais l’ensemble devenait si bruyant que Stella ne parvenait guère à décrypter un mot de ce charmant brouhaha.

Peu à peu, le bruissement général se transforma en sons distincts, qui semblèrent exprimer des choses précises, et la jeune fille entendit des mots qui n’étaient pas ceux de notre langage habituels. Elle crut reconnaître ce langage, et cela la troubla beaucoup.

Les fleurs semblaient parler dans une sorte de chant, avec une finesse d’expression inconnue au langage humain. Chaque mot était un sentiment que toute tentative de traduction semblait devoir dénaturer.

Mais puisque tu as pris la peine de suivre cette histoire, cher enfant, nous allons tâcher d’apaiser ta curiosité naturelle, et traduire en mots du mieux que nous pourrons ce qui se dit entre les fleurs et Stella.

« Stella » entendit la petite fille, elle discerna alors parmi la foule de fleurs variée, une pivoine odorante qui se balançait vers elle, et que toutes les autres semblait écouter avec attention. « Tu es une des nôtres, petite fille » dit la fleur « tu fus l’une des notre dans un temps ancien, et tu as décidée de venir en humaine sur cette terre afin d’apporter notre grâce et nos vertus, voilà pourquoi tu prends soin de nous avec une grande passion, et voilà d’où te vient ta grande beauté. Avant que tu ne quittes notre royaume, nous te promîmes de venir te rendre visite afin de te rappeler tes réelles origines »

C’est alors que la plus forte et la plus belle des roses du jardin se balança gracieusement vers Stella comme pour la saluer. La fillette eut les larmes aux yeux sans savoir pourquoi. Un doux murmure parcourut l’assemblée.

La reine des fleurs s’avança, et dans un chant suave qui inspirait le respect, prit la parole : « Notre langage, Stella, tu le connais au fond de toi et tu le comprends, parce qu’autrefois tu l’employais comme nous, et ton ouïe a gardé la finesse de notre condition. Tu étais la plus courageuse et la plus intrépide de nous toutes, et nous sommes venues te remercier pour ton courage, ta loyauté et ta profonde intégrité. Nous sommes venu te donner chacune un don, afin de t’accompagner durant le voyage de la vie, que tu verras semé des embûches de l’existence »

Avant même la fin de ce discours, la petite fille se sentit secouée de sanglots. Elle sentit son cœur vibrer et embrassa une à une ses sœurs retrouvées, dans une nuée de balancements émus.

C’est alors que d’intenses formes lumineuses se dégagèrent des fleurs et tournèrent une à une afin d’éclore une à une en de minuscules… fées ! Chacune de leur robe était fidèle au pelage de la fleur qui l’avait abritée. Elles voltigeaient élégamment autour de Stella et certaines venaient se poser sur ses mains ou jouaient dans ses cheveux, si bien que la fillette crut qu’elle rêvait encore.

« Nous sommes les âmes des fleurs » lui rappela la reine dans un gracieux sourire. Un homme-fée à la couleur mauve du chardon sauvage passa devant elle en voltigeant et expliqua gravement : « A chaque fois qu’une fleur et arrachée ou meurt, nous nous envolons vers d’autres bulbes en devenirs. Nous donnons la teinte des pétales selon notre robe et notre particularité. Tu étais, toi, une toute petite violette, la plus hardie de toute »

Ce petit peuple se tenait à présent par centaine devant Stella, et toutes les fleurs du jardin semblaient réunies dans leur riche diversité. La fillette aurait voulu revêtir elle aussi sa jolie robe finement sculptée, et s’envoler avec eux tous. Elle était abasourdie devant tant de lumière, et de beauté.

Toutes ces impressions de grâce et ce langage lui semblèrent si familier, qu’elle fut triste un instant à l’idée que cette visite resterait l’unique de son existence terrestre.

Devinant ses pensées, les fées virent une à une auprès d’elle, dans un élan de consolation, et déversèrent sur elle, chacune leur tour, une fine poudre dorée. « Voici chacune de nos qualités respectives, qui illustrent le sentiment que nous incarnons. Notre complétude nous permet de vivre en harmonie » lui expliqua une fée à la robe de bouton d’or « ils te donneront la force d’être une lumière vivante dans ce monde»

Enfin, la reine fée, la plus grande de toute, en robe pourpre de velours comme la rose aux mille pétales, lui fit cadeau d’un minuscule collier de perles nacrées. « Le nacre est la teinte de notre peuple, car il brille sans éblouir par trop de vanité, souviens-toi toujours de cela durant ton existence, chère enfant »

Le petit peuple se mit à entamer un chant commun et très doux, très lent, qui émut profondément Stella. Elle se mit à chanter avec eux, car bien qu’elle ne s’en fût jamais rappelée auparavant, elle le connaissait du fond de sa mémoire.

La fillette s’aperçut alors qu’elle ne touchait plus l’herbe du jardin, ses petits pieds nus étaient légèrement au-dessus du sol, et frôlaient la rosée naissante. Stella se sentie de plus en plus lourde et fatiguée, et le petit peuple disparaissait doucement à ses yeux.

Elle vit leurs lueurs s’envoler dans le lointain soleil de l’aube. Ses pieds touchaient terre, le jardin lui apparaissait dans sa beauté matinale et toute terrestre : Les éclats somptueux et l’atmosphère particulière de la nuit passée se dissipaient, laissant place à la sensualité fraîche et vive de l’aurore.

De retour dans sa chambre, Stella ouvrit la main et découvrit que le collier de perles n’était plus qu’une poignée de sable parsemé de minuscules cristaux de nacre. Elle rangea religieusement ce trésor, parmi toutes les reliques de ses escapades d’enfances.

Entendant sa grand-mère s’affairer en bas, la petite fille descendit la trouver et entreprit de lui raconter son aventure sous la forme d’un rêve.

Marco le vieux jardinier, vint les interrompre, annonçant qu’ils approchaient de la saison froide. Il avait retrouvé le matin même la plupart des fleurs du jardin fanées. «Probablement un gèle précoce » expliqua-t-il.

Stella s’enthousiasma et termina de raconter son rêve. Elle fit le lien entre les deux événements d’un air si sérieux que le jardinier éclata de rire. Il allait riposter, lorsque la grand-mère, l’interrompit : « Allons, je vous prie, n’allez pas troubler cet enfant dans ses fabuleuses rêveries. Vous et moi avons perdu l’usage de rêver, mais cela fait-il de nous des êtres plus raisonnables ? Cette faculté de l’enfance n’est pas une déraison, mais le développement d’une intelligence subtile dont seul le cœur connait la légitimité et le sens. C’est une chance, que je me garderais bien de lui ôter avant qu’elle ne se trouve confrontée aux mœurs étroites de notre société sans poésie. Cette petite est une âme délicate, et les mystérieux dons de l’enfance doivent être cultivés chaque jour de la vie ».

FIN

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Première peinture : Hidden Cottage II. Thomas Kinkade
Photo : Delta de la Lyre

Dame Ormiel