« Tous mes écrits sont pour ainsi dire des tâches qui me furent imposées de l’intérieur. Ils naquirent sous la pression d’un destin. Ce que j’ai écrit m’a fondu dessus, du dedans de moi-même. J’ai prêté parole à l’esprit qui m’agitait. Je n’ai jamais escompté que mes ouvrages déclenchent une forte résonance. Ils représentent une compensation apportée à mon monde contemporain et il me fallait dire ce que personne ne veut entendre. »

Carl Gustav Jung figure parmi les grands explorateurs dans la conscience chez qui l’on retrouve l’exigence constante de développer ses réflexions tout en prenant en compte leurs liens avec la Totalité, dans une perspective intégrale pourrait-on dire de nos jours. Son travail semble en cela particulièrement pertinent à (re)découvrir en ce début de XXIème siècle ou sapiens prétend tout savoir sans pourtant prendre le temps de se questionner suffisamment sur ce qui est à connaître ni sur ce qu’est la connaissance.

Ainsi serions-nous parvenu à la fin de l’histoire et ce n’est plus qu’une question de temps avant que les dernières questions sur l’existence aient trouvé une réponse ou plutôt que l’on ait développé un nouveau divertissement rendant caduc tout questionnement existentiel. Et pourtant, à l’heure où nos satellites supervisent chaque centimètre carré de notre belle planète et où nos déchets s’accumulent des plus hauts sommets aux abysses les plus profonds, notre esprit demeure une terre étrangement méconnue susceptible de fasciner tous les esprits assoiffés de découverte et d’aventure.


En cette aventure, les découvertes scientifiques comptent autant que les explorations introspectives. Le travail de CG Jung est consacré à ce deuxième aspect de la connaissance de Soi et sa trajectoire est indubitablement riche en enseignements et en inspirations. « Ma Vie » est un travail qu’il décide de corédiger vers la fin de sa vie. Il s’agit en fait d’une approche du « mythe de sa vie » et non une autobiographie au sens habituel du terme. Ainsi, tout au long des pages, on le sent encore porté par une recherche continue sur le sens de son être et de sa trajectoire, sur ses liens à la totalité, sur ce qu’est un être humain et plus important encore ce qu’est être !

Dès sa plus tendre enfance, Jung se trouve confronté à ce qu’il appelle son numéro 2, une voix intérieure qui le pousse à penser et à agir en des voies dont le sens prend du temps à se délier. Il tend ainsi très vite à donner de l’attention à ses manifestations inconscientes, qu’il s’agisse de rêves ou de symboles et manifeste très tôt l’intuition que « la ‘connaissance réelle’ repose sur un instinct ou sur une participation mystique avec autrui. On pourrait dire que ce sont ‘les yeux de l’arrière-plan’ qui voient, dans un acte impersonnel d’intuition ».

Tout au long du livre, on peut suivre la genèse et le déploiement de sa vie et de son œuvre et les liens profonds entre l’une et l’autre. Jung incarne ce qu’il écrit d’une manière profonde, ce qui donne un rayonnement particulier à ses écrits… De ses études à ses voyages nombreux (Afrique du Nord, Amérique Latine, Kenya, Ouganda, Inde…) en passant par sa conception de la vie après la mort (si tant est que l’on ait une vie avant la mort : comme il l’écrit : “La vie non vécue est une maladie dont on peut mourir”), on ne peut s’empêcher d’être admiratif devant un esprit qui manie un intellect exigent et un sens de l’émerveillement presque enfantin… J’ai souvent pensé à Jodorowsky et à sa psychomagie dans les expériences dont Jung témoigne aussi bien dans son enfance que dans la construction de la tour de Bollingen, véritable tentative de matérialisation de sa psyché.

Malgré cela, on ne sent nullement poindre d’accents ni moralisateurs ni dogmatiques dans sa pensée. On sent la verve de l’homme en recherche, de l’esprit inspiré, et non les pesantes recommandations de celui qui prétend avoir trouvé. A l’image du reste de son œuvre, la lecture de « Ma Vie » invite fortement à l’introspection, ainsi qu’à l’expression de notre altérité. Bien que sans cesse préoccupé par la mise en avant des convergences entre les différents mythes et les différentes spiritualités portées par notre espèce, Jung demeure un fervent défenseur de l’individualité : « J’aurais eu l’impression de commettre un vol si j’avais tenté d’être instruit par les ‘saints’ et d’accepter, pour moi, leur vérité. Leur sagesse est à eux, et à moi n’appartient que ce qui provient de moi-même. »

Alors que les syncrétismes et autres spiritualités low-cost ont le vent en poupe pour combler notre manque de profondeur, cette approche demeure particulièrement pertinente. Je laisserai Jung conclure et vous invite à lire cet ouvrage par vous-même à l’heure où

« nous vivons plus dans l’avenir, avec ses promesses chimériques d’âge d’or, que dans ce présent que l’arrière-plan d’évolution historique n’a pas encore atteint. Nous nous précipitons sans entrave dans le nouveau, poussés par un sentiment croissant de malaise, de mécontentement, d’agitation. Nous ne vivons plus de ce que nous possédons, mais de promesses ; non plus à la lumière du jour présent, mais dans l’ombre de l’avenir où nous attendons le véritable lever du soleil. Nous ne voulons pas comprendre que le meilleur est toujours compensé par me plus mauvais. L’espérance d’une plus grande liberté est anéantie par un esclavage d’Etat accru ; sans parler des effroyables dangers auxquels nous exposent les brillantes découvertes de la science. Moins nous comprenons ce que nos pères et nos aïeux ont cherché, moins nous nous comprenons nous-mêmes et nous contribuons de toutes nos forces à dépouiller l’individu de ses instincts et de ses racines, si bien que devenu particule sans masse, il n’obéit plus qu’à l’esprit de pesanteur. »

ML (2018)Source: unmultiple.wordpress.com

Marko