Bien que plus modeste en taille que le WWF, Greenpeace peut sans problème revendiquer son statut de « multinationale verte », avec ses 27 bureaux nationaux et un budget total de 170 millions d’euros en 2007 pour 2,7 millions d’adhérents. Greenpeace dirige une petite armée de 1400 salariés et de 10.000 volontaires qui lui a permis, à la différence notoire du WWF, de devenir l’organisation écologiste la plus médiatique au monde et sans doute la plus connue. Paradoxalement, elle reste aussi sur de nombreux aspects la plus mystérieuse.

En effet, l’aventure de Greenpeace commence modestement avec un petit groupe de militants qui, en 1971, s’embarque sur un bateau pour s’interposer et empêcher la réalisation d’un essai nucléaire américain dans le Golfe de l’Alaska. Ces militants ont une excellente idée : ils embarquent également six journalistes et une équipe de télévision de la chaîne CBC. En 1972, les Etats-Unis abandonnent les essais nucléaires atmosphériques, offrant ainsi aux combattants écologistes une première victoire. Pour Bruno Rebelle, ancien dirigeant de Greenpeace France, cet événement est « l’élément structurant du mode opératoire ».

Ce mode opératoire va trouver toutes son ampleur quand ce groupe d’écologistes, baptisé désormais « Greenpeace », décide de mener campagne contre les essais nucléaires français à Mururoa. Là, ils sont rejoints par un certain David McTaggart, futur grand boss de l’organisation. En 1973, les militaires français arraisonnent le Véga, le bateau de Greenpeace, et brutalisent McTaggart qui perdra partiellement l’usage d’un œil. Les images de l’agression, prises par un membre de l’équipage, seront reprises dans la presse internationale. Voilà pour le mythe fondateur de Greenpeace – la suprématie de David sur Goliath –, modèle qui sera par la suite sans cesse reproduit. Maintenant, comment cette poignée de militants barbus est devenue en quelques années une multinationale verte, avec des financements très importants, personne à ce jour n’a encore réussi à résoudre cette énigme.

Derrière le mythe fondateur de Greenpeace

Malgré quelques évolutions depuis ces dernières années, Greenpeace a été profondément marqué par la personnalité de David McTaggart, qui pendant plus de vingt ans a orienté le destin de l’ONG écologiste. Comme l’explique Craig Breheny, auteur d’un ouvrage élogieux sur Greenpeace, « (McTaggart) deviendra un modèle pour tous ceux qui suivront. McTaggart fixera les règles de l’engagement, la détermination et la concentration. Il définira et personnifiera l’“écoguerrier”. » Toutefois, même Breheny s’interroge : « Pourquoi au début des années 70, David McTaggart décide-t-il de s’amarrer à Greenpeace pour s’engager dans une lutte qui va absorber le reste de sa vie ? Cela n’a jamais été bien clair. »

En fait, si McTaggart arrive avec son bateau en Nouvelle-Zélande en 1972, c’est avant tout parce qu’il devait fuir les retombées de plusieurs affaires immobilières foireuses qu’il avait entreprises aux Etats-Unis. C’est ainsi que du jour au lendemain, il quitte sa femme et ses affaires, laissant derrière lui d’importantes dettes personnelles et esquivant un procès intenté par les victimes de ses escroqueries. Sa rencontre en Nouvelle-Zélande avec Bennett Metcalfe, cofondateur de Greenpeace, est tout aussi peu romantique. McTaggart propose son aide à Metcalfe en échange de 10.000 dollars pour réparer son bateau. De plus, peu de temps après, McTaggart est emprisonné pour contrebande de montres suisses. Il est libéré grâce au paiement de la caution par Metcalfe, et se joint alors à l’équipée écologiste contre les essais nucléaires français.

Quelques années plus tard, en 1977, McTaggart fait un putsch : il fonde sa propre branche de Greenpeace, créant des bureaux à Paris et à Londres avant d’installer le siège de Greenpeace International à Amsterdam. Le groupe originel des fondateurs de Greenpeace, emmené par Patrick Moore, décide en 1979 de poursuivre en justice McTaggart afin de l’empêcher d’utiliser le nom de Greenpeace. En vain. McTaggart est seul maître à bord, et pour longtemps.

Une structure pas très démocratique

Dès la prise de contrôle de Greenpeace, David McTaggart va installer une structure autoritaire qui perdure encore aujourd’hui. Pour Nadège Fréour, du Centre de politologie de Lyon, Greenpeace a « une structure hiérarchique et centralisée, laissant peu d’autonomie aux composantes de base », ajoutant que « la prise de décision est exclusivement confiée à un nombre restreint de directeurs exécutifs, au niveau international et dans les différents bureaux nationaux, qui dépendent eux-mêmes étroitement du siège d’Amsterdam. » Cette structure, beaucoup d’anciens responsables de Greenpeace l’ont dénoncée. Par exemple, Bjorn Oekern, ancien directeur de Greenpeace Norvège, a déclaré qu’« aucune démocratie ne peut exister dans Greenpeace. C’est une structure pyramidale où tout se décide en haut, exactement comme dans un système militaire. » Philippe Lequenne, ancien directeur de Greenpeace France, explique que « Greenpeace International décide de ce qui se fera en France et l’organisation fait preuve d’un intégrisme inouï. » François Breteau, autre dirigeant de la branche française de l’ONG, témoigne dans le même sens : « C’est un système très fermé qui fonctionne de façon non démocratique et avec beaucoup d’argent. »

Selon ce que rapporte Nadège Fréour, « l’association justifie ce système “verrouillé” par la crainte d’une annexion de Greenpeace par infiltrations (de la part d’un parti politique notamment), que permettrait un système plus démocratique. » Pour Bruno Rebelle, ancien dirigeant de Greenpeace France et Greenpeace International, ce type de structure a un autre avantage : l’efficacité. Il se souvient en effet que, suite du naufrage de l’Erika, Greenpeace France a pris seul la décision d’agir, seulement une demi-heure après avoir été informé de la catastrophe, « alors que les autres associations attendaient leur prochain conseil d’administration pour décider de ce qu’elles devaient faire ! »

Et comme à l’armée, la règle est de suivre les ordres sans broncher. Bruno Rebelle défend cette forme d’organisation et pense visiblement qu’il ne faut pas s’embarrasser de débats avec les militants : « On ne va pas changer nos grandes lignes d’action parce que certains militants ne sont pas d’accord. Si ça ne leur convient pas, ils s’en vont. » D’ailleurs, comme le rappelle Antoine de Ravignan, journaliste à Alternatives Economiques, Greenpeace « n’avait pas hésité, en 1985, puis en 1991, à limoger les têtes du bureau parisien pour cause de divergences avec le bureau international. » Et même le très écologiste Jacob von Uexküll, fondateur du Prix Nobel alternatif de l’environnement, avait été mis en dehors de Greenpeace sous prétexte qu’il avait nui à l’image de l’ONG. Il avait en fait simplement suggéré que quelques-uns des millions récoltés soient consacrés à des projets écologistes en mal de ressources…

Big business vert

Question business, il semble que David McTaggart ait eu davantage de succès avec Greenpeace qu’avec ses affaires immobilières. Il est vrai que tant qu’il a été le grand patron de Greenpeace, et même un peu après sa retraite, l’aspect financier a été un aspect prédominant dans les campagnes de Greenpeace. Pour Jacky Bonnemains, ex-président de Greenpeace France, « Greenpeace est devenu la caricature du nouveau riche. Ils ne savent pas quoi faire de leur argent mais ils le gardent soigneusement. » Pour sa part, Bjorn Oekern déclarait en 1993 que « toute personne imaginant que l’argent de Greenpeace est dépensé pour l’environnement fait fausse route. Ils ne voyagent qu’en classe affaires, mangent dans les meilleurs restaurants et mènent une vie de jet-set écologiste. (…) La principale raison expliquant la priorité accordée aux baleines, c’est que cela rapporte de l’argent. » Il faut tout de même reconnaître que Greenpeace na pas toujours misé sur le bon cheval. En 1991, la prise de position contre la Guerre du Golfe a fait chuter le nombre de membres de la branche américaine, de 1,2 million à 400.000, entraînant une vaste restructuration de l’association.

Néanmoins, le plus gênant vient des révélations de l’ancien comptable de Greenpeace Hollande, Frans Kotte, dans un documentaire intitulé The Rainbow Man (1993) et réalisé par le journaliste Magnus Gudmundsson. Kotte explique que Greenpeace avait plusieurs comptes secrets de quelques dizaines de millions de dollars, alimentés par les différentes campagnes. Selon lui, ces comptes étaient ouverts au nom de sociétés écrans et n’étaient accessibles qu’aux plus hauts responsables de Greenpeace, dont David McTaggart. Or, toujours selon Klotte, cet argent était joué dans diverses opérations de spéculation sur les marchés internationaux. De plus, Kotte révèle que les 20 millions de dollars versés par la France à Greenpeace, suite à l’affaire du Rainbow Warrior, se sont retrouvés sur le compte d’un mystérieux Ecological Challende Fund, dont le gérant était David McTaggart. Ce fait est d’autant plus choquant qu’à l’époque McTaggart n’avait plus officiellement de responsabilités au sein de Greenpeace. Interrogée pourquoi celui-ci contrôlait encore cette somme d’argent, la nouvelle dirigeante de Greenpeace de l’époque répondit simplement : « Parce que nous lui faisons confiance. »

Enfin, toujours dans les années 90, il a été documenté que plusieurs branches de l’ONG n’utilisaient qu’entre 5 % et 9 % des fonds dans les campagnes proprement dites. Il est clair qu’aujourd’hui, du moins dans les comptes officiels tels qu’ils sont présentés, Greenpeace a fait quelques progrès. En 2005, par exemple, l’organisation française annonçait que 46 % des ressources allaient aux campagnes. A l’échelle mondiale, les coûts concernant la collecte de fonds absorbent quand même 26 % des revenus. Bref, quand on fait un don à Greenpeace, plus d’un quart de cet argent est utilisé à chercher d’autres dons. A titre de comparaison, les grandes associations françaises de lutte contre le cancer ou de lutte contre la pauvreté consacrent environ 9 à 10 % à la collecte de dons, et entre 65 et 75 % de leurs revenus à des activités.
L’action directe « non violente », la marque de Greenpeace

Comme le souligne Nadège Fréour, « l’association écologiste ne travaille pas principalement dans un objectif de mobilisation citoyenne ». Elle a en effet toujours privilégié ce qu’elle appelle l’action directe non violente, et s’il le faut au mépris de la loi. Dans un éditorial de Greenpeace magazine datant de 1994, on peut lire que « lorsque les valeurs écologiques à défendre sont évidentes, l’entorse à la loi est alors légitime ». Greenpeace confie en général ses opérations coups de poings à des « pros » de l’action directe, recrutant auprès de certains milieux assez éloignés normalement des préoccupations écologistes et pacifistes. Par exemple, L’Humanité rapportait ainsi en septembre 1995 la nouvelle action de Greenpeace contre les essais nucléaires français : « Les militants antinucléaires interpellés dans la nuit de lundi à mardi sont, selon l’armée, des Anglais anciens des SAS (Special Air Service), les commandos britanniques. Ce sont des gens “habitués à des opérations qui n’ont rien d’écologique”, a-t-on commenté au SIRPA. »

En revanche, Greenpeace s’est toujours officiellement opposée à la violence ou la destruction de biens, comme dans le cas des fauchages de champs d’OGM. Enfin, presque toujours puisque dans un éditorial de 1979 du magazine de Greenpeace Chroniques, on pouvait lire : « A la longue, que cela plaise ou non, il faudra bien recourir à la force pour lutter contre ceux qui continuent à détériorer l’environnement. » Des conseils qui seront suivis d’effets, puisque des militants de Greenpeace collaboreront étroitement dans les années 90 avec l’association écologiste radicale Earthfirst! engagée dans l’écosabotage et revendiquant l’action violente.

Mais le plus important pour Greenpeace,c’est de rechercher avant tout une action qui puisse avoir un fort impact médiatique et renforcer son image de marque. Car pour Nadège Fréour, « les dirigeants de l’association (..) sont les dépositaires d’une véritable marque “Greenpeace” ». Elle précise : « La communication de l’association est entièrement confiée à des professionnels et centralisée au sein du bureau londonien “Greenpeace Communication”, qui gère notamment la production et la diffusion d’images des actions spectaculaires minutieusement orchestrées : ce procédé lui permet de fournir “clés en main” aux médias des images agréées, qui véhiculent le point de vue privilégié par l’organisation ».

Des méthodes de pression douteuses

Les responsables de Greenpeace envisagent aujourd’hui leurs opérations spectaculaires en dernier recours, quand les discussions sont au point mort. Bruno Rebelle, l’ancien dirigeant de Greenpeace France, estime que « les actions de confrontation représentent 10 à 15 % de notre temps de travail et absorbent 20 à 25% de notre budget ». En fait, c’est devenu un moyen de pression vis-à-vis de certaines entreprises ciblées par l’ONG écologiste, qui pourrait presque s’apparenter au racket. En gros, Greenpeace soumet à une entreprise « une proposition qu’elle ne peut pas refuser », et si l’entreprise refuse de courber l’échine, les troupes de choc écologistes seront envoyées pour mener une action spectaculaire et médiatique. Contrairement à d’autres associations, cette politique de ciblage est la spécialité de Greenpeace, comme le reconnaît Bruno Rebelle : « Les femmes et les hommes de Greenpeace sont, de fait, moins à l’aise dans les débats généralistes (…) que dans une action de confrontation pour dénoncer les agissements d’une entreprise clairement nommée, à un endroit déterminé. »

Ce mode d’opérer a par exemple fonctionné à merveille avec l’entreprise Lapeyre, en ce qui concerne la vente de bois tropicaux. Greenpeace France l’a ciblée avec comme objectif de lui faire adopter la norme FSC (Forest Stewardship Council), « pour une exploitation durable de la forêt ». En 1999, les dirigeants de Lapeyre refusent, prétextant que leur bois était déjà certifié auprès d’un autre organisme brésilien. Comme le relate le journaliste Antoine de Ravignan, « début 2000, les magasins Lapeyre sont pris d’assaut par les militants, qui mènent une opération d’étiquetage sauvage des bois importés. » Quelques mois plus tard, Lapeyre cède, reconnaissant que certains fournisseurs de l’organisme brésilien ne respectaient pas toujours les normes. C’est évidemment tout bénéfice pour Greenpeace, car, comme par hasard, le Forest Stewardship Council est dirigé par le WWF, les Amis de la Terre et… Greenpeace. Et il va de soi que les services du FSC sont payants.

Dans le domaine des OGM, Greenpeace a procédé de la même manière avec le distributeur Auchan. Dans un premier temps, l’ONG écologiste demande par courrier qu’Auchan retire tous ses produits pouvant contenir des OGM mais aussi les produits carnés issus d’animaux nourris avec des OGM. Auchan s’y oppose et, en octobre 2002, les écoguerriers envahissent plusieurs supermarchés Auchan en collant des étiquettes « Nourri aux OGM ? », action qui sera suivie d’une pétition intitulée « Pas d’OGM dans mon assiette ». Depuis, Auchan retire progressivement des rayons les produits estimés indésirables par Greenpeace. C’est sans doute le prix à payer pour obtenir une « paix verte ».

Les nouveaux habits de Greenpeace

Après l’ère McTaggart, Greenpeace va vouloir se donner une image plus sérieuse et, à l’instar du WWF, essayer de devenir un interlocuteur dans les négociations tant avec les entreprises qu’avec les pouvoirs publics. En 1991, Thilo Bode, l’influent directeur de Greenpeace Allemagne et futur dirigeant de Greenpeace International, déclare en effet : « Nous sommes un groupe de pression politique, pas une association de randonneurs. » Depuis une dizaine d’années, Greenpeace s’est investi dans un travail considérable d’expertise et de lobbying, complémentaire aux coups médiatiques. En 2001, Maurice Strong, premier directeur du Programme des Nations unies pour l’environnement, a salué cette évolution dans son livre Ainsi va le monde : il estime en effet que Greenpeace a « posé quelques gestes constructifs, bien que moins connus, telle l’élaboration d’énoncés de politiques crédibles et professionnels au sein de plusieurs organisations internationales ». Il conclut que « Greenpeace a joué un rôle considérable en politisant des enjeux et en ralliant l’appui politique. » Ce changement de stratégie a été spectaculaire lors de la conférence de Johannesburg en 2002. Greenpeace a en effet signé avec le World Business Council for Sustainable Development, réunissant 160 grandes multinationales, un texte appelant les gouvernements à appliquer intégralement le protocole de Kyoto. Vu par certains comme une compromission de la part de Greenpeace, son directeur, Gerd Leipold, a rappelé : « Nous n’avons pas d’alliés ni d’ennemis permanents. On peut faire une alliance exceptionnelle avec le Big Business et, le lendemain, dénoncer la politique du chimiste américain Dow Chemical. »

Si le rôle de Greenpeace dans la négociation des politiques environnementales est désormais reconnu, il est aussi décrié par certains acteurs clés du monde de l’environnement. Citée par Antoine de Ravignan, Laurence Tubiana, directrice de l’Institut du développement durable et de relations internationales, estime que cette capacité réelle à peser sur le cours des débats confère à Greenpeace – et aux ONG en général – « de nouvelles responsabilités », qu’elles n’assument pas toujours. Elle fait référence à l’échec des négociations sur la mise en œuvre du protocole de Kyoto à La Haye en novembre 2000. Alors qu’un accord était en vue, les ONG, dont Greenpeace, ont mené un lobbying intense contre des mécanismes d’assouplissement tels que les puits de carbone, qui faisaient, selon elles, la part trop belle aux exigences américaines. Or, pour Laurence Tubiana et d’autres observateurs, le résultat a été que la base sur laquelle les Etats ont négocié par la suite était encore plus en retrait.
Expertises ou grosses manips ?

De plus en plus, Greenpeace met en avant son expertise dans différents domaines, expertise souvent citée dans les médias sans beaucoup de discernement. Pourtant, depuis ses débuts, Greenpeace a souvent démontré qu’il était expert pour manipuler les informations et les images. Par exemple, au début des années 80, Greenpeace a utilisé à des fins de propagande un film australien dans lequel on voit deux « fermiers australiens » torturer des kangourous. Petit problème : ils avaient été payés par l’équipe de tournage pour faire ces atrocités. De même, le journaliste Magnus Gudmunsson a montré qu’un film sur les phoques tourné en 1978, avec des scènes de chasse violentes, n’a pu se faire qu’avec une entente entre le chasseur et l’équipe de tournage. Autrement dit, il s’agissait d’une mise en scène.

En 1995, la multinationale verte a été à l’origine d’une manipulation qui a eu davantage de retentissement. A l’époque, Greenpeace avait mené une campagne de grande envergure pour forcer Shell à renoncer à couler l’une de ses plates-formes pétrolières usagées – la Brent Spar – au fond de la mer du Nord. Greenpeace prétendait en effet que la plate-forme contenait 5000 tonnes d’hydrocarbures. Les écoguerriers occupèrent trois semaines la Brent Spar, tandis que les appels à boycott étaient lancés par Greenpeace. Comme le relate L’Express, « Lorsque, en juin, les militants s’enflamment et que les consommateurs allemands boycottent les stations-service, le manque à gagner, pour Shell, s’élève à plusieurs centaines de millions de francs. La société n’a plus qu’à céder, à la fureur du ministre britannique de l’Industrie, qui sait que la démolition sera à la charge de son budget. Or, si le sabordage de l’épave devait coûter 100 millions de francs, la détruire à terre reviendra 4,5 fois plus cher. » Greenpeace s’avoue victorieux. Toutefois, deux mois plus tard, une expertise indépendante menée par Det Norske Veritas démontre qu’il n’y avait aucun danger de couler la plate-forme. A la veille de la publication de ce rapport d’expertise, l’ONG écologiste admet ses torts et le directeur de Greenpeace-UK écrit au PDG de Shell : « Désolé, nos calculs étaient inexacts. »

Plus récemment, en mai 2007, Greenpeace Allemagne révélait dans une récente étude réalisée par ses soins « que les quantités de toxines produites par le maïs transgénique Monsanto MON810, le seul maïs OGM autorisé à la culture dans l’Union européenne, varient de manière considérable et inattendue entre les épis et au cours du temps ». Dans la foulée, Greenpeace ajoute : « Le ministère allemand de l’Agriculture vient d’annoncer que ce maïs OGM présente des risques qui justifient un moratoire sur sa culture et sa commercialisation tant que le processus de réévaluation de cet OGM n’est pas achevé. » D’une part, ce moratoire est une fausse rumeur puisque même les Amis de la Terre reconnaissent que « cette mesure (de suspension) ne devrait pas avoir de conséquences réelles sur la commercialisation du MON 810 » et que « le ministre allemand de l’Agriculture n’a jamais eu l’intention d’empêcher les agriculteurs de planter ce maïs cette année et il leur a laissé le temps de le semer en toute tranquillité. » D’autre part, la Commission du génie biomoléculaire (CGB) a totalement disqualifié l’étude de Greenpeace en juin 2007. Comme le rapporte Agriculture & Environnement : « Les experts de la CGB ont estimé que “le protocole fourni dans le rapport de Greenpeace n’est pas suffisamment détaillé pour juger de la validité des mesures en vue d’une comparaison avec d’autres études”. Les experts ont également relevé que Greenpeace n’avait pas réalisé une “une procédure d’assurance qualité”, ce qui constitue le B.A.BA d’une étude scientifique. »

Greenpeace roule pour qui ?

Certains ont vu dans Greenpeace la main du KGB, les comparant à la pastèque – vert à l’extérieur, rouge à l’intérieur. Et il est indéniable que, dans les années 80, le pouvoir soviétique a soutenu et encouragé l’association écologiste, surtout quand elle dénonçait davantage les missiles à l’Ouest qu’à l’Est. D’autres observateurs, on cru déceler la main de la CIA. En 1991, par exemple, le journaliste autrichien Michael Knessler écrivait que David McTaggart « n’a pas réussi à démentir de façon convaincante les accusations venant de sources françaises selon lesquelles il avait travaillé pour le compte de fonctionnaires américains dans une mission secrète en Amérique latine ». Certains anciens de Greenpeace ont même prétendu que l’association avait reçu 100.000 dollars en 1979 de la CIA pour tester les défenses soviétiques sous prétexte de protestation contre la pêche à la baleine. D’autres enfin y voient simplement une grosse machine opportuniste dont l’un des objectifs principaux est de faire de l’argent.

S’il est difficile de trancher sur cette question (peut-être il y a un peu de vrai dans toutes ces affirmations), il est par contre clair que Greenpeace a contribué depuis sa création à populariser les idées écologistes radicales. Pour Nadège Fréour, Greenpeace participe en effet de cet « écologisme radical », expliquant que « le concept de “développement durable” (…) ne trouve pas (…) grâce aux yeux des membres de Greenpeace ». Et elle ajoute : « Dans une perspective proprement écologiste, ces derniers défendent, en effet, l’idée d’une décroissance, qui représenterait la seule solution pour préserver une planète dont les ressources sont limitées et surexploitées. » D’ailleurs, l’association écologiste brandit constamment l’empreinte écologique et défend, à l’instar du WWF, un discours malthusien affirmant que « les 10 milliards d’habitants que la planète comptera en 2020 ne pourront pas tous vivre comme des américains ou comme des européens ».

Témoignages sur Greenpeace

« Quand je repense à toutes ces années, à tout ce qui s’est passé depuis que nous avons fondé cette organisation, j’ai vraiment l’impression d’avoir créé un monstre, d’être un peu comme le docteur Frankenstein. »

Bennett Metcalfe (co-fondateur de Greenpeace)

– The Rainbow Man, 1993.

« Je pense qu’ils se sont engagés dans de nombreux thèmes, dont beaucoup sont critiquables et certains sur lesquels ils sont totalement butés, comme par exemple avec les OGM. Si ils sont tellement inquiets au sujet de la santé humaine, pourquoi ne s’attaquent-ils pas au tabac ? »

Patrick Moore (co-fondateur de Greenpeace)

– New Scientist, 25/12/1999

« C’est un système très fermé qui fonctionne de façon non démocratique et avec beaucoup d’argent. »

François Breteau, (ancien dirigeant de Greenpeace France)

« La seule obligation de résultat de l’organisation est de faire la une des médias de temps en temps. C’est un système très pervers. L’important est de trouver quelques mots magiques qui feront « tilt » dans l’opinion publique. En outre, Greenpeace International décide de tout ce qui se fera en France et l’organisation fait preuve d’un intégrisme inouï. »

Philippe Lequenne (président de Greenpeace France de 1988 à 1991)

– La Tribune-Desfossé, 03/02/1993

« Ils sont pourris jusqu’à l’os. C’est dommage, on aurait pu faire de grandes choses. »

« Greenpeace est devenu la caricature du nouveau riche. Ils ne savent pas quoi faire de leur argent mais ils le gardent soigneusement pour eux. »

« Je dénonce l’absence de démocratie interne dans Greenpeace. Pour entreprendre la moindre action, les capitaines de ses navires sont obligés d’attendre le feu vert de zozos installés dans un bunker à Amsterdam, qui décident en fonction de je ne sais quel impératif médiatique, politique ou économique. »

« Le pouvoir de Greenpeace provient de la complicité des médias qui raffolent d’images avec un peu de pathos et de science. C’est un cocktail parfait. La démagogie exercée à l’échelle mondiale est le meilleur des financiers. »

Jacky Bonnemains (président de Greenpeace France jusqu’en 1985)

– Le Quotidien de Paris, 13/11/1991

Sur l’intervention de Greenpeace dans l’affaire du Clémenceau : « Oui, c’est une cabale. On peut même parler d’un enthousiasme collectif emmené par une bonne bande d’intégristes de l’écologie qui ont réussi à emporter le morceau parce que c’était trop facile. Certes, la marine nationale, complètement empotée, confuse, a commis des erreurs. Mais les écologistes ne savent définitivement pas faire la part entre le mieux et le nul. »

Jacky Bonnemains (président de Greenpeace France jusqu’en 1985)

– TF1, 16/02/2006

« La façon dont Greenpeace traite les cibles qu’elle a choisies peut clairement être définir comme du fascisme ou du fondamentalisme religieux. Toute personne imaginant que l’argent de Greenpeace est dépensé pour l’environnement fait fausse route. Ils ne voyagent qu’en classe affaires, mangent dans les meilleurs restaurants et mènent une vie de jet-set écologiste. (…) La principale raison expliquant la priorité accordée aux baleines, c’est que cela rapporte de l’argent. »

Bjorn Oekern (ancien directeur de Greenpeace Norvège)

– Reclaiming paradise, 1993.
Sources

Craig Breheny, Le roman de Greenpeace, Ramsay, 1995.

Nadège Fréour, « Le positionnement distancié de Greenpeace », Revue française de science politique, vol. 54, n° 3, juin 2004, p. 421-442.

Antoine de Ravignan, « Greenpeace, entre contestation et négociation », L’Économie Politique 2003/2, n°18, p. 86-96.

Sabine Delanglade, Françoise Monier, « La bataille perdue de Greenpeace », L’Express, 14 septembre 1995.

« Nouvelle action antinucléaire », L’Humanité, 6 septembre 1995.

Thilo Bode, dans une interview donnée à l’hebdomadaire Der Spiegel (1991), cité par P. Auger et J.-L. Ferrante [2004, p.115].

Jacky Bonnemains cité dans Le Quotidien de Paris, 13 novembre 1991.

The Raibow Man, film documentaire de Magnus Gudmunsson, TV2-Danemark, 1993.

Reclaiming paradise, film documentaire de Magnus Gudmunsson, 1992.

Gil Rivière-Wekstein, Agriculture & Environnement, « La CGB récuse l’étude de Greenpeace sur le maïs OGM MON 810 », 14 juin 2007, disponible ici.

Site de Greenpeace : greenpeace.org

La-matrice