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Horse, you turn me Crazy !

J’avais presque 16 ans quand je suis passée la première fois devant le Crazy-horse. J’avais trouvé un job à l’hôtel de la Trémoille juste à côté qui me permettait pendant les vacances de me faire de l’argent de poche.

Souvent, je collais mon nez à la devanture du Crazy horse pour tenter d’apercevoir quelques choses …Bien évidemment, je me faisais tout un tas d’idées sur ce lieu qui était toujours clos à l’heure où je passais et qui me paraissait étrange à moi la sauvageonne des grands espaces qui ne connaissait pas la ville, ni ses lumières de nuit.

Alors, dis mon ange, m’aurais-tu encore fait une farce en me faisant travailler pendant une dizaine d’années dans ce lieu totalement en inadéquation avec mon niveau d’études et ce que j’étais de ma nature intrinsèque..

Quoiqu’il en soit, je me suis retrouvée un soir devant Monsieur Bernardin que m’avait présenté monsieur Louis Camiret, sous directeur du Crazy Horse à l’époque.

Cette année là, Bernardin avait décidé d’entreprendre des transformations drastiques de son cabaret. Du bleu, dans mes souvenirs, il est devenu Rouge vif.

Le rouge couleur favorite du maître des lieux qui lui allait comme un gant dans ce rôle de despote qu’il aimait endosser dans cet espace qu’il avait crée.

Qui était Bernardin ?

J’avoue que du haut de ma vingtaine, il me faisait peur. Je n’étais pas la seule évidemment à craindre son regard et ses paroles.
Il aimait dès le début, cerner son personnel.

A peine j’avais mis ma signature sur le contrat qu’il était arrivé vers moi quelques jours plus tard en pointant son doigt ganté son mon nez :
« – Toi, tu ne vas rester ici ».
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J’avais pleuré alors dans le train qui me ramenait chez moi. Non pas parce que j’avais peur d’être virée mais parce que je ne comprenais pas ce que je pouvais avoir fait de mal.

Les années qui ont passé m’ont apprises que Bernardin s’amusait beaucoup et qu’il fallait pour échapper à ses tentatives de mise en boite, se montrer naturel et faire preuve de personnalité.
Celui qui n’avait pas compris cela, était inexorablement mis au rang de ses esclaves et subissaient des maltraitances verbales.

Evidemment, il payait bien Bernardin et ainsi beaucoup se taisaient et pliaient de peur de se faire virer ou de prendre des mises à pied.
Les mises à pied, ahahahha ! Je me rappelle en avoir pris une de deux jours à cause de Lova. Certains membres de son personnel prenaient jusqu’à 1 ou deux mois de mise à pied (congés forcés sans soldes). C’était la punition si vous ne faisiez pas ce que le maître des lieux demandait.

Je me souviens à l’époque avoir très mal pris la chose. Fort heureusement, les choses se sont arrangées. Bernardin savait tout de même être conciliant et malgré ma timidité et mon jeune âge, et comme je n’ai jamais supporté l’injustice, j’avais été le voir entre quatre yeux et on s’était expliqué. Je crois que ma démarche lui avait plu car pendant les années qui ont suivi, il m’a laissé tranquille. Je n’ai plus subi son joug.

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Mais je ne vais pas parler de lui en permanence. Je n’aimais pas l’attitude de cet homme et je ne l’ai pas regretté lorsqu’il s’est suicidé. La seule chose, c’est qu’aujourd’hui, je pense qu’il a souffert vraiment de solitude vers la fin et qu’il n’avait pas grand monde autour de lui pour l’aider dans ce passage difficile qu’était le vieillissement chez un homme qui pensait tout pouvoir pour toujours contrôler.

Je le remercie tout de même pour ce passage chez lui. Il m’a appris énormément sur l’aspect humain et ce monde d’apparence très nourris par les torpeurs de l’argent, du sexe et du pouvoir.

Disons que j’ai fait mes armes chez lui et qu’il a fait de moi un bon guerrier pour appréhender la vie sans me faire marcher sur les pieds.

Les règles étaient strictes, fatigantes, épuisantes mais comme je l’ai dit plus haut, il y avait de belles compensations, tel que le salaire, le cadre de travail et surtout le fait que le Crazy était the Cabaret !
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Aujourd’hui cela me paraît une époque révolue. Ce qui est très drôle c’est que je suis partie quelques temps après la mort de Bernardin. Ses trois enfants avaient repris l’affaire en main mais ce n’était plus du tout pareil. Aujourd’hui, Le Crazy horse n’existe plus. Ce cabaret a perdu son cachet. Il est mort en même temps que son créateur. Et en ce qui me concerne, mon départ fut comme la fin d’un roman. J’ai refermé la couverture sur une histoire ancienne. J’ai coupé tout contact avec les personnes que je connaissais même celles que j’appréciais. J’ai parfois fait des retours en arrière en croisant des personnes du Crazy mais c’est bien loin tout cela !
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L’oeuvre de Bernardin en quelques mots !

L’œuvre était sans contexte, le mélange des formes dans la lumière en volupté et en grâce.
La beauté était dans la concentration de la dense d’un corps parfait habillé de lumière.
Les lignes du corps étaient transcendées par le mouvement et la musique.

ps : Je ne me serai jamais permise de faire un livre sur le Crazy Horse dans la mesure où je sais que Bernardin n’aurait sans doute pas du tout apprécié cela sans y avoir posé sa griffe.

Et puis, Le Crazy Horse était un contexte, une atmosphère qui ne peut en aucun cas être retranscrite. Il faut l’avoir vécu pour le comprendre.
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Cette photo, Bernardin aimait la regarder.

ps : Désolé pour la qualité de l’image mais ça date !

Ds Ya