Rumeur, calomnie, diffamation…

La rumeur est le plus vieux media du monde… Je ne sais plus qui a écrit : « la rumeur est destinée à combler nos incertitudes ». Mais, en général, elle contribue surtout à nuire à une personne ou à un groupe de personnes…

Le texte de Beaumarchais qui date de 1775, plus que jamais d’actualité, illustre parfaitement les mécanismes de propagation de la rumeurs, les intentions qui animent le « diffamateur » et fait, du même coup, une satyre de la société de l’époque… Mais, ce texte n’a pas d’âge tout comme son sujet et il se lit toujours avec le même plaisir.

Le Barbier de Séville, acte II, scène 8 (extrait).
BARTHOLO
« La calomnie, Monsieur ? »
BAZILE
Bone Deus (1) ! Se compromettre ! Susciter une méchante affaire, à la bonne heure, et, pendant la fermentation, calomnier à dire d’experts (2) ; concedo (3).
BARTHOLO
Singulier moyen de se défaire d’un homme !
BAZILE
La calomnie, Monsieur ? Vous ne savez guère ce que vous dédaignez ; j’ai vu les plus honnêtes gens près d’en être accablés. Croyez qu’il n’y a pas de plate méchanceté, pas d’horreurs, pas de conte absurde, qu’on ne fasse adopter aux oisifs d’une grande ville, en s’y prenant bien; et nous avons ici des gens d’une adresse ! … D’abord un bruit léger, rasant le sol comme hirondelle avant l’orage, pianissimo (4) murmure et file, et sème en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille, et piano, piano (4) vous le glisse en l’oreille adroitement. Le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando (4) de bouche en bouche il va le diable ; puis tout à coup, ne sais comment, vous voyez calomnie se dresser, siffler, s’enfler, grandir à vue d’œil; elle s’élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraîne, éclate et tonne, et devient, grâce au ciel, un cri général, un crescendo (4) public, un chorus (5) universel de haine et de proscription – qui diable y résisterait ?
(1) Bon Dieu.
(2) Calomnier sans retenue et efficacement.
(3) Je l’accorde.
(4) Ces termes de musique empruntés à l’italien marquent le tempo.
(5) Un chœur.

Nous avons fait et nous ferons tous l’objet un jour de rumeurs (notez au passage que la rumeur élogieuse est particulièrement rare) voire, dans des cas plus graves, de calomnies. Que ce soit au sein de la famille, dans le cadre de notre travail, dans notre quartier… Il y a et il y aura toujours quelqu’un pour parler de nous en bien comme en mal.
Mais il arrive plus souvent qu’on ne le pense que ces rumeurs se transforment en calomnies, portant gravement atteinte à notre intégrité morale, à notre image, jusqu’à avoir des répercussions sur notre santé psychique…

Il m’a semblé intéressant de détailler ici les mécanismes de la rumeur, son évolution rapide vers la diffamation et, enfin, d’établir le profil psychologique du « diffamateur » type en m’appuyant sur les travaux du Professeur Million (Université de Floride), spécialiste de ces questions.

Les procédés diffamatoires
Ils reposent toujours sur la même construction.
La personne est poussée par la jalousie, l’esprit de vengeance ou tout autre mobile toujours inavoué.
Dans tous les cas, il s’agit toujours d’un individu décidé à éjecter son semblable.
La victime sert de cible mais le but se trouve ailleurs.
L’agresseur veut toujours détruire une entreprise dont il prend ombrage.

La diffamation : un procédé infectieux
Selon le Professeur Million, il s’agit d’infecter les réseaux de confiance entre les personnes qui se connaissent.
Le but : empoisonner les sources naturelles de la vie sociale.
Pour faire sérieux : dissimuler sa haine derrière un simulacre de bienveillance étonnée.
Pour gagner la confiance de ses confidents : un semblant d’histoire que personne n’a généralement les moyens de vérifier tout de suite.

Comment propager l’infection
Embrouiller les pistes, entremêler le passé et le présent.
Ceux qui reçoivent ces discours cherchent à comprendre. En vain.
Le diffamateur a soin de coller fidèlement à l’histoire dans l’énumération de certains faits saillants.
Ainsi personne n’imagine que d’autres faits, moins vérifiables immédiatement, sont réorganisés selon un chronologie inversée.
Paroles, écrits, photos… séduisants par leur caractère d’authenticité, sont sortis de leur contexte, puis introduit dans une grille interprétative.
Ainsi dénaturés, ils ne signifient plus rien… ou bien tout autre chose.
Il met en évidence et grossit ceux qui servent sa thèse tout en écartant soigneusement ceux qui la contredisent.

Le résultat attendu
Insinuations, adverbes saignants, amalgames, interprétations, analogies, emprunts de toutes sortes :
Autant de propos qui soulèvent l’émotion et s’imposent ainsi à l’auditeur devenu réceptif, comme des évidences…ou plutôt comme des suggestions.
Enfin ces « matériaux » sont reliés entre eux par un raisonnement logique qui va droit au but.
Seuls, quelques esprits forts peuvent exercer là-dessus, leur esprit critique, alors que d’autres en resteront « éblouis ».

Dès lors, deux réactions possibles
Le naïf, friand de scandales ou amateur de situation croustillante, fait confiance les yeux fermés.
Cet éblouissement ne lui permet plus d’entrevoir la réalité telle qu’elle existe objectivement et matériellement vérifiable (ne serait-ce qu’en cherchant une autre source d’information).
Il ne cherchera plus à entendre un autre son de cloche car désormais, il sait, d’autant plus sûrement, qu’il a cru sans avoir vu ni vérifié…

L’autre réaction
Et puis il y a celui qui est capable d’analyser, de prendre du recul et qui aura d’instinct, un mouvement de recul et commencera à se soustraire de façon absolue à l’empire de l’imposteur.
La personne avisée veut en savoir plus long sur les discours qu’on lui tient : elle va s’adresser à d’autres informateurs. Mais d’aucune façon, elle n’ira fouiller dans les ordures qu’on lui présente.
La personne avisée se pose des questions sur la personnalité du diffamateur et ses mobiles.

Les bonnes questions
A qui doit profiter le « crime » ?
Qui a des intérêts à tirer de cette manœuvre ?
Et quels intérêts ?
Qui cherche sa propre publicité ?
Et quelle publicité ?
Les réponses à ces questions vous renseigneront sur le but réel du diffamateur.

La victime
La diffamation est une arme particulièrement dangereuse pour celui qui en fait les frais, selon les psychiatres.
La mise en réceptivité de la victime : le malfaiteur harcèle sa victime sans qu’elle puisse se défendre par tous les moyens (menaces, lettres anonymes, dénonciations, rumeurs) et enfin, publication au grand jour de « pièces à conviction ».
La suggestion : il s’agit d’intimider, de paralyser la personne pour l’affaiblir psychologiquement, physiquement et socialement.
L’univers de la diffamation est morbide, chargé de haine et ces souhaits chargés émotionnellement peuvent pousser la victime à se suicider.

Comment se défendre ?
La victime doit se faire aider car sa position décidera de l’efficacité ou pas de cette entreprise maléfique.

Ou bien elle se met en phase avec l’agresseur : elle entre dans la controverse, elle discute, se justifie = usure des nerfs, obnubilation. La réceptivité est totale. La suggestion réorganise sa perception et peut engendrer des maladies psychosomatiques.

Ou bien la victime se déphase par rapport à l’agresseur : elle ne s’occupe plus de lui, ne s’intéresse plus à ses agissements. Elle s’investit pleinement dans des objectifs personnels et se tient à l’écart d’un faux débat.
Porter plainte est une réaction saine : la seule qu’il faut avoir dans des circonstances déplorables.

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