Sous la pression, Tepco, le gérant de la centrale de Fukushima, commence à révéler le vrai bilan du tremblement de terre et du tsunami du 11 mars. Un inventaire inquiétant.

Trois cœurs de réacteurs de Fukushima ont fondu, vient d’avouer Tepco, l’opérateur qui en possède et en gère 17 sur le territoire japonais. La société, dont le passé est jalonné de mensonges, assure qu’elle a découvert cette réalité il y a deux jours. Tout juste si le communiqué de l’entreprise n’ajoute pas « par hasard ». Alors que la plupart des spécialistes, y compris ceux qui se recrutent dans la sphère pro-nucléaire, ont expliqué depuis longtemps que ces coeurs de réacteurs avaient fondu et que leurs enceintes de confinement n’étaient plus étanches, parce que largement fissurées. Les conséquences de cette réalité avouée mais évidemment pas pardonnée sont très nombreuses.

L’aveu ne vient pas par hasard : le 24 mai, une équipe de vingt experts de l’Agence international de l’énergie atomique (AIEA) doit commencer une inspection des dégâts et de l’état des lieux prévue pour durer une dizaine de jours. Quelle que soit l’indulgence bien connue de l’AIEA, elle ne pouvait que constater, puis faire savoir, que Tepco ment depuis l’accident sur ce qui se passe dans ses installations. Ce que commencent à laisser entendre les journaux japonais pourtant plus ou moins étroitement liés aux milieux industriels et nucléaires. C’est ainsi que le quotidien Yomiuri Shimbun, 11 millions d’exemplaires et plutôt de droite, et son concurrent l’Asahi Shimbun, 12 millions d’exemplaires et vaguement plus à gauche, laissent filtrer quelques critiques et quelques informations ne visant plus seulement à rassurer la population pour le compte du gouvernement.

Le réacteur n°1, le plus touché depuis le début, a fondu très rapidement lorsqu’il a atteint une température de 1 800 degrés. Tout le combustible est concerné, et non pas la moitié comme le prétendait Tepco ; ce combustible forme un magma (le corium) qui continue à ronger le béton séparant le réacteur du sous-sol. Or, il n’existe aucun moyen de mettre fin à cette réaction lente. Laquelle peut finir par répandre la radioactivité dans le sous-sol et entretient évidemment les rejets radioactifs dans l’atmosphère.

Les réacteurs n° 2 et n° 3 sont pratiquement dans le même état : tout simplement parce que la centaine de générateurs mobiles installés sur des camions n’ont jamais pu s’approcher des réacteurs en raison de la très haute teneur en radioactivité régnant à proximité des installations. Tepco a pourtant toujours prétendu que ces spécialistes avaient réussit à rétablir l’alimentation électrique… En fait, les ingénieurs n’ont pu, au risque de leur vie, que faire pénétrer dans les salles de commande un petit câble électrique : il leur a permis de ne plus inspecter les dégâts à la seule lueur de lampes de poche. Autre aveu de Tepco : ce n’est pas le tsunami qui a provoqué l’arrêt automatique des réacteurs mais le tremblement de terre. Une constatation qui concerne les réacteurs de Fukushima et ceux qui sont désormais à l’arrêt et pour lesquels aucune information fiable n’est disponible. Un doute plane désormais sur la réalité des précautions anti-sismiques et leur efficacité.

Pour les trois réacteurs, la température des coeurs oscille entre 1000 et 1200 degrés, la mesure étant approximative en l’absence d’équipements fiables. Comme à Tchernobyl, la réaction nucléaire se poursuit sans qu’il soit possible d’intervenir et sans qu’un terme puisse être fixé à cette situation` ; En Ukraine, 25 ans après l’accident, il subsiste une chaleur résiduelle dans le coeur du réacteur accidenté.Sur le site de Fukushima, les 600 tonnes d’eau déversées chaque jour sur les piscines, les réacteurs et leurs cuves ne paraissent pas modifier la situation, les ingénieurs de la Tepco avouant officieusement qu’il ne savent pas si cet arrosage sert à quelque chose. En revanche, il est certain que les centaines de milliers de tonnes d’eau déversées, une fois hautement contaminées, gorgent le sous-sol de toute la centrale et gagnent les nappes phréatiques. Elles s’écoulent toujours en grande partie vers la mer où l’interdiction de pêche est progressivement élargie, les eaux polluées commençant à descendre vers d’autres villes et vers Tokyo.

Tepco, qui n’en est plus à une mensonge près, assure que la situation sera stabilisée dans les trois réacteurs au mois de janvier 2012 et qu’elle va remettre en route les systèmes de refroidissement. Non seulement cette promesse a déjà été faite il y a un mois, mais comme en plus ces systèmes sont totalement détruits, l’opération est impossible dans les trois réacteurs. D’autant plus que les techniciens, même lourdement équipés de combinaisons de protection et de bouteilles d’oxygène, ne peuvent séjourner dans les zones irradiées qu’une dizaine de minutes avant d’être mis au repos pour plus d’un mois. Evidemment, les volontaires de se bousculent pas…D’autant plus qu’une nouvelle explosion peut se produire à n’importe quel moment.

Les ultimes conséquences relèvent de l’évidence : les trois réacteurs et le périmètre de la centrale continuent de contaminer une zone de plus en plus importante puisque des « taches » de radioactivité sont désormais signalées à 55 kilomètres de la centrale. La dangerosité de Fukushima risque de perdurer au moins une vingtaine d’années si un énorme sarcophage -au coût pharaonique- n’est pas mis en place.

Photo : AFP PHOTO / HO / TEPCO

Claude-marie Vadrot