On pourrait penser que les difficultés majeures sur la voie de la libération de l’être s’égrènent tout au long du chemin en s’amenuisant au fil de la route. C’est vrai pour une part, d’autant qu’il y a pour chacun des paliers personnels qui apportent une fois atteints de grands soulagements facilitant d’autant la progression en aval. Pourtant, c’est alors qu’on pense toucher au but, lorsque nombre de sacs de sable ont été jetés par-dessus bord et lorsqu’on se sent délesté des charges émotionnelles les plus lourdes, au moment même d’embrasser avec légèreté sa liberté retrouvée, qu’il faut réellement se surpasser.

Ne vous y trompez pas, ce moment est l’un des plus délicats car il nous laisse en quelque sorte désemparé face à tant de simplicité. Là où nous avons toujours pensé qu’il fallait combattre, tout soudain nous est donné. En vérité tout nous a toujours été donné, mais pour la première fois, toutes les conditions sont réunies pour que nous en prenions conscience en profondeur. Nous voyons quelque chose que l’on envisageait péniblement au terme de luttes sans fin, à la simple portée de notre main, sans autre effort que de la tendre. L’ego érigé sur l’idée de survivance en perd tous ses repères. C’est un grand vertige dans le mælström duquel retrouver l’équilibre réclame un tout autre niveau de prise de conscience.

Nombreux sont ceux qui poursuivent le vieux réflexe de chercher à l’extérieur une guidance inopportune du moment. La direction d’un gourou ou la pratique d’un rite ont toujours rassuré les inquiets. Pourtant l’heure n’est plus à tout cela et ceux qui s’y livrent s’égarent sur des sentiers dores et déjà abandonnés par l’évolution. L’heure est à la nudité de l’être devant sa divinité. Il est temps pour chacun de se sentir fort en cette nudité, non parce qu’il y aurait une force à exprimer contre quoi que ce soit, mais parce que cette nudité s’inscrit dans l’harmonie du monde comme la lumière d’une bougie se mêle à l’oxygène qui la nourrit. Il n’y a là nulle place pour la peur. Je ne crains pas le froid parce que je SUIS le froid. Je ne crains pas la Nature parce que je SUIS la Nature. Je ne crains pas l’incertitude du lendemain parce que je SUIS le moment présent. Dit autrement, je suis fluide et présent en ce qui m’entoure en chaque instant et je ne me projette plus dans les errances apeurées du mental.

Parce que notre conditionnement fait qu’il est difficile de croire en un « nous » sans limites, notre principal obstacle sur la route reste encore nous-même. A travers l’identification totale de l’être à son ego, nous qui avons longtemps vécu sur cette Terre nous sommes définis à travers les luttes menées, les passions déchaînées et les souffrances créées. Ce, depuis des temps très reculés. Dans les cas les plus aigus, ceux qui ont vécu des vies – celle-ci comprise – dans la lutte pour la survie physique et/ou psychologique, et qui n’ont pas évacué à ce jour les charges émotionnelles liées à cette expérience, le moment d’embrasser sa liberté peut créer jusqu’à une perte totale d’orientation, un vertige identitaire pouvant entraîner une solide dépression. Il convient pour ceux-là de porter leur conscience sur les raisons de cette puissante sensation de perte.

Ce sentiment est une illusion, une manifestation désespérée de l’ego qui ne trouve plus les repères qui ont balisé son édification. Soyez sûr que le désagrément provoqué n’en est pas moins un évènement des plus positifs sur le chemin. C’est le passage qui marque la perte d’équilibre du Moi et de la réalité falsifiée qui l’a bâti. C’est là le seuil exact où embrasser sa liberté, mais le pas à franchir réclame une foi sans faille et l’énergie une fois encore de se transcender. Il est demandé de marcher droit jusque dans l’œil du cyclone, où le silence fait place au tumulte, où l’être se retrouve en son essence quand l’ego affolé tournoie en vociférant tout autour. C’est en ce lieu de paix où l’émotion est neutre qu’il est possible de rassembler les pièces éparses de notre puzzle individuel, y compris celles qui constituent le Moi – l’ego qui est une part non négociable de nous – de reconnaître la forme de l’instant présent et de le dissocier des tourbillons émotionnels du passé. Là en son œil, en ce lieu de pouvoir que nous avons reconnu, nous voyons alors mourir notre cyclone égotique, faute de l’énergie des tourments dont nous le nourrissions jusque-là.

Ah qu’il en compte des lames à son couteau ce Moi douloureux. Et que le conditionnement social a su les aiguiser ! Si le masculin a du mal à lâcher le besoin de contrôle et donc de domination qui est l’une de ses manifestations préférées, il est à noter à quel point le féminin se débat mal avec l’affirmation de sa place et la préservation de l’intégrité de son espace vital. On peut penser que les êtres qui ont voulu s’incarner en femme dans cette vie qui clôt le cycle avaient quelque chose de définitif à dépasser en ce sens. C’est que le poids supporté par le collectif féminin durant cette ère de patriarcat tyrannique a marqué en profondeur ses corps émotionnels. Quelle que soit la forme que revêt cette difficulté, prendre sa place est devenu le passage obligé pour les femmes qui ont vécu l’effacement et souvent même l’écrasement. La confiance en soi étant alors gravement altérée, l’effort demande un grand courage et la lumière sera en proportion. Mais n’oublions pas que la part du féminin chez l’homme connaît la même épreuve et qu’il a donc à sa mesure lui aussi à dépasser les peurs de cette expression du féminin en lui.

L’instant où se révèle le miroir

Ce vertige insondable au seuil de la liberté, cette sensation illusoire mais puissante de perte de l’identité est un avant-goût de l’abandon ultime qui nous habitera au moment de ce que j’ai évoqué dans un autre article, le passage du chas. A ce moment du chemin de la libération, nous ne serons plus dans une réorientation de notre être du Moi vers le Soi, comme lorsqu’au centre de l’œil du cyclone, nous serons dans l’absolu, dans la perte totale et nécessaire de tout ce qui nous semble encore tangible afin de renaître littéralement à ce que je ne peux appeler autrement que notre divinité. C’est le moment tant attendu du retour à l’Unité, l’instant où se révèle le miroir qui articule le haut et le bas. Pour le mental, la compréhension de ce moment est si paradoxale qu’elle demeure insaisissable, avec lui inutile d’essayer d’en débattre. S’il ne fallait en retenir qu’une chose, ce serait qu’il est possible de rester Un dans le Tout, qu’il est possible de fusionner sans perdre ce qui constitue notre individualité. Ce n’est un paradoxe que pour le mental.

Vaincre sans combattre la faiblesse de notre croyance en nos capacités et la force de notre croyance en nos limites passe encore une fois par la prise de conscience de notre pouvoir créateur en chaque instant de notre quotidien. Toutes les cellules de notre corps de matière sont comme tous les êtres vivants du collectif auquel ils appartiennent. Dans l’état actuel de ce que nous sommes encore pour peu de temps, une cellule malade, dysharmonieuse, affecte celles qui lui sont proches tout comme une cellule rayonnante de lumière peut guérir toutes celles qui l’approchent, même en pensée. Notre corps est une formidable machine électrique, magnétique et chimique qui transforme nos pensées en autant de potentiels d’harmonie ou de dysharmonie qui nous concernent tout autant qu’ils impactent l’ensemble du collectif humain, et à fortiori ceux qui nous sont plus étroitement liés. L’impact en question est fonction de la résonance émise par chacun. Et chacun est à la fois émetteur et récepteur.

C’est ainsi que nos pensées négatives font de nous des êtres destructeurs, malades et vieillissants. C’est ainsi que nos pensées positives font de nous des êtres créatifs, en bonne santé et positivement nourrissants pour autrui. Le processus qui présente à notre expérience les évènements de nos vies et qui donc les conduit, est aussi simple que cela. Ses ramifications, elles, sont innombrables et parfois si subtiles qu’elles ne sont observables qu’indirectement, voire pas du tout de notre plan de conscience.

Notre pouvoir créateur lui, n’est jamais autre chose que le reflet du regard que nous portons sur toute chose. Comme déjà expliqué dans d’autres articles de «L’Eveil», la nature de ce regard est le point de départ de tout évènement de notre existence, elle est le filtre primordial qui détermine chacune de nos pensées et par conséquent chacun de nos sentiments. Et ce sont ces sentiments qui nous habitent d’où naissent les émotions qui rendent la matière de nos cellules et celle des autres misérables ou rayonnantes.

Percevez-vous la nature décisive de notre apport sur la matière ? Pressentez-vous l’omnipotence des échanges en jeu et la cohérence magnifique qui préside au vaste mouvement ? Mesurez-vous à quel point nous ne subissons rien d’autrui mais nous créons tout ? Voyez-vous dans le microcosme de notre intimité tout ce qui a bâti les millénaires de l’expérience humaine et comprenez-vous que jusqu’au bout de l’expérience nous déterminerons de notre entière responsabilité l’issue choisie ? A chaque fois que nous ouvrirons les yeux à l’aube naissante, nous déterminerons par le regard que nous choisirons de porter sur la création où nous sommes nés, ce que nous serons en nous et en son sein : heureux-malheureux, bourreau-victime, triste-joyeux, serein-tourmenté, confiant-terrifié…

Pour ceux qui ont pris le chemin de la grande mue que Gaïa a entamée, c’est aujourd’hui un choix de l’éternel présent, en aucun cas la somme des passés révolus. S’il en est qui choisissent de continuer à pleurer sur ce qui n’existe plus, c’est seulement qu’il leur reste à larguer quelque lourd sac de sable dont le poids a été mal estimé ou qui était bien caché. Il n’y a pas de mal en ce cas à se faire aider si l’effort semble au-delà du possible, une guidance n’est pas toujours excessive, elle est aussi la main qui sauve dans l’instant, il importe juste de ne pas s’y enchaîner. Sur les autres plans, vos guides sont vos amis et vos égaux, ils ont pour mission de vous aider sur le chemin de votre âme qui n’est pas souvent celui que votre Moi veut suivre. Ayez confiance en eux que vous connaissez bien et que vous avez choisi pour vous accompagner, demandez-leur de placer sur votre route ce qui sera pour vous la meilleure aide pour avancer. C’est très exactement ce qu’ils attendent et c’est très exactement ce qu’ils feront.

Quelles que soient les incompréhensions devant les apparences parfois difficiles de la réalité perçue, personne, jamais personne, n’est laissé sur le bord du chemin. Peu importe ce qu’il advient, c’est toujours très exactement la résonance d’une situation précise créée par une multitude de stimulis dont nous sommes pleinement responsables et dont il ne nous sera jamais fait grief. Notre existence ici-bas est une toile pointilliste dont seul le recul, l’élévation, révèle le sens et l’ensemble, la compréhension qu’elle est en ses profondeurs l’exact reflet du dehors. C’est là le vrai visage de l’éveil : l’élévation de l’être au-delà de sa condition préhumaine, l’acceptation sincère et profonde de son humaine divinité.

Le Passeur