Mis en examen pour abus de faiblesse

Décryptage Changement de statut judiciaire pour l’ex-président, qui a été confronté hier à l’ancien majordome de la milliardaire par le juge Gentil, à Bordeaux.
Par Renaud Lecadre

Un coup de tonnerre a retenti hier soir au tribunal de grande instance de Bordeaux. Nicolas Sarkozy, après plusieurs heures de confrontation avec au moins quatre membres du personnel de Liliane Bettencourt, a été mis en examen pour abus de faiblesse par le juge Jean-Michel Gentil. L’ancien président, qui croyait avoir échappé aux poursuites après sa première audition, le 22 novembre, comme témoin assisté, se retrouve cette fois clairement suspecté d’avoir bénéficié des largesses de l’héritière de L’Oréal. Cette mise en examen, alors que le magistrat s’apprête à clore le dossier Bettencourt, ouvre la voie d’un renvoi de Nicolas Sarkozy devant un tribunal correctionnel.

Ce rebondissement intervient après une série de confrontations, notamment avec Pascal Bonnefoy, le majordome de Liliane Bettencourt. Le magistrat cherchait à savoir si l’ex-président a bénéficié ou pas lors de sa campagne présidentielle de 2007, des fonds de l’héritière de l’empire L’Oréal. L’avocat de Nicolas Sarkozy, Me Thierry Herzog, a qualifié de décision «incohérente sur le plan juridique, et injuste» la mise en examen de son client. «Je saisirai en conséquence immédiatement la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Bordeaux pour former un recours et pour demander la nullité, notamment de cette mise en examen», a ajouté l’avocat.

À quoi bon une confrontation ?

En juin, peu avant de quitter l’Elysée, et l’immunité présidentielle, Nicolas Sarkozy avait transmis à la justice ses agendas, qui ne mentionnent qu’un seul rendez-vous au domicile des Bettencourt en janvier 2007, quand des employés de maison témoignent de contacts aussi multiples qu’informels. Le majordome, par ailleurs auteur des enregistrements clandestins de la milliardaire, a déjà eu l’occasion de valider ce rendez-vous lors d’une audition en décembre : «J’étais très fier d’accueillir» Nicolas Sarkozy au domicile des Bettencourt. Mais pour y voir monsieur ou madame ? L’ex-président s’est déjà autodédouané sur ce point : «Bien sûr que j’aurais pu rencontrer André Bettencourt ; quel est le problème ?» Monsieur, décédé en novembre 2007 avec toute sa tête, n’avait pas la réputation d’un distributeur d’enveloppes. Mais madame… Le mondain François-Marie Banier notera dans ses carnets en avril 2007 ces propos prêtés à Liliane : «On me dit que Sarkozy m’avait encore demandé de l’argent ; si je dis oui, comment être sûre qu’on le lui donne bien ?»

Cette confrontation pourrait avoir viré au vaudeville : Sarkozy ayant déjà affirmé sur PV qu’il n’avait ce jour-là rencontré qu’André Bettencourt, il est demandé au majordome si, au gré de l’enfilade des petits salons de leur hôtel particulier, il n’a pas pu aussi croiser Liliane… Dans la même veine, Nicolas Sarkozy aura vocation à être confronté avec l’ex-femme de chambre de Liliane Bettencourt, qui a affirmé avoir, ce jour-là, conduit madame auprès du futur président.

Une autre employée de maison, gouvernante de son état, aurait confié que, lors de cette visite, Sarkozy serait venu chercher de l’argent. L’employée aujourd’hui décédée, ses propos – apocryphes ?- sont depuis relayés par l’ancien chauffeur des Bettencourt : «Elle m’a dit textuellement qu’il était venu demander des sous à madame.»

Un financement politique ?

La cause est entendue, les Bettencourt ont financé la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. De façon légale, quitte à quadrupler le plafond autorisé de 7 500 euros (monsieur et madame signant chacun deux chèques distincts à l’UMP et à son association de financement). Quid du reste ? Les enquêteurs en sont réduits à rapprocher les nombreux retraits d’espèces en Suisse, effectués début 2007 par le grand chambellan des Bettencourt, Patrice de Maistre, suivis de rendez-vous avec Eric Woerth, trésorier de l’UMP avant de devenir ministre du Budget après l’élection de Nicolas Sarkozy. Des concomitances troublantes – dont une participation de De Maistre à une soirée du Premier Cercle (l’une des structures de financement du candida UMP) sitôt franchi le Léman – qui ne sauraient constituer, à ce stade de l’enquête, une preuve judiciaire. Entendu par les enquêteurs, Woerth a pu déclarer en toute décontraction : «L’argent rentrait bien.»

Que risque Nicolas Sarkozy ?

Rien au titre d’un financement illicite de sa campagne présidentielle. Les faits éventuels sont prescrits au bout de trois ans, donc depuis le printemps 2010. Reste l’abus de faiblesse, délit puni jusqu’à trois ans de prison et 375000 euros d’amende. Au même titre qu’à d’autres pique-assiette, il lui est reproché d’avoir profité des largesses de la milliardaire octogénaire. Lors de sa première audition, en novembre, Nicolas Sarkozy avait nié en bloc avoir constaté l’état de faiblesse de son interlocutrice lors de leur rendez-vous de janvier 2007. «Quand je la vois, je n’aperçois aucun signe apparent de cela. Elle est bien habillée, elle ne bégaie pas. Elle ne dit aucune invraisemblance», avait-il assuré au juge. Hier le personnel de maison de Liliane Bettencourt a peut-être contredit l’ex-président, au point de convaincre le juge de le mettre en examen.

Mikado