Extraits:

Il est là encore évident que Michel Vâlsan envisageait un organicisme
authentiquement spirituel, mais il est non moins certain que ce dernier possède
une « face obscure » ; et ce qui nous importait, c’était de montrer la résorption
des différentes traditions orientales, au niveau ésotérique, en une unique Réalité
symbolique — assimilée en l’occurrence au Roi du Monde « agartthique ».

Le plus notoire des « mages » en vue était un moine tibétain (l’un de ceux évoqués par Jean
Parvulesco ?) qu’un reporter de la Berliner Zeitung avait surnommé à la suite d’une
interview retentissante, « Der Mensch mit den grünen Handschuen », autrement
dit l’Homme aux gants verts. Il avait prédit à plusieurs reprises, avec une exactitude
stupéfiante, le nombre de députés que les nazis enverraient au Reichstag. L’agent
secret français qui signait « Teddy Legrand » et mourut (lui aussi !) empoisonné, a
rapporté dans les Sept Têtes du Dragon Vert (éd. Berger-Levrault, 1933), sa visite au
Mage, en compagnie d’un de ses collègues de l’Intelligence Service.

« Dans la pénombre, ses ornements sacerdotaux lançaient des feux et scintillaient
comme une «châsse», « Mais je ne vis, dans cet ensemble, tout d’abord, qu’un détail,
un seul, les gants verts, montant jusqu’aux coudes, et phosphorescents, d’une clarté
semblable à celle des lucioles.
Les paroles, pourtant, furent nettes et prononcées, on peut m’en croire, en
excellent anglais d’Oxford.
« Quoique vous ne soyez. Messieurs, ni l’un ni l’autre de ma race, la main verte
vous est tendue, puisque vous apportez les clefs qui ouvrent les cent dix serrures du
Royaume secret d’Agartthi, (…)
Ainsi, nous étions bien en face d’un de ceux dont l’action occulte entraîne l’Europe
vers le chaos. En face d’un de ces fameux Verts, dont nous affirmons l’existence ; En
dépit des plaisanteries incrédules de ceux qui dirigent officiellement les nations.

Et le plus curieux, comme nous l’avons vu, est que la véritable confrérie à l’œuvre
derrière ces ténébreux mystères — et qui « actionnait » une quantité de filiales plus
ou moins subalternes — avait pourtant été explicitement dénoncée par Walther Rathenau,
durant sa courte agonie, après l’attentat perpétré contre lui : « Les
soixante-douze qui mènent le monde… » Phrase inachevée que les amateurs de
complot ressassent sans comprendre sa signification réelle. Car enfin, pourquoi
précisément 72 ? Rathenau aurait pu parler d’une oligarchie, d’un groupe, de tout
ce que l’on voudra. Mais 72… Pas un de plus, pas un de moins !
« Il est, quand même, assez curieux — écrivait Teddy Legrand, qui «brûlait»
— que ce nombre de 72 revienne à chaque instant… sitôt qu’il s’agit de ces fameux
Verts. « …Réalité ou bien symbole ?
« (…) N’est-il pas, pourtant, significatif que ce nombre joue un rôle fort
important en occultisme et en Kabbale et qu’il accompagne dans la Bible les idées
de destruction, de domination absolue ? »
Nous sommes le premier, avons-nous la faiblesse de penser, à avoir révélé quelle
réalité se dissimulait derrière ce vocable des « 72 » — le nombre légendaire des
compagnons du dieu Seth. Le fait que nous en ayons développé, dans Seth, le dieu
maudit, la justification métaphysique, ne nous empêchera pas, ici, de mettre en
lumière l’aspect terrible et destructeur des mystères séthiens dans le domaine
temporel. Et cette apparente contradiction n’étonnera que ceux qui ignorent ou
négligent la théorie traditionnelle de l’ambivalence des symboles. Il s’agira donc ici,
en somme, de l’ombre de Seth, de son « double de ténèbres ».

Tout comme son ami Haushofer. Trebitsch, « éminent représentant des 72 ou
des « Verts », n’ignorait rien du plan pangermaniste, dont il soulignait ainsi les
modifications conjoncturelles, (Il se pourrait bien d’ailleurs, disons-le en passant,
que Bagdad, représentant en l’occurrence un certain monde arabe, ait retrouvé tout
son intérêt aux yeux des concepteurs du « plan de 1945 », Le testament d’Hitler le
laissait déjà prévoir.)
Adolf Hitler, dont les témoins rapportent qu’il serra chaleureusement la main de
l’émigré hongrois, devait faire son profit des grands axes géopolitiques déterminés
par Trebitsch. Quant à ce dernier, il faut savoir qu’en dehors bien sûr de son
rattachement « majeur » à la lignée des 72 (nous allons y revenir abondamment), il
fut initié au Tibet en juin 1930. Il devint ainsi le vénérable Chao Kung.

En 1939, il prophétise en ces termes, dans une
brochure rédigée en français, en allemand et en anglais : « Le Roi du Monde, qui vit
au Tibet, déclenchera contre vous, sans préjugé, prédilection ou faveur quelconque,
des forces et des puissances dont l’existence même vous est inconnue et contre
lesquelles vous serez sans recours… Les chefs d’État ne sont que des êtres humains,
donc sujets à toutes les imperfections de la nature. Seuls les maîtres suprêmes
bouddhistes, par leur connaissance infinie et illimitée des secrets de la nature, par
leur aptitude à utiliser certains pouvoirs, échappent à ces limitations et peuvent
décider du sort de la terre… ».
Trebitsch avait nom à l’époque Dordji-Den et affirmait avoir reçu l’initiation
lamaïque supérieure au monastère de Séra, à proximité de Lhassa. Ce qui, compte
tenu de ce que nous savons déjà, laisse entendre qu’il avait reçu deux initiations au
Tibet. Quoi qu’il en soit, il affichait le pieux désir de fonder un temple bouddhiste
dans les Alpes et se répandait en propos et aphorismes d’une haute spiritualité… On
comprend combien un tel « agent d’influence » (disparu en octobre 1943 dans des
circonstances aussi mystérieuses que Sebottendorf) pouvait être précieux à Hitler,
au début de sa mission, de sa quête inversée du Graal.
De même que le Mahdi islamique, nous l’avons dit, n’est pas le « Guide » (…le
Führer) comme on le croit communément, mais le « Bien Dirigé », de même cette
évidente préfiguration de l’Antéchrist qui eut nom Adolf Hitler n’était pas un mage
dictant les règles du jeu occulte, mais avant tout un instrument. Tout démontre
qu’il n’était qu’un pion sur l’« échiquier des forces de l’ombre », comme l’a si bien
dit l’historien américain Michael Edwards dans son Dark Side of History. Et ceci,
encore, est dans l’ordre… ou dans le désordre des choses. Guénon n’a-t-il pas écrit
dans un livre prophétique, le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, que
l’Antéchrist serait le plus illusionné de tous les êtres. Comment donc son précurseur
pourrait-il être autre chose qu’un pion ?

Comme rien n’est laissé au hasard, dans le drame cosmico-humain qui se déroule
sous nos yeux, le masochisme d’Hitler — bien au-delà d’une simple curiosité
« psychologique » — répondait à une obscure nécessité métaphysique :C’est que la
caverne agartthique où réside l’archétype du « Roi du Monde » ou du « Prince de ce
Monde » est essentiellement régie par le principe féminin, comme l’a bien vu Bulwer
Lytton dans La race qui nous exterminera.

Par une inversion symbolique assez frappante, alors qu’Eve tut tirée d’une côte
d’Adam endormi, aux origines de la Création, c’est la « Femme Écarlate » évoquée
dans l’Apocalypse qui éveillera le Roi qui dort « comme en un sépulcre » en attendant
l’Heure. Alors qu’elle était au début du cycle dans un rapport de sujétion à son égard,
c’est elle, selon la loi de l’analogie inverse, qui le dominera à la fin de ce même cycle.
C’est pourquoi la Femme Écarlate est représentée chevauchant, dominant la Bête
de la Terre, c’est-à-dire, selon le symbolisme hindou, le Mahachoan, le Seigneur du
Feu (souterrain) de la Création. En effet, la Femme Écarlate, qui est encore la Bête
— à sept têtes — qui monte de la Mer, la « Grande Prostituée qui est assise sur les
grandes eaux » (Apoc. 17, I), est le personnage clef de l’Apocalypse. La Bête de la
Terre qui se manifeste après elle et s’identifie au « Faux Prophète », c’est-à-dire à
l’Antéchrist, lui est explicitement subordonnée, on vient de le voir, et son rôle est de
susciter l’adoration à son égard.

Depuis la révélation de Rathenau — le ministre allemand des Affaires
étrangères assassiné en 1922 — les mystérieux « 72 » censés diriger le
monde ont tenu en échec la sagacité des commentateurs.

Jean Robin