Avec tous les guillemets que nous pourrions mettre autour de ce mot, être spirituel est encore un clivage, une haute sélection fabriquée par l’ego en mal d’appartenance.

En poursuivant dans ce type de qualification, nous entrons dans un monde segmenté : les êtres « ignorants » tout type de remise en question, les être « psychologues » se méfiant des êtres « spirituels », les êtres « spirituels » au-dessus des autres, les êtres « religieux » et les êtres « malicieux », les êtres « corporels », les êtres « temporels » et les êtres « tempérés », les êtres « éperdus de Dieu », les êtres « cyniques et pour cause »…

chacun ramenant à lui les commentaires indispensables pour prouver que son identité est de toutes la meilleure.

Je me pose cette question : pour quelle raisons séparons-nous les individus en catégories ? Question qui n’est peut-être ni spirituelle, ni psychologique, ni philosophique, à moins qu’elle n’entre dans l’un de ces compartiments. Peut-être d’ailleurs que lorsque nous sommes « spirituels », nous ne nous posons pas ce genre de question puisqu’il s’agit de démasquer l’ego, peut-être même pensons-nous avoir le droit de nous poser certains types de questions et pas d’autres. Et lorsque nous sommes « ignorants » ? Cela doit être pareil, je présume. Et lorsque nous sommes « fonctionnaires », il doit y avoir aussi des questions que nous ne devons pas nous poser afin de rester dans les normes de cette situation.

Je m’inquiète, je ne suis plus moi-même, j’ai perdu ma perception et suis passée dans un mode duel, fragmentaire. Une peur se réveille : celle de ne pas correspondre à la norme collective généralement partagée et votée par le plus grand nombre.

J’ai peur que la question que je me pose soit hors propos, peut-être ne devrais-je pas me la poser ?

Quand on est « spirituel », que convient-il de faire et d’être ? Est-ce que je conviendrais ? Mince, je me rends compte que je m’inquiète pour moi, et si je m’inquiète peut-être est-ce le fait de trop réfléchir sur ma personne.

Peut-être ne faut-il pas réfléchir et juste démasquer l’ego. Peut-être que je ne me pose pas les bonnes questions ? Je dois trop me considérer.

Peut-être faut-il être intelligent pour être spirituel ? Je dois être profonde et légère, sérieuse et spirituelle. Oui, mais qu’elle est la recette docteur, pourriez-vous me prescrire une ordonnance. Je me perds dans ce labyrinthe d’idées sur ce comment je dois être.

Mon mental tourne comme un manège et passe en revue toutes les qualités indispensables pour être « spirituel ». Je me prends la tête.

Dois-je faire une liste de toutes les qualités nécessaires pour être « spirituel » ? Ah… je m’y perds… Je m’y noie… Glou, glou… Adieu lumière et soleil et brins d’herbe et pâquerettes et éléphants et vaisselle…

Du coup, je n’ai plus trop envie d’être « spirituelle » ! …d’être… et quelque chose après.

Pour quelle raison séparerai-je les individus en catégories ?

Parce que j’ai peur de réfléchir par moi-même, j’ai peur de la solitude.

Parce que j’ai besoin d’appartenir à un moule, d’être reconnu par le groupe, le maître, le professeur d’université, mon psychanalyste, et ma tante qui appartient à l’enseignement originel de la discrète et humble école libératrice non-duelle qui a hébergé les plus grands maîtres de tous les temps et qui aujourd’hui même divulgue ses connaissances sur l’éveil.

DES QUE NOUS NOUS IDENTIFIONS A UNE IMAGE, et celle-ci peut-être l’identification à la non-identification, au silence, au méditant, au pratiquant de yoga, au médecin sans frontière, nous recherchons une reconnaissance. Nous disons sans nous l’avouer : «reconnaissez-moi ».

Même dans ce désir de démasquer l’ego, notre regard est tourné vers l’autre. Qui recherche cette reconnaissance sinon l’ego construit sur les croyances et blessures de l’enfant. Nous sommes, à tel point, pris par ses croyances, que nous ne voyons pas que c’est lui qui tient les commandes et provoque la réaction, et notre aveuglement

l’identification. Enfant qui tourne désespérément son regard vers ses parents (père et mère bien sûr, mais aussi société, voisin, amant, épouse…) afin d’y chercher la sécurité, l’amour et la reconnaissance dont il a besoin.

Mais peut-être qu’un être « spirituel » n’a pas à se demander si ses réactions sont la résultante de l’identification aux mémoires de l’enfant toujours présentes en lui, puisqu’il a pour seul désir de démasquer l’ego, puisque l’objectif est le détachement, la mort de l’ego…, puisque ces mémoires n’existent pas, et puisqu’elles ne sont qu’illusions.

OBJECTION VOTRE HONNEUR, peut-être que ces mémoires ne sont qu’illusions, il n’en demeure pas moins que j’y suis identifié, que dans chacune des situations de ma vie, elles reviennent à la charge, et que j’aimerais tout de même bien savoir ce qui se passe en moi et comment le chou fait la choucroute !

En d’autres termes, comment (les mémoires de) l’enfant provoque(nt) tout ce paquet d’identifications et de désir de qualifications.

Les libérés vivants nous disent de nous connaître, mais pour cela, ne devons-nous pas comprendre ce qui se passe en nous, analyser, sans forcément entrer dans la théorisation, sans forcément avoir besoin de mentaliser la situation.

Il y a un clivage entre le soi-disant spirituel et le soi-disant analyste.

Sous prétexte que l’analyse ne permette pas la désidentification, le spirituel la critique sans la connaître vraiment.

Sous prétexte que la spiritualité soit une fuite, l’analyste la critique sans la connaître vraiment. Nous sommes dans le monde des apparences.

Nous avons construit un archétype si puissant au sujet des libérés vivants et au sujet de l’être « spirituel », que nous ne pouvons les voir tels qu’ils sont mais tels que nous les pensons être. Voir, pour moi, signifie analyser, me rendre compte : quelles idées m’empêchent de voir le réel ?

Si ma résonance est l’enseignement non-duel, si je suis attiré(e) par cette ouverture, et cependant pris(e) par mon histoire, par mon vacarme mental qui m’indique mon manque de contact avec moi-même, comment fais-je pour me connaître ?

Et comme la tentation est grande de me prendre pour un être « spirituel », une fuite bien tournée me permettant de prétendre me connaître ?

Cependant, me connais-je vraiment ?

Tel maître dit d’aller à la racine de l’identification, mais pour y aller, encore faut-il voir en soi l’identification, la reconnaître, comprendre à quoi nous nous s’identifions, et je rajouterais : qu’est-ce qui est à l’origine de l’ego.

Nous ne pouvons être observateurs de nos mécanismes réactionnels que lorsque nous les connaissons. Tant que nous ne savons pas à quoi nous nous identifions, nous pouvons penser très rapidement et très facilement que nous sommes libre de l’ego, détaché(e), spirituel(le)…

Malgré le fait que dans ce milieu, un travail sur soi (j’entends psy) semble « inutile », puisqu’il ne crée pas de révolution et nous laisse dans l’identification, je suis allée voir de moi-même cette approche.

Qu’y ai-je découvert ? La concrète connaissance de soi. Je dois bien sûr préciser ce que j’entends par « concrète connaissance de soi » : connaissance de mes réactions, de mes jugements, de mes peurs, de mes résistances, du scénario qui se joue depuis l’enfance.

Compréhension que la sincérité est dépendante des jugements, et ceci est, tout de même, de première importance :
MES JUGEMENTS M’EMPECHENT D’ETRE HONNETE AVEC MOI-MEME,

plus je suis prise par des jugements, donc des exigences, et moins je peux être sincère, et plus je rentre dans des leurres, entre autre celui-ci : je crois être sincère,

compréhension que le scénario vécu dans l’enfance est le noyau autour duquel s’est construit l’ego, compréhension que cette partie (l’enfant) a besoin d’être aimée et de reconnaissance,

et que si je ne réponds pas à ce manque intérieur, si je ne me tourne pas vers lui, il me promènera de maîtres en maîtres, de disciplines en disciplines, de techniques en techniques, de religions en philosophies…

que ce besoin même me révèle cet amour inconditionnel qui vit en moi. Je remercie ce manque, ce sentiment de ne pas être aimé, ce sentiment de non-reconnaissance, je me tourne vers cette partie blessée faite de croyances et de peurs et lui donne l’amour et la reconnaissance dont elle a besoin,

même si cela semble encore une identification à un personnage, même si cela semble fragmentaire. Cela m’est égal, je suis avec moi, je reconnais ce qui se vit en moi et l’accompagne avec la perception que j’en ai, et avec tout le manque de maturité que l’on pourrait y déceler. En cet instant, il n’y a plus de désir d’être autrement que comme le dedans se vit, il n’y a plus de désir de maturité, ni d’éveil, ni d’être « spirituel ».

IL NE NOUS EST PAS ENSEIGNE COMMENT NOUS DEVONS NOUS Y PRENDRE POUR ETRE SINCERE. NOUS PARLONS SANS CESSE D’EVEIL, DE SPIRITUALITE, DE LACHER-PRISE, NOUS PARLONS FORT JOLIMENT AVEC NOTRE INTELLECT, MAIS LE PREMIER PAS, LE TOUT PREMIER PAS NE NOUS SAUTE PAS AUX YEUX TELLEMENT NOUS SOMMES AVIDES DE RECONNAISSANCE :
LA SINCERITE.

On met la charrue avant les bœufs. On met le spirituel avant la sincérité.

La sincérité se révèle lorsque nous comprenons combien nos jugements nous en séparent. D’où la nécessité de les connaître.

Qu’y a-t-il de plus important que la sincérité ? Etre sincère, être spirituel ? Être spirituel est un comportement, une attitude en vogue dans les milieux spirituels et dans les milieux des fins esprits. Cela m’importe peu. Je le jette à la poubelle.

Je ne m’encombrerai pas d’un nouveau dictionnaire comportementaliste.

Etre sincère m’importe au plus haut point. La sincérité est une autre façon de parler d’amour et de reconnaissance.

Il n’y a aucune légèreté dans mes propos, le mot amour est tellement galvaudé qu’il en a perdu toute sa saveur, le mot reconnaissance est devenu tellement niais, que nous le regardons avec un sourire moqueur. LA SINCERITE EST UNE AUTRE FACON DE PARLER D’AMOUR ET DE RECONNAISSANCE.

Amour de soi, amour de l’autre ? Amour de ce qui se vit maintenant. Et cessons de voir l’amour d’une seule façon : les bras qui entourent, les bras qui aiment, la tendresse et la compassion, et les yeux qui brillent d’amour… La compassion est l’une des expressions de l’amour, la tendresse en est une autre.

Mais l’amour n’est pas une attitude, n’a pas d’expression spécifique, de comportement unique.

Cessons de mettre l’amour dans un tiroir. Quand l’autre me fait réagir, quand l’autre m’emmerde, que se passe-t-il en moi ?

Regarder cette réaction qui se manifeste, la reconnaître, voir ce qui est touché, atteint, écouter… Et non, parfois le coup de point part sans échéance, il me saute aux yeux comme il défigure « l’agitateur »… dans l’instant je lui rétorque en pleine gueule… à moins que je fasse parti de ceux qui se prétendent être dans la non-violence et posément parler à cet énergumène que je considère sans me l’avouer comme un frère ignorant.

Peut-être cette occasion sera le moment de ce rendez-vous avec moi-même : reconnaître ce qui s’est vécu. Apprendre cette sincérité : quand sur le moment je suis emporté(e) par la réaction, je ne peux pas écouter, ni voir ce qui réagit, je ne peux ni ressentir ni être observateur. Ne pas pouvoir être conscient sur le moment, ne pas pouvoir être observateur de moi-même ne sont pas des tares, qui d’autre que moi-même me juge et me condamne parce que je n’ai pas été foutu de suivre à la lettre les paroles de mon maître.

Plus tard, peut-être, si j’en suis capable, si la résonance a lieu, prendre le temps de revisiter l’événement, la réaction qui s’est manifestée. Plus tard, m’asseoir sur un banc dans un parc, dans un fauteuil chez moi, et regarder ce que l’autre a réveillé en moi de colères et de peurs.

Sans affectivité, sans émotivité.

Etre là avec moi-même, avec cette capacité d’analyse et d’accueil présente en moi. A ce moment, l’autre, je le remercie.

Et si je ne le remercie pas, ce n’est pas un moins. Je quitte résolument le jugement. Mais je ne ferais pas cela pour gagner un point de plus dans la spiritualité et espérer avoir un dix-huit sur vingt. Non, ce retour vers moi, il se fait parce qu’il n’y a rien de plus important. Cela m’habite, il n’y a rien de plus important que ce qui se vit en moi.

Et la sincérité face au démasquage de l’ego ? La sincérité m’amène à dire oui à l’ego, à reconnaître l’attachement, à reconnaître mes jugements, mes peurs, mon avidité, mes mensonges…

C’est reconnaître que je suis pris(e) par l’ego et voir combien cela peut révéler mes jugements : « détache-toi ! », « décidément, tu es toujours aussi aveuglé(e) par ton ego », et un goût de sentence et d’exigence me fouette le corps et le visage : « c’est mal,… je suis coupable,… je dois être détaché(e) ,… je dois lâcher-prise ! ! ! »

Krishnamurti, Jean Klein et tant d’autres ne disent-ils pas qu’un enseignement de seconde main n’apporte rien. Ce que dit l’autre, qu’il soit libéré ou non, est son expérience, ses mots. Ses paroles sont en résonance avec son époque, son vécu, sa façon d’avoir appréhendé le réel et de le vivre.

Ce que dit l’autre peut être un poteau indicateur mais rien de plus. Si de ce poteau, j’en fais une vérité, me voilà pris(e) dans une idée, un concept.

Et ces paroles authentiques pour celui qui les a prononcées vont devenir dans ma tête des certitudes, des idées non vérifiées par moi-même. Je m’en remets à l’autre, certes, mais jamais à moi-même. Où est l’humilité ? Où est la prétention ?

Je ne peux faire l’économie de ressentir en moi si les paroles d’Untel, qu’il soit un grand maître ou non, m’habitent. Et il est certes aisé, si je m’en remets aux paroles d’autrui de devenir astucieux(se) de pensées habiles et intelligentes, mais aucune ne sera habitée par ma perception, par mon véritable accord.

Si je ne fais pas les expériences qui me sont indispensables de faire, sous prétexte qu’elles ne font pas parties de ce chemin, si je reste attaché(e) aux dires de mon maître, jamais je ne pourrais écouter ce qui se vit en moi.

Je penserais à travers lui, comme lui. Le seul avantage pour l’esprit en demande de reconnaissance, c’est que « ça fait bien ! » Je serais reconnu(e) par l’entourage du maître, par les anciens, par les plus sages, par les plus proches…

Et si je ne correspond pas, si je dis oui à ce qui se vit en moi et que cela semble en opposition avec les paroles du maître, me voilà désigné(e) pour un(e) ignorant(e), un(e) immature, un(e) qui n’a rien compris…

Les paroles du maître, il faut les mettre au placard, les paroles des plus instruits et des plus sagesses et des plus matures aussi et surtout les paroles de ceux qui se prétendent savoir. Mais cela ne peut avoir lieu que lorsque je me rends compte qu’en moi-même se trouve la possibilité de me connaître et de me voir, sans plus d’exigence ni d’idée de devenir. Cela, j’ai à le découvrir.

Nous le savons pour l’avoir entendu de la bouche des dits« libérés vivants », par rapport au verbe être, nous ne pouvons dire que ce que nous ne sommes pas.

Cependant, cela, nous devons le ressentir, et voir que dès que nous partons dans un « je suis » et quelque chose après, notre sang ne fait qu’un tour : nous voilà au carnaval des apparences.

Encore qu’au carnaval, nous savons que nous nous sommes couverts d’un masque. Je ne juge pas ce mécanisme identificatoire, je le nomme, le démasque, et certes, ce n’est pas un plus de le démasquer, ce n’est pas un moins d’être dans l’illusion. Juste là où nous en sommes : maintenant, j’en prends note.

Il ne s’agit pas d’être spirituel ou d’être ordinaire ou que sais-je encore, il s’agit, et je m’en réfère bien sûr à ma perception, de se rendre compte que nous cherchons constamment à nous objectiver en nous disant être quelque chose.

DES QUE JE ME SAIS ÊTRE QUELQUE CHOSE, cela va de soi : je quitte le « je ne sais pas », je rentre dans un archétype. Voir cela.

Je deviens un superbe étalon, la diseuse de bonne aventure, un maître, je suis QUELQU’UN. Nous nous identifions tellement à ce que nous vivons que nous voyons la vie de façon cloisonnée : selon les références et vérités auxquelles nous nous raccrochons. Voir cela.

L’un pensera « on combat la violence par la non-violence », l’autre « on combat la violence par la violence ».

Un autre dira : « La maturité vient avec l’âge », … « L’agressivité est à réprimer »… « Il vaut mieux mourir d’une mort naturelle que d’un cancer »… « Pour atteindre l’éveil, il faut faire du yoga, lire Krishnamurti, manger du riz complet, être en paix, parler doucement, ne pas se mettre en colère, étudier les textes religieux »… « Il faut se dégager de toutes nos mémoires ancestrales pour être libéré »… « tu es ce que tu manges »… «

La seule et vraie choucroute est la choucroute d’Alsace »…

Dans tous les cas, être quelque chose, car « ne rien être » n’est en aucun cas envisageable parce qu’insécurisant pour le mental et la personne. Je n’irais pas plus loin, me tournerai vers ce mental et cette personne, je ne les désignerai pas du doigt, j’apprendrai à les aimer tels qu’ils sont, à leur donner la sécurité dont ils ont besoin.

J’écoute cette tendance frénétique car sécurisante à m’objectiver dans une fonction, un état, une norme, les paroles d’un maître.

Alors qu’est-ce qui m’invite à l’écoute ? Y ai-je une responsabilité ?

Puis-je CHOISIR d’être dans l’écoute, d’être dans un désir de me connaître ? Je ne le crois pas. Nous n’y avons aucune responsabilité.

La Vie nous y invite, elle « décide » pour nous. Mais quand elle frappe, elle ne relâche plus son étreinte. Et nous voilà pris par ce désir à tel point que plus rien d’autre n’a d’importance.

ELLE SAIT MIEUX QUE NOUS CE VERS QUOI LE DEDANS DE NOUS ASPIRE. Alors quoi, la fatalité ? Le destin ? Non, rien de cela. Rien. Ce serait encore cloisonner : «tout est écrit d’avance ».

Quand j’en viens à m’interroger sur mon existence, à me poser la question « qui suis-je ? », c’est la Vie qui m’invite à regarder ce dedans de moi, qui m’y invite ou m’y colle ou m’y frappe, selon. C’est l’être (la Vie, Dieu, le Tao, Allah, le Grand Esprit, selon la culture et l’époque) qui me pousse à me poser ces questions.

C’est une résonance. Quand le voisin m’insulte, c’est une résonance. Quand un chien me mord, c’est une résonance. Quand un(e) inconnu(e) m’embrasse, quand je me retrouve près d’un lac en train de pêcher et que le poisson mord, quand je suis touché(e) jusqu’aux larmes à la vue de ce film, quand je suis frappé(e) par la grâce, c’est une résonance.

Ce qui vient, ce qui doit être vécu doit l’être. Cela paraît simpliste, et pourtant, combien nous refusons cette simplicité et y cherchons des justifications, des commentaires, des comparaisons et en faisons des religions, des philosophies et des concepts psychanalytiques et de tous genres… Enfin, quelque chose qui sépare.
Ce qui doit être vécu doit l’être.

Rien d’autre.

Ce que nous en faisons ? Cela doit être vécu, toutes les croyances que nous fabriquons pour ne pas être face à cette évidence : nos justifications, nos commentaires, nos religions, nos philosophies et nos concepts psychanalytiques et …

Ce qui doit être vécu doit l’être.

Est-ce un plus si je me remets en question ?
Certes, non. Je ne peux pas faire autrement. L’ai-je décidé ? Bien sûr que non, la Vie m’y a contrainte.

La Vie a voulu dés mon plus jeune âge que j’y fourre mon nez, que je me martèle de questions. Est-ce une chance ? Non, c’est un fait.

Je n’ai pas pu faire autrement. Est-ce moi qui ait décidé de rencontrer Krishnamurti ou Nisargadatta, ou Jean Klein ? Bien sûr que non, c’est la Vie qui m’a conduite vers eux, c’est une résonance. Pourquoi eux, pourquoi pas d’autres ? Question mentale et raisonnante : ce sont eux.

Et dans l’instant, je renverse mes propos, me moquant d’un seul point de vue. Oui, c’est une chance. Quoi de plus étonnant que cette capacité de pouvoir me regarder, de pouvoir être spectateur de moi-même, de pouvoir sentir la peur sans peur, l’agitation sans agitation ! Quoi de plus surprenant que cette connaissance de soi, que cette désidentification !

Le dedans de moi m’appelle, je ne résiste pas, m’y abandonne. Ai-je le choix ? Non. Suis-je victime de ce que je vis ? Non. Je le vis. Je le vois.

Et le remerciement se révèle… à la Vie,

à la Grâce,

à la Conscience.

Ce qui doit être vécu doit l’être.
Et après ?
Que pouvons-nous faire quand la Vie a emporté un être cher, quand c’est la quatorzième fois que j’échoue dans un entretien d’embauche, quand j’ai gagné au loto, quand ma femme et ma fille sont mortes dans un accident de voiture alors que j’étais au volant, quand je m’ennuie jusqu’à l’angoisse…

Que pouvons-nous faire ?
Que pourrais-je faire ?

Ecouter ?

Et quand la douleur est trop forte et que je crois devenir folle… Puis-je encore écouter ? Non, je suis prise par cet état.

Puis la douleur s’apaise. Alors peut-être que la vie me conduira à l’écoute, et si elle m’y conduit, je ne peux rien faire d’autre qu’écouter. C’est une résonance.

Ecouter

Je suis avec moi.

L’écoute,

et la Vie me traverse, et l’amour et la conscience qu’elle transporte.

L’écoute…

L’écoute ne se définit pas, ne peut se limiter, ne peut se conceptualiser.

Ecouter

Mais encore faudrait-il être sans concept, sans idée.

Ecouter …

Sans l’absence de moi-même ? Cela est impossible. Je dois m’en remettre à l’écoute, à elle seule. Rien d’autre.

Ce n’est pas seulement les oreilles qui écoutent, ni l’intellect, celui-ci me ramènerait immanquablement à des concepts.

Elle englobe la totalité de l’être, du corps. L’écoute vient du dedans… comment dire…peut-être cette formulation : c’est le dedans qui écoute.

Puis-je dire que c’est moi (la personne) qui écoute ?… Cela m’est difficile. Par contre, je peux dire que mes concepts et mes références me coupent de l’écoute.

La personne n’écoute pas, elle ne peut que se référer à des idées, du déjà connu. Je me souviens : je dois m’en remettre à l’écoute, à elle seule. L’ego s’en remet à l’écoute, comme une confiance, un abandon à elle.

Alors, quand je m’en remets à l’écoute, puis-je être encore sérieux(se), ou joyeux(se), ou léger(e), ou libéré(e) ou spirituel(le) (peu importe le sens) ?

Non, cela me semblerait revenir à des idées de comportements, et être antinomique avec « je m’en remets à l’écoute »… Il ne s’agit plus d’être QUELQUE CHOSE, il n’y a plus à être QUELQUE CHOSE. Cette idée ne vient pas, elle ne se manifeste pas.

Elle devient hors de propos.

L’écoute.

Et je me marie à chaque situation, sans idée, il n’y a pas de tiroir en correspondance avec la situation. La situation se manifeste, je suis avec la situation sans m’identifier avec ce « je suis avec la situation ». Une expression émerge, la laisserais-je se manifester ? Cela dépendra de cette « accord » et de cette confiance entre moi et la Vie (Vie qui se manifeste par cette expression). De mon abandon, de mon écoute.

J’écoute cet accord, cette confiance.

Que nous demande cette connaissance de soi ? La sincérité, la rigueur, un esprit vif et acéré, la bienveillance, la passion de voir le monde sans projections, la passion de la réalité, donc le désir de voir nos projections, donc le désir de voir nos croyances, concepts, certitudes, et peurs, la patience désintéressée, sans espoir d’arriver quelque part. C’est dire toutes les qualités nécessaires à cet « œuvre d’art ».

J’écoute ces différentes qualités que je viens de nommer, j’écoute ce que cela provoque en moi. Je vois que toutes demandes m’empêchent d’écouter, toute demande est une violence.

Dés que je dois coller à une demande, dés que je pense devoir être comme ceci ou comme cela, je rentre dans les méandres du mental, je me mathématise. Pourtant, je sais que toutes ces qualités sont nécessaires.

Sont-elles nécessaires ? L’écoute les révèlerait-elle ? L’écoute les révèle sans besoin de se prétendre quelqu’un de sincère à l’esprit vif et acéré, sans demande non plus d’être sincère, patient…

Comment s’expriment cette honnêteté, cette sincérité, cette rigueur, cet vivacité d’esprit, cette passion, cette patience, cette… ? Peu importe.

Légèreté et sérieux peuvent-ils vivre ensemble ? Sérieux et humour ? Sérieux et amour ? Amour et émotion ? Légèreté et émotion ? Allons-nous devenir des mathématiciens de la spiritualité et orchestrer les données de bases (honnêteté, sincérité, rigueur…) pour en devenir un être mathématiquement spirituel sans concept et sans tiroir, sachant que cet « être mathématiquement spirituel sans concept et sans tiroir » est encore un rôle à jouer avec un scénario très précis ?

Mes propos sont radicaux, je le constate. Mais je ne peux adhérer à cette pensée limitante : être « spirituel ». D’autant plus que ce domaine est de tous celui qui révèle on ne peut mieux ce prétendu orgueil spirituel. « Je suis spirituel » a une connotation de suffisance assez remarquable, que la personne fasse partie d’une église, ou d’une secte ou d’un courant philosophique ou de l’enseignement non-duel.

Mais le comble de tout, c’est que ce prétendu orgueil n’est absolument pas décelé par l’élève qui se prend pour un être humble et détaché.

Ironie du sort ! Je me crois humble alors que je suis identifié(e) à un état, un rôle, une qualification : je m’identifie à un être « spirituel ».

Mais n’est-ce pas l’archétype spirituel qui veut cela ? Et quoi, nous nous insurgeons quand ce mot est prononcé : l’orgueil. C’est mal.

La vanité, c’est mal. La prétention, c’est mal.

Le jugement me coupe de moi-même. Je ne pourrais pas reconnaître cet orgueil ni ce qui le produit, ni la vanité, ni la prétention. JE QUITTE LE JUGEMENT, mon regard peut plonger en moi, faire le lien : l’orgueil est la conséquence de mon manque de confiance et de mon besoin de reconnaissance.

L’orgueil est une protection. Je quitte le jugement. Je vois ces chaînes réactionnelles qui se vivent en moi.

Je finis ici mon observation et ne peux m’empêcher de vous faire part de l’histoire de cet homme qui ne se savait pas un libéré vivant :

Un maître samouraï et ses disciples se promenaient entre des champs de blé fauchés par des paysans. Le maître s’arrête. Son regard est attiré par l’un des faucheurs. C’était la première fois qu’il voyait un homme manier la faux avec une telle simplicité, une telle élégance. Son mouvement lui semblait à chaque instant inspiré par la vie, sans entrave, sans pensée, sans désir.

De son sabre, le maître fend les blés en direction du paysan. Les aspirants le suivent, fendant de leur sabre, de la même façon que leur maître, les herbes matures et disponibles, pensant qu’il s’agissait d’un exercice. Le maître s’arrête devant le paysan :

Demain, au levé du jour, je t’attends pour un duel à mort.

Ces paroles adressées au paysan, provoquent chez les écoliers outre de l’étonnement, des questions : le maître aurait-il une défaillance mentale ? Ce paysan n’aura pas fait le moindre geste qu’il sera déjà coupé en deux… d’autres sont pris d’une colère soudaine, d’autres de jalousie, le maître ne les ayant jamais appelés à les défier de la sorte.
Le paysan, écarquille les yeux, pose sa faux, regarde le maître en question, et dans l’instant même est foudroyé d’incompréhension.

Ces mots jaillissent dans son esprit :
« Je serais mort avant même d’avoir touché le sabre ».

La journée se passe pour le maître comme pour le paysan, l’un affairé à son enseignement, l’autre à couper les chaumes.
Rentré chez lui, le paysan pense à ce futur proche et voit sa mort, inéluctable…

A la pointe du jour, entouré par les disciples, paysan et samouraï sont à leur rendez-vous.

Le paysan est prêt,

on lui donne un sabre.

Il ne s’en est jamais servi,

ni ne sait comment le tenir.

Cela n’a pas d’importance.

Le maître le regarde…

…pose son arme …

…s’agenouille …

le salue »

Hélène Naudy