Joseph était le plus âgé d’entre nous ; nous le savions aussi très proche du Maître. C’est lui qui prit la parole.

– Mes Frères, dit-il sans ambages, il nous faut dès maintenant quitter ce sol. La vielle terre de Canaan a maintenant nourri suffisamment la plante de nos pieds. Hier, pour la première fois j’ai pu rencontrer le Maître Jésus. Il m’a annoncé qu’il poursuivrait cette existence entre les épaisses murailles du Krmel et ne pourrait consentir à recevoir que deux ou trois de ses proches en des occasions bien précises. Comme vous, j’accueille cette nouvelle avec peine mais nous devons la respecter. Le Maître lui-même agit sur les conseils des Frères des étoiles. Malgré tous les obstacles, sa destinée s’est fixée dans le cosmos. L’empreinte qu’il laisse se conforme d’elle-même aux schémas exigés par cette humanité. Vous voyez ce que j’entends par cela. Ainsi il est inutile de lutter contre le principe de la résurrection totale de son corps. Celle-ci contient en germe l’idéal des hommes de cette Terre ; elle correspond d’autre part à une possibilité que, dans les circonstances que vous connaissez, il n’y a pas eu besoin d’utiliser.

Mais je vous le disais, il nous faut maintenant partir. Il nous est demandé de franchir la grande mer et d’aborder un rivage que nos pères appelaient autrefois le pays de Kal (*), ce qui signifie le pays de pierre. Vous méditerez sur ce nom. Il sera pour nous un pont. C’est la terre des peuplades indépendantes, rompues aux abstractions. On dit que les hommes y sont rudes mais qu’une forme de poésie coule dans leurs veines. D’après les informations fournies par le Maître, cette contrée porte en son sein, par le jeu des forces de son sol, le signe de l’étoile de l’Equilibre. Elle appellerait à elle le sept initiatique dont l’image m’a été confiée.

Nous partirons dès demain si l’Eternel le permet et nous déposerons sur la terre de Kal tout ce que nous avons en nous. Nous lui confierons le livre de nos existences et les bourgeons recueillis auprès du Maître. Nous y accosterons non comme des conquérants d’âmes, vous le savez. Nous passerons simplement derrière l’esprit que Kristos y a déjà insufflé depuis longtemps, non pas tels des réformateurs mais comme des alliés de toujours. Il ne saurait d’ailleurs en être autrement…

La nuit paru longue, le sommeil ne voulait pas de nous. Lorsque le petit matin s’éveilla au-dessus des monts et des forêts de chênes, un groupe de vingt-deux silhouettes cheminait déjà d’un bon pas sur les pentes.

Il faisait frais et nous nous tenions enroulés dans nos manteaux, un simple sac à côté. C’est ainsi que pour l’ultime fois nous passâmes au pied du Krmel qui nous dominait de toute sa majesté, de sa si belle austérité.

Nul ne souffla mot ; à travers ses murs, dans le silence de l’aube, nous cherchions tous un visage…

.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . LES VINGT-DEUX . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Nos visages étaient fouettés par une petite brise fraîche et les deux esquifs fendaient la vague avec un parfait ensemble…

– Regardez !

Un bras se leva pointant l’horizon vers l’arrière de notre embarcation.

– Regardez-la bien une dernière fois…

Entre les crêtes des vagues émergeait encore par endroits la masse bleutée des montagnes côtières. Petit à petit elle parut s’enfoncer dans les flots et il n’y eut plus que la danse monotone de l’écume aux reflets irisés pour capter nos regards.

Myriam s’était accoudée à l’avant du bateau et s’absorbait dans la contemplation de la brume. Quant à moi Simon, j’aurais voulu offrir toutes les énergies de mon cœur. J’étais partagé entre le désespoir et l’enthousiasme, l’amertume et la reconnaissance. Tout était-il terminé ? Tout restait-il à faire ? Je la connaissais, la réponse ; mais comme beaucoup sans doute en cette timide matinée, j’avais peine à la formuler complètement.

Nous savions si peu de choses de cette terre où nous allions. La Fraternité nous avait fourni quelques objets de valeur afin de subvenir à nos premières nécessités, mais après… notre nouvelle existence demeurait à bâtir de toutes pièces.

A notre arrivée dans le petit port qui sommeillait encore au pied du Krmel (**), deux frêles embarcations nous attendaient déjà. Il n’avait pas été possible d’en trouver une seule capable de nous contenir tous. Certains d’ailleurs, d’après Joseph, avaient trouvé plus sage de diviser nos forces pour la traversée. Plusieurs d’entre nous, par leur métier de pêcheur, n’ignoraient rien du maniement de la voile ou de l’aviron.

Ils prirent le commandement de nos deux groupes de onze et nous exécutâmes les manœuvres comme nous le pouvions. Sept femmes étaient du nombre parmi lesquelles Myriam de Magdala. Assurément, nous n’avions rien de conquérants ! Lourds de toutes les angoisses et de tous les espoirs de la Terre, nous partions comme les nomades que nous avions toujours un peu été, les cheveux au vent et le sac de grosse toile au côté. L’un d’entre nous avait manifesté son désir d’écrire, d’écrire afin de ne rien oublier, de préserver ce que pourtant nous ressentions comme indicible.

Joseph venait de s’y opposer non pas en maître mais en être conscient et détenteur de clefs insoupçonnées. Il s’était soudainement levé d’entre nous, s’accrochant au mât pour ne pas perdre l’équilibre et avait tenu à s’expliquer.

– Mes Frères, dit-il d’une voix forte, il ne saurait y avoir de maître parmi nous ; à peine avons-nous droit au titre d’apprenti. Si je vous demande cependant de ne point écrire, c’est parce que telle n’est pas votre tâche. Nos énergies sont des biens précieux, elles ne nous appartiennent pas, nous en avons le dépôt dans un but précis, nous ne devons donc pas les disperser. De plus, il faut que vous sachiez maintenant que le Maître Jésus redoute la force de certains écrits. Vous n’ignorez pas qu’il m’a longtemps entretenu de diverses choses il y a peu de temps ; je vous l’assure, votre rôle ne se situe pas là aujourd’hui…

Joseph nous avait regroupés autour de lui car la voile claquait au vent et rendait la discussion difficile. Seul un Frère demeurait par obligation à l’aviron arrière, scrutant régulièrement le ciel afin de mesurer la course du soleil. Je n’avais aucune idée du temps qu’il nous faudrait passer ainsi avec pour seul soutien une voix qui ne cessait de résonner en nous. Mais peu importait… Notre bateau n’offrait hélas d’autre abri qu’une toile que nous pouvions tendre au-dessus de la coque, selon les nécessités. Fallait-il qu’un feu nous anime pour que nous partions ainsi, démunis de tout, sans destination précise !

Nous voulions atteindre le pays de Kal, situé là-bas quelque part vers le Nord… Voilà tout ce que la plupart d’entre nous savaient… et sans doute n’était-il pas nécessaire d’en désirer plus. Ce qui vient du tréfonds de l’âme humaine ne peut se faire que d’un seul élan, et lorsque je revis ces heures, je m’interroge… Combien en est-il aujourd’hui qui referaient ce qu’ils firent autrefois, qui oseraient encore vivre au jour le jour ce qu’ils croient, ce qu’ils savent. Serions-nous à la fois trop enracinés à la terre et trop loin des pulsations de sa chair ?

Malgré le vent, Joseph voulait parler. Il cacha sa longue chevelure sous un voile dont il retourna plusieurs fois le bord, et s’assit enfin sur une nacelle.

– Il y aurait tant de choses à conter, mes Frères, tant de choses… que je doute de mes capacités à le faire… Regardez d’abord ceci !

Et sans en dire plus, Joseph plongea sa main dans le grand sac de laine grise qu’il portait en bandoulière. Il en ressortit de petits objets dont l’un était soigneusement enveloppé dans un tissu du plus pur lin blanc. Il déplia ce dernier avec mille précautions, révélant à son tour un autre tissu plus léger, d’un bleu profond. Le second voile fut ôté avec autant de délicatesse que le précédent et nous découvrîmes dans les paumes grandes ouvertes de Joseph une petite cupule taillée dans la pierre. Elle était semblable à l’une de celles que nous utilisions parfois avec le Maître lors des traditionnels repas en commun. Il n’avait rien d’extraordinaire, cet objet, rien d’autre apparemment que la noblesse de sa matière ou la simplicité de sa ligne. Ce n’était qu’une demi-sphère, tel un fruit coupé en deux puis évidé…

– Regardez bien, dit cependant Joseph en baissant le ton de sa voix. Les Frères d’Hélios m’ont confié la garde de cette coupe. Le Maître l’a utilisée quotidiennement pendant longtemps et j’ai eu pour mission d’y recueillir un peu de sang qui coulait encore de ses blessures lorsqu’on le détacha du bois. Je devine ce que vous pensez, mes Frères… non, ce n’est pas un stupide attachement à la matière, ce n’est pas non plus un symbole morbide et encore moins de l’idolâtrie ! Selon l’enseignement qui m’a été donné et que je vous transmets aujourd’hui, le sang du Maître, investi par Christos, fut doué d’un grand nombre de particularités. J’ai recueilli ce sang en cinq endroits de son corps, cinq endroits-clefs où de petites roues de feu tourbillonnaient encore dans l’Ether. Cinq énergies subtiles s’échappaient à flot des différents types de blessures subies par le Maître. Ces forces, m’ont affirmé les Frères, ont à la fois un rôle concret et abstrait, une fonction précise quant à nos organismes physiques et notre essence spirituelle. Je ne peux en dire beaucoup plus, vous comprendrez aisément que la solution d’un tel mystère n’est en aucun cas communicable. Cela n’est pas un souci de dissimulation mais parce que les mots ne peuvent que trahir ce qui n’est pas accessible au simple entendement humain. L’énigme de cette cupule et de son contenu ne sont autres que celle de l’évolution de toute forme de vie…

Discrètement, Joseph replia alors les deux voiles sur leur précieux contenu ; il parut chercher ses mots puis poursuivit :

– Cette coupe, mes Frères, sera pour nous un symbole tout autant qu’une source de force. Son rayonnement subtil distille une énergie insoupçonnée dans tous les lieux qui l’abritent. Vous savez que nos yeux voient si peu de choses… Sachez pourtant, afin que tout soit clair, que sa possession ne nous privilégie en aucun cas, elle ne nous rend maître d’aucun des pouvoirs dominateurs recherchés par tous les magiciens de cette Terre. Lorsque je l’aurai enfouie là où elle doit être, sa quête physique sera vaine ! Retenez bien ceci : on ne trouve une force de ce type que lorsqu’on la mérite… et l’on s’aperçoit alors que sa possession matérielle nous est inutile parce que nous en avons déjà bu le contenu de lumière. Ainsi, ceux qui chercheront et ne trouveront pas devrons apprendre à d’abord se trouver eux-mêmes. Il n’y a pas de philosophie dans tout cela. Le symbole rejoint l’objet car ce symbole précisément est un être qui vit, une forme aimante sur les plans de lumière.

Sachez donc bien, mes Frères, que chaque homme et chaque créature animée ou non, a sa propre coupe qui attend quelque part en dehors du temps, dans un lieu de paix que seule sa conscience pure – bien que peut-être encore en germination – lui permettra d’atteindre. C’est le problème de chaque être avec lui-même.

– Mais, Joseph, interrogea une voix, si la force spirituelle représentée par la cupule du Maître est essentiellement à l’image de celle que nous devons éveiller en nous, pourquoi préserver l’objet concret de cette façon ? Puisque le Maître ne désire pas instaurer de religion au sens propre du terme, pourquoi sauvegarder une coupe pouvant être la base d’un culte ?

Joseph enfouit profondément sa tête entre ses deux mains puis la releva enfin après un long moment de silence, plongeant ses deux yeux souriants et clairs au fond de chacun de nous.

– Ce qui est important, c’est que la cupule du Maître soit en contact prolongé avec certaines parties de la terre qu’elle a pour mission de fertiliser spirituellement. Son rayonnement ne peut être qu’extrêmement purificateur. Oh, je ne pense pas qu’il puisse s’agir de quelque chose de spectaculaire, mais au contraire, d’une maturation lente. La coupe agit sur la terre qui la reçoit de la même façon qu’elle agit en l’homme : elle y ménage un terrain secret et solide, apte à recevoir le flot de tous les influx de l’Esprit.
Je sais pourtant que nous n’empêcherons pas l’idolâtrie… mais dites-moi ce qu’il est possible de faire en ce monde et qui ne soit pas sujet à caution. Il se trouvera toujours des hommes pour déifier ce qui ne doit pas l’être ; il y aura toujours des oreilles pour n’entendre que ce qu’elles veulent s’entendre dire. Voilà pourquoi le Vrai est si souvent dissimulé. Les guides de notre humanité l’ont tellement vu terni qu’ils le préservent et ne font que le distiller gouttes à gouttes.
Nous projetons nos pulsions et nos manques jusque dans le domaine de l’Esprit… nos souvenirs et nos espoirs aussi, heureusement !
Ainsi, ne vous souciez pas de cela. Tous les organes palpitants de cette terre, je veux dire ses grands centres, possèdent leur propre coupe ; qu’elle soit simple pierre native ou œuvre d’art, la même énergie s’en échappe, elle étanche la même soif et figure la seule et unique réalité à atteindre : l’Harmonisation de l’Humanité avec le Cosmos.

Joseph nous entretint ainsi pendant de longs moments. Il paraissait se plaire à défier notre réflexion et notre sensibilité par un enchaînement de phrases tantôt limpides tantôt énigmatiques.

– Les symboles et les images ne sont pas de simples jeux arbitraires de l’esprit, dit-il en paraphrasant d’un air amusé le Maître. Ce sont des bornes miliaires (***), chargées des multitudes d’apports qui jalonnent notre route.

Il nous déclara ensuite qu’un pied hexagonal était indispensable à la précieuse coupe, détail qui contradictoirement tendait à faire d’elle un objet de culte. Nous avions enfin compris qu’il n’y avait pas une solution aux énigmes qu’il nous soumettait, mais dix, cent, mille, autant que d’êtres en ce monde.

Vouliez-vous des recettes, mes Frères ? La clef qui convient à l’un devient une plaisanterie pour l’autre, un simple trompe-l’œil ! Il nous faut maintenant apprendre à regarder, non plus à calculer.

Plusieurs jours se passèrent ainsi, ponctués par les paroles de Joseph, nos questions, le souffle du vent, le roulis de nos grandes barques et la brûlure d’un soleil pourtant timide… A quelques reprises nous aperçûmes des terres, des côtes arides et des rivages riants ; nous croisâmes des embarcations de pêcheurs et de marchands, mais la réponse était toujours la même. Elle nous parvenait dans une langue grecque très sommaire : « Plus loin encore ».

Néanmoins la tristesse et l’anxiété du départ avaient été chassées de nos cœurs par l’enthousiasme des découvertes à venir. Certes, il fallait donner, parler comme nous l’avions appris mais n’allions-nous pas également recevoir et sans doute mieux comprendre encore. Peut-il longtemps donner à boire celui qui ne tend jamais le col de sa cruche à la fontaine ?

Nos deux embarcations voguaient côte à côte tant bien que mal, malmenées parfois par des courants contraires ou merveilleusement mêlées à des colonies de dauphins. Lorsque le temps était au plus calme, nous entendions nos rires d’un bateau à l’autre, nous nous appelions pour des riens, pour le simple fait de dire notre bonheur d’être là, en route vers « quelque part », ce qui pour nous signifiait vers « partout ». Nous étions deux fois onze… Vingt-deux ! et sans doute étions-nous un peu fous… mais atteints de cette folie à laquelle les hommes hélas se laissent si peu aller ! Vingt-deux à raisonner différemment, non pas en dehors des normes, mais sans normes, sans ce petit quelque chose qui veut toujours tout définir et tout faire vieillir par une appellation. Le véritable feu, celui de l’amour n’a pas de nom parce qu’il ne connaît pas les lois humaines !

Vingt-deux (****), c’était pour nous la folie sacrée, une façon de boucler la boucle avec nous-mêmes, une forme de stabilité. En ce nombre, à la lumière des Frères d’Essania, se résolvait la quadrature du cercle.

Un matin, alors que nous nous réveillions avec peine, couverts par les embruns dont la nuit s’était chargée, un long ruban blanc scintillant se dessina à l’horizon. Nous nous levâmes tous en silence presque d’un seul bond. Nos regards étaient rivés sur une côte. Bientôt celle-ci se montra semblable à une falaise aux reflets ambrés. Une végétation touffue croissait à son sommet et dans de nombreux replis de sa roche ; par endroits elle paraissait plonger jusque dans l’eau. Plus loin, vers l’arrière-pays, de hauts sommets de couleur ocre donnaient à l’ensemble du paysage un aspect paisible, protecteur et majestueux.

La rive nous parut trop rocheuse et un accostage eût été délicat ; nous longeâmes donc les terres vers l’Ouest. Les descriptions correspondaient à celles qui nous avaient été faites et nous ne tînmes plus de joie. Peu à peu le rivage s’adoucit et nous remarquâmes de minuscules embarcations surmontées de voiles rapiécées, à peine hissées. La terre de Kal semblait sommeiller encore. Au loin quelques fumées s’élevaient droit dans l’azur, premiers signes de vie. Après quelques hésitations, nous dirigeâmes nos bateaux dans cette direction. A cet endroit cependant la mer paraissait ne faire qu’une avec la terre. Les eaux se divisaient en plusieurs langues bordées de joncs et de hautes herbes. Nous comprîmes alors que notre avance serait bientôt nulle et que nous risquions de nous échouer dans les marécages. L’un de nous prit le risque de sauter dans les eaux. Un cordage à la main. Il s’y enfonça jusqu’au cou, assurant que ses pieds touchaient la vase.

A ce moment précis nous entendîmes comme un appel ou un long cri modulé. Nous fîmes silence, fouillant du regard les hautes herbes. Il y eut un clapotis, un bruissement de feuilles et deux gros oiseaux s’envolèrent. C’est alors que sur une frêle barque deux hommes apparurent. Vêtus chacun d’une courte tunique blanche ils enfonçaient de longues perches dans l’eau. Soudain ils immobilisèrent leur esquif et commencèrent à nous fixer longuement.

Nous ne disions rien et j’eus la sensation très nette qu’ils nous éprouvaient. L’un d’eux enfin porta une main au niveau du cœur et esquissa un léger sourire.

Une main au niveau du cœur… Le seul langage que nous souhaitions entendre !

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. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . VERS L’OR DU TEMPS, MYRIAM… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les premiers jours de notre arrivée sur la terre de Kal furent paisibles. Chacun s’observait. Quoique nous fissions figure d’invités, une grande réserve était mise à notre encontre. On nous avait aussitôt amenés dans une sorte de village bâti aux trois quarts sur l’eau, à la limite entre les marécages et la terre ferme. Tout était de bois et de joncs tressés et les habitations qui reposaient parfois très haut au-dessus de l’onde communiquaient entre elles au moyen de passerelles amovibles. L’ensemble était perdu dans un inextricable fouillis de roseaux, de joncs et d’arbres agrippés à d’étroites langues de terre. Une foule de barques attendaient toujours amarrées de-ci de-là à d’énormes pilastres battus par le clapotis des vaguelettes. Quelques cabanes semblaient s’être aventurées un peu plus loin, là où le sol stable supportait le poids des pierres. Elles étaient entourées pour la plupart d’une petite palissade dont l’effet me parut plus d’ordre esthétique que défensif. Ce village lacustre, sans vie le jour de notre arrivée, s’avéra rapidement très peuplé. Un grand feu brûlait continuellement sur la terre ferme, sans cesse entretenu par un vieil homme à la tunique grise et aux nombreux colliers. Cela semblait être son rôle tandis que la plupart des habitants s’adonnaient à la pêche au filet. Les femmes pendant ce temps se montraient très habiles dans le tressage du jonc et s’afféraient à la réfection de la toiture précaire des habitations.

Sans que nous sachions pourquoi l’on se chargeait de nous accueillir ainsi, on nous présenta une grosse cabane montée sur pilotis, flanquée d’une multitude de cordages et d’échelles. De vieux filets pendaient à ses cloisons, adroitement mêlés à des branchages entrecroisés finement puis recouverts par endroits de boue séchée. Le sol de la construction était jonché de paille, d’épaisses nattes et de peaux. C’était notre nouvelle demeure… et nous nous y trouvâmes bien.

Savait-on qui nous étions, ce que nous venions de faire ? Nous l’ignorions mais la Providence était une force en laquelle nous croyions ; c’était pour nous une des manifestations de ce rayon d’énergie qui depuis toujours nous avait ouvert le chemin…

Trois hommes du village se distinguaient des autres par le port de longues robes blanches un peu semblables aux nôtres. Ils nous regardèrent longtemps de loin, nous adressant de rares sourires.

La langue de la terre de Kal était totalement différente de la nôtre et, pendant des journées entières, nous ne communiquâmes que par gestes rudimentaires. Nous résolûmes de nous habituer à ce village, à sa langue, et d’attendre un signe avant d’entreprendre quoi que ce fût. Nous cherchâmes donc à nous mêler aux occupations quotidiennes tout en préservant soigneusement notre identité. Ainsi, sur les conseils de Joseph, nous ne dissimulâmes rien de nos rites. Prières et ablutions quotidiennes nous attirèrent d’ailleurs rapidement la sympathie d’un grand nombre d’hommes et de femmes. Je ne sais combien de semaines ou de mois s’écoulèrent ainsi. La mémoire du Temps garde le secret de ces journées passées à méditer, à observer, à aider, dans la mesure du possible, ce peuple dans lequel nous voulions nous fondre. Nous buvions donc à cette nouvelle source sans toutefois comprendre le pourquoi d’un accueil si tolérant bien que distant…

Les regards se firent enfin complices et de petites phrases difficilement articulées sortirent de nos poitrines.

Tandis que nous faisions l’apprentissage de notre nouveau langage, un phénomène curieux se produisit. Plus nous progressions dans son maniement, plus nous avions la sensation qu’il était un avec le nôtre. Cette impression naissait en dehors de tout esprit de logique et sans doute aurait-il été vain de comparer les termes les uns aux autres. Le rapprochement s’opérait par le jeu subtil des sonorités sans qu’il fût tenu compte d’une segmentation des phrases en mots bien déterminés. Certaines expressions tronquées en leur milieu puis raccordées à d’autres, certaines phrases entendues différemment, écoutées sur un rythme qui était peut-être celui du cœur prenaient des significations précises qui allaient beaucoup plus loin que la surface des choses. Une forme d’enchantement s’effectuait au niveau du son pur ou des rapports phonétiques entre les termes. Cette constatation nous troubla beaucoup, et Joseph qui demeurait l’âme de notre groupe nous aida à mieux comprendre cette notion de « langage originel » dont on révélait des bribes au Krmel par d’antiques exercices de vocalisation. Nous sûmes ainsi mieux que jamais qu’il est une façon de manier les sons qui permet d’en boire la substance.

Il s’agit bien de rapports en les sons plus qu’entre les mots. Dans ce petit détail on peut voir une des clefs de la compréhension de toutes les langues terrestres. Les lois de la nature et de ce que l’on nomme sommairement l’évolution se sont plues à l’emploi de l’anagramme à tous les degrés de la vie… C’est un jeu car le travail conjugué du cœur et de l’esprit n’emprunte pas l’itinéraire de la tristesse. Ainsi, selon l’expression du Maître rapportée par Joseph, « celui qui ne trouve nulle joie ou nul amusement dans l’étude n’apprend pas encore… il défriche ».

Le jour vint enfin où trois hommes vêtus de blanc s’avancèrent vers nous. C’était la tombée du jour et nous étions assemblés sur la petite plate-forme située en avant de notre habitation. Ils s’avancèrent l’un derrière l’autre sur la passerelle menant à notre abri. Un grand voile blanc nous dissimulait leur visage. Ils le soulevèrent enfin, révélant leur premier vrai sourire à notre égard. Nous nous levâmes d’un seul élan, les deux mains sur le cœur en signe de bienvenue et de respect.

– Frères en Esus, dit l’un d’eux d’une voix forte… désormais pour nous vous portez ce nom.

« Esus », comme cette sonorité résonnait étrangement en nos cœurs ! Elle nous ramenait auprès du Maître, quelques années auparavant. Elle me renvoyait aussi dans les froides cellules du Krmel alors que nous étudiions les religions des peuples qu’aucun de nous n’osait espérer rencontrer un jour.

Essania, Isis, Esus, maintenant le Maître Jésus et combien d’autres encore ? Fallait-il être aveugle pour ne pas remarquer un signe dans ces sonorités ? Le mot « coïncidence » était inconnu de notre vocabulaire, et lorsque l’homme à la robe blanche eut prononcé ce nom d’Esus, nous ne pûmes nous empêcher de lui ouvrir les bras. C’était un peu comme s’il avait prononcé le nom même du Maître, et ses paroles simples eurent pour nous la force d’une reconnaissance de Fraternité.

– Nous sommes prêtres de notre peuple, poursuivit le plus âgés des trois hommes. La lumière nous a parlé et nous pouvons maintenant voir en vous des gardiens d’Ashas… (*****) Depuis longtemps nous attendions des étrangers sur notre rivage. Les étoiles guident nos pas, notre savoir et nos actes depuis toujours. Soyez rassurés, Frères, car leurs envoyés vous ont préparé le chemin. Ils ont entretenu nos pères du flambeau que vous venez déposer en cette contrée et qui renouvelle une antique alliance. Vos ancêtres et les nôtres sont issus de la même branche du grand arbre, nous le savons. Parlez donc et nous vous écouterons, nous ne saurions mieux faire. Peut-être n’avons-nous vécu que pour les instants qui vont suivre. La lecture des âmes nous est familière et nous comprenons maintenant que nous accueillons ceux qui ont vécu. Parlez donc et votre fardeau sera plus léger.

– Notre fardeau n’en est pas un, répondit Joseph avec chaleur… ou s’il en est un, Frères en Iesus, rien au monde ne nous l’ôterait. C’est le poids des années vécues près du soleil. Il a pénétré nos veines, et nos cœurs en sont gonflés. C’est le poids de l’art sacré de la médecine, car nous sommes les médecins de l’être véritable.

Nous te parlerons du Maître qui nous envoie car il est aussi le tien. Dorénavant, nous ne dirons plus « notre Maître » puisqu’il est celui de tous. Il est le Maître sans serviteur car il n’a d’autre image que la flamme qui jette ses feux au sommet de tous les fronts humains. Ainsi, Frères, nous ne venons pas vous conter l’histoire d’un Dieu ni l’histoire d’un homme qui se voulut Dieu ; nous venons vous rappeler l’histoire de l’Homme tel qu’en lui-même, de celui qui ne s’ignore plus et entreprend de se remembrer.

Aujourd’hui le Grand Cerf qui conduit ton peuple croise ses bois puis les unit pour en faire une échelle.

Tu sais ce que cache l’apparence des mots. Avec ton aide nous tenterons de guérir ceux qui ont oublié, mais sois assuré que nous ne venons rien effacer. La route est longue qui depuis des millénaires nous a conduits ici, et nous ne faisons qu’y ajouter une borne car elle ne nous appartient pas. La Vérité n’est pas l’affaire d’un peuple ou d’une robe, tu le sais ; elle est l’idéal de ceux qui avancent sans se retourner, riches de leurs tâtonnements. Nous vous délivrerons toute la lumière d’un cœur et d’un glaive réunis parce qu’avec eux nous dévoilons l’Homme et qu’ainsi nous délivrons un peu de ce « Vrai » tant cherché. Ainsi tu nous connais mieux… Ecoute maintenant l’histoire de Celui qui s’est réveillé, du Maître qui reçut Kristos…

Alors Joseph alla chercher des peaux de bêtes puis des nattes et nous nous installâmes tous, face aux trois prêtres. L’un après l’autre, ils baissèrent lentement leur voile sur leur visage et un silence de paix descendit sur notre assemblée, un silence compact peuplé de mille êtres de la nature.

C’est ainsi que pour la première fois sur la terre de Kal, fut narrée l’histoire du Maître Jésus qui avait ouvert la porte aux autres hommes.

Lorsque Joseph eut fini de parler, la nuit était déjà fort avancée. Les trois prêtres l’avaient écouté avec recueillement et ne l’avaient pas interrompu. Nous demeurâmes longtemps sous le charme de cette narration et des souvenirs qu’elle évoquait. Sur la berge, quelques feux brûlaient que des silhouettes de femmes et d’hommes entretenaient à grand renforts de branchages et d’herbes. Il me sembla qu’ils participaient au cheminement intérieur de nos êtres…

Lorsqu’un long moment se fut écoulé, lorsque les clapotis de l’eau eurent achevé de nous rappeler à l’instant présent, le prêtre qui s’exprimait au nom des autres reprit la parole :

– Ce que tu viens de dire, Frère, n’a nul besoin de commentaires. Je ne ferai pas comme ces scribes et ces maîtres en art de parler qui démontent les récits et les êtres sans s’apercevoir qu’ils en gaspillent la moelle. Leur mental distille une eau de mort. Ton histoire est vraie parce qu’elle parle à mon cœur, parce qu’elle remue en moi des souvenirs qui ne sont contenus dans aucun livre. Elle puise directement aux racines du Grand Frêne ! Je ne veux pas la tuer car elle vivifie celles de mon peuple. Il faut que tu saches que j’y vois en même temps une preuve de notre antique fraternité. Les récits les plus cachés dont on m’a fait jadis le dépositaire utilisent les mêmes signes que le tien. L’esprit de ton Maître intervient, je le sais, à la croisée des chemins de notre ascension. Ainsi les multiples croix qui servent d’emblème aux hommes de ta race ne sont pas sans me rappeler une histoire qui n’appartient pas à ceux d’ici mais à l’humanité entière. Certains disent que c’est une légende et que les poètes l’ont enrichie à leur façon. Ceux-là ne savent pas. Ils se rassurent par crainte du vertige né de leur petitesse. Voici donc ce qu’à mon tour je puis vous confier cette nuit… mais que peut-être vous connaissez déjà :

Il y a des dizaines et des dizaines de milliers de nos années… sans doute plus encore… les cieux ne se trouvaient pas formés comme aujourd’hui. La grande énergie d’Esus qui renouvelle tout éternellement avait disposé autrement les étoiles. Notre monde n’était pas aussi distant des autres que maintenant. Ainsi la grande lumière que vous nommez Lune-Soleil parvenait sur cette Terre, plus vive que de nos jours. Quant à l’homme, il ne vivait pas sur ce sol ; les mondes qu’il peuplait étaient multiples dans notre univers. Il n’offrait pas le même visage qu’aujourd’hui et avait déjà subi de multiples métamorphoses dans les grands cycles de vie décidés par Esus. Cependant, sa puissance était telle qu’il pouvait visiter les étoiles du firmament et y connaître les manifestations de la Grande Existence. Peu à peu, il apprit à choisir sa voie et il s’avéra que cette voie fut différente selon l’étoile où il habitait. Nos vieux enseignements racontent que l’une de ces étoiles se laissa entraîner dans le cycle de la destruction. Les hommes qui y étaient jusqu’alors, ivres de leur puissance, crurent dépasser le Tout dans sa capacité de générer. Lorsqu’ils comprirent que de ce fait, le monde allait se dissoudre, ils prirent peur et cherchèrent dans les cieux un sol vierge. Ils s’y rendirent à bord de grandes machines semblables à des chars multicolores. Ce sol, vous le savez, Frères, est celui que nous foulons aujourd’hui. A peine y furent-ils installés qu’ils virent une gigantesque croix embraser les cieux, c’était l’adieu de leur vieille étoile qu’ils avaient tuée. Nombreux furent ceux d’entre eux qui ne parvinrent pas à s’enfuir à temps…

Le feu céleste brûla pendant des lunes et des lunes dévastant les terres dans toutes les directions de notre univers. Lune-Soleil et les autres en souffrirent. Ainsi la race des destructeurs s’implanta sur ce qui est notre monde, attirant avec elle son orgueil et son désir de pouvoir. Les fils de certaines étoiles furent contraints de chercher refuge auprès d’eux car il en est qui s’effrayèrent et résolurent de quitter leur planète blessée ; d’autres se jurèrent de ne pas abandonner la Terre à un peuple destructeur. C’est de cette façon, Frères, que naquirent les races qui constituent notre monde. Les souvenirs du mal qui les rongea continuent à infester l’air que nous respirons. Voilà pourquoi les envoyés des étoiles illuminent nos cieux aux temps de grande inquiétude. Ils veulent chasser à tout jamais l’image de la destruction incrustée dans tout ce qui vit sur cette Terre. Votre maître est le nôtre de toute éternité. Il est la force de l’Homme dans l’homme, la résurrection de l’amour oublié, le dépassement de la connaissance de mort.

Disant ces mots, le prêtre qui venait de relever son voile se leva et, s’avançant vers Joseph, lui fit une longue accolade. Cependant, Myriam de Magdala qui avait été si proche du Maître et qui, depuis si longtemps, gardait le silence, rentra dans notre habitation. Nous l’en vîmes ressortir presque immédiatement tenant à la main une petite fiole de couleur violette.

– Prends ceci, dit-elle au prêtre, toujours debout. Cette nuit, nous échangeons et unissons nos énergies. Cette huile fut bénie, chargée de forces vives par Kristos lui-même. J’en ai eu le dépôt jusqu’à aujourd’hui ; je sais que le moment est venu de la remettre à qui saura en user.

Sans attendre une réponse, Myriam de Magdala reprit la place qu’elle occupait. Je vis son long manteau gris s’unir à nouveau aux autres en s’enfonçant dans notre assemblée.

Alors, l’un des prêtres demeurés assis, saisit fermement une large corne qui lui pendait au côté. Il la porta à la bouche, ses joues se gonflèrent et un son grave et assourdissant s’envola jusqu’au lointain. C’était un interminable appel nostalgique, déchirant, capable de remuer la mémoire du Grand Amour recherché.

Sur la berge, autour des feux, des chants répondirent à ce cri de l’âme. J’eus la sensation qu’un pacte extraordinaire se scellait ainsi.

Les mélopées se poursuivirent jusqu’à l’aube ; elles nous tinrent éveillés dans une douce torpeur jusqu’à ce que nous puissions apercevoir la naissance d’une nouvelle rosée.

Désormais, notre assise sur la terre de Kal fut solide. Nous en conclûmes qu’il nous faudrait bientôt diviser nos actions. Nous partirions à travers le pays par groupes de deux ou trois non pas pour prêcher, ce qui nous semblait contraire à toute logique, mais afin de partager notre connaissance et pour distiller de-ci de-là toutes les perles d’amour dont nous étions capables. Pourquoi contraindre l’être à croire lorsque son être profond ne s’ouvre pas ? Peut-on appeler « clef » ce qui force une serrure ? Nous savions qu’il est une parole pour chaque type de cœur comme un jardinier pour chaque variété de plante.

Il fut décidé que Myriam et moi partirions vers l’Ouest afin de contacter ceux de Palestine qui, depuis longtemps, disait-on, avaient élu domicile dans ces contrées. Nous ignorions combien de temps il nous faudrait marcher et en quelle bourgade nous les rencontrerions. Il en fut de même pour chacun des vingt-deux… Nous avions des points à rejoindre autour desquels il nous faudrait rayonner. C’était ainsi que nous pouvions espérer tisser une toile afin de répandre la parole de Kristos. Notre but à tous était de réveiller puis de former des êtres sûrs dans les contrées, petites d’abord, dont nous nous donnions la charge. Ces hommes à leur tour prolongeraient notre action en devenant arbres là où ils iraient. Nous ne nous demandions plus comme jadis comment parler aux foules. Nous nous disions qu’il nous suffisait d’être présents et de raconter simplement ce que nous savions sans vouloir convaincre. L’évidence n’est jamais à démontrer ; on ne la communique pas. On la propose tout au plus et elle est reçue lorsque l’être se trouve au carrefour de sa vie. Elle ne s’adresse qu’à ceux qui ont compris qu’ils ont soif.

Nous agirions donc comme nous l’avions toujours fait avec, pour tout bagage, la Force qu’Il nous avait communiquée et qui restait à canaliser. Il nous faudrait soigner, parler mais aussi nous taire et laisser venir à nous.

Lorsque nous quittâmes le village sur l’eau et ses trois prêtres, une cérémonie fut organisée au cours de laquelle on remit à chacun de notre groupe un petit pot de bois hermétiquement clos. Il contenait une poudre assez grossière d’un gris profond. C’était une sorte de cendre provenant de cornes de cerfs, pilées suivant une méthode précise et à un moment donné de l’année. Ses vertus, nous assura-t-on, prévenaient et traitaient les troubles cardiaques.

Le départ fut échelonné sur quelques jours ; enfin vint notre tour de nous éloigner, le sac au côté. Les premiers temps de notre cheminement s’annoncèrent rudes. La population du pays de Kal, quoique paisible, paraissait engourdie dans un certain confort. La foule cependant venait à nous ; cela s’opérait par un phénomène dont nous ne saisissions pas le mécanisme et il nous semblait qu’elle comprenait peu. Pour les hommes de ce pays, Kristos était un composé d’Esus et de Cernunnos (******). Ils ne voyaient pas toujours les raisons qui nous avaient poussé à franchir la mer. Nos méthodes de soins étonnèrent beaucoup. Selon l’enseignement du Maître, Myriam et moi tentions la réharmonisation des corps par rapport à leur note musicale de base. Nous obtenions cela à l’aide de sons, d’énergie éthérique canalisée en des points précis, puis au moyen d’attouchements très localisés eux aussi.

Notre avance vers l’Ouest se fit extrêmement lente et nous vécûmes le long des chemins durant de nombreux mois sans difficulté véritable mais avec une crainte tenace : l’armée romaine. La régions que nous traversions regorgeait en effet de militaires et même de marchands romains installés, semblait-il, à demeure. Nous redoutions de porter avec nous ce fardeau qui, jusqu’au bout avait suivi le Maître : l’accusation d’intrigue contre l’Empire. Peut-être les officiers bardés de métaux et couverts de pourpre avaient-ils entendu parler des soupçons pesant sur le Grand Rabbi et ses hommes vêtus de blanc ? Néanmoins les ennuis ne vinrent pas à nous et nous vîmes les cohortes passer à nos côtés sans même nous prêter attention…

C’était une vie rude, incertaine, mais aussi une paix totale. Sans doute eût-elle pu se prolonger longtemps ainsi, partagée entre les soins prodigués et les paroles qui s’écoulaient de nos cœurs… Pourtant le Destin en décida autrement…

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SUITE & FIN – ICI : Embarquement pour la terre de Kal – 2nde et dernière partie

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Daniel Meurois et Anne Givaudan

De Mémoire d’EssénienTome 1L’Autre Visage de Jésus

1984

Les extraits présentés ici sont identifiés dans le livre sous le nom de LIVRE II chapitre XV (partiellement) et de LIVRE III, chapitres I et II

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Note en bas de page de Anne et de Daniel

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Terre de Kal

La Gaule

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Lexique

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Krmel

Le Krmel il y a deux millénaires de cela était un lieu d’apprentissage pour certains des membres, mais pas tous, de la communauté essénienne, une sorte de monastère, un vrai grand temple, une bibliothèque, une école, de lourdes murailles aux tours carrées, une imposante bâtisse.
Déjà à l’époque son édification aurait été estimée à plusieurs dizaines de siècles en arrière.
Il fut situé dans l’actuel Israël non loin de l’actuel Liban.
Il reposa sur le mont du même nom, voyant à ses pieds la mer Méditerranée, mont à partir duquel on pourrait entendre battre le cœur de la Terre.
En guise d’exemple, l’une de ses initiations proposées fut celle de la traversée du labyrinthe, un vrai, construit sous l’édifice. L’expérimentateur était invité à y entrer seul par un endroit puis à y ressortir par ses propres moyens en tentant d’en trouver la sortie, dextérité et patience, sachant que le dédale fut dans une entière obscurité.

« Notre-Dame du Mont Carmel » est fêtée, voir le calendrier, le 16 juillet.

En espagnol un prénom est directement dérivé du Mont Krmel, il s’agit de Carmen, fêtée annuellement le 16 juillet.

Sans aucun rapport avec les Esséniens, dans la religion chrétienne l’Ordre du Carmel, composé des Carmes pour les hommes et des fameuses Carmélites pour les femmes tire son nom directement du mont Krmel.

Une partie du mont Carmel, de par ses belles et nouvelles constructions, est aujourd’hui dédiée à une toute autre communauté n’ayant rien à voir avec les esséniens, il s’agit de la Foi Bahá’íe.

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Miliaire

Qui présente l’aspect d’un grain de mil. Eruption miliaire. Fièvre miliaire.

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Vingt-deux

Les arcanes majeurs du Tarot de Marseille comprennent 22 cartes dont la dernière, la numéro « 22 », se nomme justement Le Fou.

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Gardiens d’Ashas

En page 64 du livre on lit :

« C’est par précaution aussi que le lieu varie. Hier, ces rouleaux étaient préservés sous la pierre de notre temple de la Mer Morte ; demain, ils quitteront notre terre pour trouver refuge dans le pays qui attend au-delà des neiges, là où se lève le soleil : une des patries des Assa dont notre peuple tire son nom actuel. »
Note de Anne et Daniel en bas de page 64 – « Nous laissons au lecteur le soin de méditer sur les sonorités et les significations de mots tels que : « Asie » ; « Essénien » ; « Asgartha » ; et les « As » de nos jeux de cartes ».

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(******)

Cernunnos

Définition selon Cernunnos.over-blog.com

Le personnage assis en tailleur, portant au cou un torque et sur la tête des bois de cerf, incarne l’image du dieu le plus typé du panthéon gaulois. Il est désigné, selon la seule inscription connue, figurant sur l’un des blocs du pilier des Nautes de Paris, sous le non de Cernunnos.

Cernunnos (prononcé Kernunnos) est la divinité celte qui porte des bois de cerf sur la tête. Il tient le plus souvent un serpent bélier de la main gauche et un torque de la main droite.
Cernunnos (ou Carnunnos, Cernunnus, Kernunnos) « Le Dieu Cornu » est le dieu de la virilité, des richesses, des régions boisées, des animaux, de la régénération de la vie et le gardien des portes de l’autre monde.

Au I° siècle avant notre ère, un être anthropomorphe en pose accroupie, un torque autour du cou et le crâne coiffé d’une ramure aux nombreux andouillers, a été représenté sur l’une des plaques qui composent le chaudron en argent de Gundestrup, découvert dans une tourbière du Jutland, au Danemark. Ce personnage porte un autre torque dans la main droite, et de la gauche tient le cou d’un serpent à tête de bélier. Un cerf et un taureau se tiennent immobiles à sa droite.
On le retrouve dans plusieurs dizaines d’autres représentations en France et en Europe.

La symbolique du cerf
Les bois de cerf correspondent à la force fécondante et au cycle des renouvellements. En effet, le cerf perd ses bois en hiver, ceux-ci repoussent au printemps encore plus beau et augmentés d’un andouiller à chaque cycle.
A la fin de l’été, le cerf rentre dans la période du brame ou après s’être battu contre ses rivaux il fécondera ses femelles.
Il symbolise la fécondité, les rythmes de croissance et les renaissances.
Le cerf est aussi l’annonciateur de la lumière. Cette valeur prendra toute son ampleur cosmique et spirituelle. Le cerf apparaîtra comme le médiateur entre le ciel et la terre, comme le symbole du soleil levant et qui monte vers son zénith.

La symbolique du serpent :
Nous pouvons donc voir dans le geste de Cernunnos, tenant le serpent dans sa main gauche, la maîtrise du dieu sur les forces de la nature. Lui seul est le Maître-des-animaux, de la vie, de la mort et du cycle des renaissances.
Dans le tantrisme, c’est la Kundalini, lovée à la base de la colonne vertébrale.
Nous pouvons donc voir dans le geste de Cernunnos, tenant le serpent dans sa main gauche, la maîtrise du dieu sur les forces de la nature.

La symbolique du Torque :
C’est le symbole du guerrier et de la royauté.

Un Dieu total

Cernunnos est le point central d’équilibre, tout comme le serpent à tête de bélier qu’il tient d’une main dans de nombreuses représentations. Le bélier symbolise la force animale, naturelle, brute, masculine et le serpent l’énergie féminine, exprimée dans la tradition hindoue par le serpent kundalini qui dort enroulé à la base de la colonne vertébrale et qui, lorsqu’on l’éveille, révèle les potentialités « supra-humaines » qui sommeillent en nous. Le serpent et le bélier représentent les aspects sauvages de la nature, les forces primales qui doivent être canalisées et utilisées en vue de leur dépassement.

La triplicité qui s’exprime quasi constamment dans les représentations du dieu à ramure de cerf ne peut nous laisser indifférent. Tricéphale, il réunit en lui les trois forces fondamentales qui sont à l’origine de la manifestation universelle : création ; cohésion et destruction.

Sur tous les plans, cosmogonique, macrocosmique, microcosmique ou social, Cernunnos apparaît comme une figure du Dieu Total.

Prière à Cernunnos
« Grand cerf aux cornes d’or,
Maître de la vie et de la mort
Coureur des landes et des bois
Accepte nos offrandes
Roi de la forêt
Seigneur des chênes des ifs et des bouleaux
Divin hôte de nos halliers
Accorde nous tes bienfaits
Nous sommes fiers d’être tes enfants
Accorde nous tes bienfaits !
Tout comme au chêne et aux sangliers
Ô Maître de la Nature,
Guide tes fils au cœur pur
Vers la clairière qui les attend
Sous les trois rayons d’or du soleil invaincu
Au cœur ultime de la forêt
Et accepte les offrandes de leurs mains !
Awen ! »

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Peinture & photo

« Barques » – Michèle Daumas

Cernunnos – Cernunnos.over-blog.com

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Source présent article, transcription internet, corrections orthographiques, mise en page, lexique, partage avec plaisir d’un moment riche autant qu’inoubliable – Delta de la Lyre

Daniel Meurois, Anne Givaudan