La peur. Hum, l’enfant est née avec. Son corps imprégné. Elle a été sa compagne. Non, son ennemie. Je craignais de plus en plus d’avoir peur. D’être à nouveau paralysée par ma propre négation qu’alors je ne pouvais nommer comme telle. La peur. Terrée là, dans mon ventre, se réveillant au moindre oubli de moi-même…Comme je me suis oubliée… Et les questions revenaient, revenaient, tant elles restaient sans réponse : « A quoi tout cela sert-il ? » « Qu’est-ce que je fous ici ? » « Pourquoi vivre si l’on souffre chaque seconde de ne pas savoir, de ne pas comprendre, de ne pas saisir ce qu’est le réel. » « Bordel, où est le réel ? Qu’est-il ? » La perception était telle que le monde subtil n’était pas différent du monde matériel. Ils étaient perçus pareillement. Et je pressentais bien que mon entourage ne considérait que le monde tangible. Etais-je folle ? Avais-je des hallucinations ? Où se situait le réel ? Voilà la grande peur qui me terrorisait. Ce que je percevais était systématiquement mis en doute. Même l’arbre que je voyais, jusqu’à la table sur laquelle nous servions le repas. Qu’est le réel ? La question revenait, restait sans réponse. Peut-être que ce mur je peux le traverser ? Si je ne suis pas réelle, si mon corps n’est qu’atomes. Et ces atomes, pourquoi sont-ils unis les uns aux autres ? Pourquoi forment-ils un corps ? Pourquoi de même les atomes de cet arbre sont-ils unis les uns aux autres et forment-ils cet arbre ? Pour quelle nécessité ? Tout cela est si inutile ? Bien avant même l’hypocrisie, la convoitise, la jalousie, l’esprit de compétition entre les hommes, bien avant la haine et les critiques, tout cela est si inutile. Et puis, réellement, qui suis-je ? Car je ne suis pas dupe. Je sais que je ne suis pas ce corps, ce mental, cette personnalité. Je le sais. D’où le sais-je ? Je ne sais pas mais je le sais.

A part cela, rien, je ne comprenais rien. Je ne voyais aucune réponse sérieuse, je dirai même scientifique.

A seize ans, Jean Klein me donnera des éléments de réponse. Oui, des éléments parce qu’elles seront uniquement intellectuelles et aucunement vécues. Pour cela, j’attendrai mes vingt-huit ans. Là, je devrai regarder de près cette peur viscérale. Je devrai ? Oui, car je ne me permettrai plus de passer à côté, de faire celle qui sait.

Le savoir intellectuel (non-dualiste comme psychologique) bien qu’il m’ait permis de ne pas aller au suicide, ne me permettra pas d’être en paix. Oh, j’en aurai bien conscience : il n’était qu’une béquille pour ne pas sombrer dans un abîme que je ne pouvais ni ressentir ni regarder en face alors agée de seize ans. Alors oui, les peurs se manifesteront, non pas à nouveau, car elles ne me quitteront pas, mais là, elles se manifesteront et je les laisserai se manifester. Je ne résisterai plus. Des angoisses insoutenables, à ne plus savoir où je pouvais m’asseoir, où je pouvais me poser, aucun endroit extérieur où je pouvais ne serait-ce que superficiellement me sentir en paix , car aucun endroit intérieur où je sentais même un soupçon de paix. Malgré le fait que je voyais cette peur, elle était encore trop monstrueuse, gigantesque. Un titan. Des allées et venues, immersion, repliement compulsif, anesthésie du mental, neurones tétanisés, membres inertes, aucune notion de réalité. Où est le réel ? Qu’est-il ? Pffffffffff sais pas. Allées et venues… Combien ? Là non plus, je ne sais pas. Peu importe.

Pourtant, pourtant je pressentais qu’il m’était possible…

Dans un instant vide d’intentionnalité, je me souvins : être là avec ce qui se présente…

Je voyais : le mental avait peur. Il ne pouvait pas mourir (je me suis demandée, en relisant ce passage, si je ne m’étais pas trompée de verbe : ne pouvait-il pas ou ne voulait-il pas mourir ? Mais c’est bien cela : il ne pouvait pas mourir), malgré son désir intense d’être en paix et de se fondre dans le non mental je suis. Etre avec… Dans l’instant, je me rendais compte que tout cela restait conceptuel, intellectuel, oui, toujours mental : plus la peur était grande, plus le mental se cramponnait. Il tenait. J’étais dans une impasse, bloquée par mon désir d’en finir avec cette peur.

Soudain, le regard s’éclaira par cette compréhension vivante : « bloquée dans mon désir d’en finir avec cette peur.« 

Là, je venais de me rendre compte que par ce désir d’en finir je refusais cette peur.

Oui, je la refusais. Cela je le notais. Et après ? Je ne savais pas, n’avais aucune intuition de comment me sortir de cet endroit. … Ah, je voulais encore m’en sortir. Mais oui, c’était tellement à vif. La peur envahissait mon corps et mon regard au point d’avoir la nette impression que le visage allait exploser.

Par une impulsion venue de je ne sais où, je me levai, mis mes chaussures, mon manteau et partis me promener. Je marchai dans le parc d’à côté. C’était l’automne, je m’en souviens. Je regardai les arbres, l’herbe.

Les arbres.

… ça se rappela à moi : ressentir

Etre avec ce « je ne sais pas » sans surimposer une idée qui le masquerait : se familiariser avec lui, sans désir de faire disparaître cette peur qui me taraudait. Sans surimposer. Sans surimposer. A nouveau, je me rendis compte : c’est bien mon refus qui me coupe de cette peur, refus provoquant cette surimposition inconsciente : « Je veux éliminer ce trouble à tout prix ».

Là, à cet instant précis, les concepts s’envolèrent, imprégnée du « Je ne sais pas » est l’ouverture à la disponibilité.

Je le sentais là, sur le vif.

Je le sentais là : cette disponibilité se rappelait à moi sans relâche.

La peur revint. Immédiate, brutale, toujours aussi vive, titanesque.

Cette fois-ci, je ne dialoguai pas, je n’essayai pas de comprendre. j’écoutais la peur… Sa vibration, vidée de toute idée mentale. Dans le ventre, la tête, les yeux, ça se propageait dans le corps, ça séparait le cerveau droit du cerveau gauche, ça séparait les cellules les unes des autres qui s’entrechoquaient et conditionnaient le mouvement de panique. Une pensée vint, fulgurante : « La peur désunit ». Une pensée qui laissait libre, surgissant de la vision non encombrée, sans projet, sans résidu. « La peur désunit », non pas conceptuellement, non, non. Perçu. Perçu. Quelque chose qui surgit et meurt dans l’instant.

Je devins regard, sans centre, sans lieu qui désire mémoriser la saveur de ce surgissement.

Je devins perception… Disponibilité, discernement, lucidité et abandon dans le même instant.

Soudain je vis : il n’y a plus de séparation entre moi et la peur. Il n’y a plus de séparation parce qu’il n’y a plus de refus.

La peur se dissolu. Je, ne faisait rien. « Je » ? Il n’y a personne. Et pourtant, et si totalement présente.

Seulement une paix immense et silencieuse.

La vie même. Là. La vie même en corps, en discernement, en absolue présence. Là, je pouvais dire, parce que perçu : Je suis. Sans plus de question, parce que la réponse était totalement incompréhensible pour le mental et absolument vécue comme totale : la vie est. Je suis.

Hélène Naudy