En Allemagne, le milieu des adeptes des médecines alternatives est en pleine ébullition :
si l’on en croit une rumeur qui court actuellement sur Internet, l’Union européenne veut interdire
les plantes médicinales en 2011. La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre via Twitter et Facebook. Une pétition pour protester contre le projet a d’ores et déjà été signée par
plus de 120 000 personnes. De toute part, on accuse le lobby des industries pharmaceutiques qui tire les ficelles à Bruxelles. Seul problème : le projet de loi n’a jamais existé. Le blogueur et astronome autrichien Florian Freistetter tente d’analyser cette histoire.

La reine des prés, de laquelle a été tiré le produit actif de l’aspirine.

Photo : Pascal Blachier, sous licence CC

Parfois, il arrive des choses qu’on ne peut considérer qu’avec étonnement.

En ce moment, les appels se multiplient sur Internet, tant sur Twitter et Facebook que par e-mail, pour signer rapidement une pétition électronique. En effet, la méchante UE, aidée par l’industrie pharmaceutique, bien plus méchante encore, élabore des plans afin d’interdire les plantes médicinales dans l’ensemble de l’Union européenne à partir d’avril 2011.

Ce qui ne se laisse pas protéger par un brevet — et qui n’apporte donc pas d’argent à l’industrie pharmaceutique — n’a pas le droit d’exister. C’est pour cette raison que les plantes et herbes médicinales (mêmes celles poussant partout dans la nature) vont être rendues illégales. On nous supprimera donc la possibilité de choisir entre les médicaments “doux” offerts par mère Nature et de méchantes bombes chimiques.

Dramatique, n’est-ce pas ? Face à cela, il faut bien devenir actif ! Il faut bien faire quelque chose ! Je suis également de cet avis. On pourrait commencer par expliquer de quoi il est véritablement question et pourquoi toute cette agitation autour d’une soi-disant interdiction des plantes médicinales est une énorme bêtise.

Si vous pensez que j’exagère, voici l’explication des auteurs de la pétition :

Les produits naturels auxquels on donne un pouvoir de guérison seront dorénavant considérés comme médicaments et non plus comme aliments, comme ce fut le cas jusqu’à présent. Seuls sont souhaités les produits qu’on peut breveter et monopoliser dans le commerce grâce à une marque déposée. Ce qui poussent simplement dans la nature est illégal. Ce n’est pas notre santé qu’on protègera de cette manière, mais bien le chiffre d’affaires et les bénéfices des groupes pharmaceutiques. Nous devrions pouvoir choisir nous-mêmes ce qui est bon pour nous, choisir nous-mêmes quels produits nous voulons prendre, des bombes chimiques ou les médicaments doux issus de la nature.”

On pourrait bien croire qu’il s’agit d’une satire : “Des bombes chimiques ou les médicaments doux issus de la nature”… Sérieusement ! Tout est chimique. Les produits de la nature sont tout autant constitués d’atomes et de molécules que ce qui est produit dans un laboratoire. Et la “douce” nature produit pas mal de produits dangereux et même mortels, avec de nombreux effets secondaires.

Tout le contraire des médicaments issus de la recherche, pour lesquels les mêmes produits ont été optimisés afin de minimiser les effets secondaires. Les équations “nature = toujours bien” et “chimie = toujours mal” sont stupides. Peu importe qu’un produit provienne de la forêt ou du laboratoire : il peut avoir des effets bénéfique et guérir sans problème. Ou alors nous accabler d’effets secondaires importants, nous rendre malade ou même nous tuer. L’important est toujours de déterminer avec justesse ce qui peut être utilisé, et comment l’utiliser.

À gauche, de l’iode 125 radioactif, à droite, un pied de digitale pourpre.

Vous pensez pouvoir distinguer le “médicament naturel et doux” de “la bombe chimique” ?
Ce serait stupide : les deux produits peuvent guérir et les deux peuvent tuer
(Image de droite : Jörg Hempel, CC-BY-SA 3.0)

Cela étant dit, il semble normal qu’une personne voulant se soigner avec des “produits naturels” ait le droit de le faire, non ? Pourquoi donc l’UE souhaite-t-elle interdire cette pratique ?

En vérité, elle ne le veut pas. La directive européenne relative aux médicaments traditionnels à base de plantes — c’est la loi en question — est déjà en vigueur depuis avril 2004. En avril de l’année prochaine, c’est simplement une période de transition pour les produits mis en circulation avant l’entrée en vigueur de la directive qui va se terminer. Et bien entendu, il ne s’agit pas d’une interdiction des plantes médicinales.

Martin Ballaschk (…) explique :

Le but de la directive européenne en question, par ailleurs déjà transposée en droit allemand en 2005, n’est pas de criminaliser les collectionneurs d’herbes ou même d’interdire les plantes médicinales, mais de simplifier le processus d’enregistrement pour les médicaments à base de plantes et reposant sur des pratiques traditionnelles. Les médicaments préparés en pharmacie ne sont soumis à aucune autorisation et sont donc exclus de la réglementation (…)”

À ce jour, près de 100 000 personnes sont tombées dans le panneau et ont signé la pétition. On observe une nouvelle fois à quelle point la peur rend irrationnel.

L’histoire de la méchante mafia pharmaceutique qui veut une fois de plus détruire par cupidité tout ce qui dans ce monde est beau et bon, et nous interdire l’utilisation des herbes de nos jardins est certes fausse, mais elle a tout de même réussi à produire une telle peur chez les gens qu’ils ne pensent même plus à s’informer avant d’agir.

Cela dit, on sait bien que les décisions politiques sont basées sur l’émotion et non sur la raison. Ne reste qu’à espérer que le nombre de personne se laissant berner cesse de croître et que les hommes politiques n’exploitent pas le sujet (celui-ci se prêtant particulièrement bien à une campagne électorale…).

Ce billet a été raccourci par E-Blogs avec l’accord de l’auteur.

Florian Freistetter