Nous sommes au cœur d’une mutation où s’annonce un renversement de perspective. Raoul Vaneigem

Vers la synthèse entre Intégralisme américain et Progressisme européen

Nous venons de consacrer nos huit derniers billets à trois livres qui témoignent, chacun à sa façon, du saut évolutif et conceptuel effectué par des avant-gardes intellectuelles et culturelles inspirées par une même Vision Intégrale. Face à une crise systémique qui rend nécessaire l’émergence d’un nouveau paradigme, la Vision Intégrale permet de mieux comprendre, loin de la fragmentation disciplinaire et du réductionnisme dominant, la complexité de l’expérience humaine vécue dans ses multiples dimensions, intérieures et extérieures, individuelles et collectives.

Cette Vision Intégrale est l’expression contemporaine d’une sensibilité évolutionnaire enracinée dans une longue généalogie. A la différence de cette théorie scientifique qu’est l’évolutionnisme à laquelle on ne peut la réduire, l’approche évolutionnaire est globale : elle consiste à vivre, percevoir, ressentir et se représenter l’évolution du monde et de l’être humain, des subjectivités et des cultures comme des sociétés. Dans ce billet nous évoquerons les différences historiques et culturelles qui existent entre Europe et États-Unis pour mieux comprendre la façon dont cette sensibilité évolutionnaire s’est incarnée sur les deux continents à travers l’intégralisme américain d’une part et le progressisme européen de l’autre. Alors que l’intégralisme américain s’est concentré sur l’évolution individuelle et culturelle, le progressisme européen s’est plutôt focalisé sur le progrès social et politique.

Si l’intégralisme américain a permis une percée de la pensée évolutionnaire, notamment grâce aux apports très significatifs des modèles développementaux, il véhicule, de manière souvent inconsciente, certains stéréotypes d’un imaginaire capitaliste qui fonde historiquement la culture américaine. Quant aux progressistes européens, suite au long combat mené contre l’hégémonie culturelle de l’Église, ils considèrent trop souvent toutes formes de transcendance ou de spiritualité comme autant d' »opiums du peuple » utilisés par les classes dominantes pour asseoir leur domination.

Le temps est venu d’opérer une synthèse qui pourrait associer le meilleur de l’intégralisme américain – sa connaissance très fine du développement individuel et culturel – et le meilleur du progressisme européen c’est-à-dire la radicalité de sa critique et de son imaginaire social. Cette « Synthèse Évolutionnaire » associe et intègre dans un niveau supérieur ces deux expressions majeures de la sensibilité évolutionnaire que sont l’intégralisme et le progressisme. Forts de leurs particularités culturelles, des chercheurs des deux continents doivent avancer ensemble sur la voie de cette synthèse novatrice née du dialogue interculturel comme du débat intellectuel. Si cet article a une longueur inhabituelle sur ce blog c’est qu’il pose les bases d’une réflexion et d’un débat qui seront proposés à diverses composantes du mouvement intégral.
La Dynamique de l’Évolution Culturelle

Les trois ouvrages évoqués dans nos derniers billets sont inspirés par une même approche intégrale qu’ils revendiquent. « Connaissance de la Totalité » de Serge Carfantan évoque le changement de paradigme majeur qui concerne tous les aspects de la connaissance : sciences exactes, sciences humaines et spiritualité. Écrit par trois auteurs sous l’égide de Ken Wilber, « Pratique de Vie Intégrale » rend compte d’une méthode de développement humain dont le but est d’incarner ce changement de paradigme en passant de la théorie à la pratique pour vivre cette transformation au quotidien dans tous les aspects de soi-même. Quant au livre de Marc Gafni intitulé « De l’égo au Moi Unique », il participe à cette mutation en posant les bases d’une spiritualité évolutionnaire qui opère la synthèse entre l’éveil oriental fondé sur l’ouverture à l’impersonnel, et l’éveil occidental fondé sur la dynamique d’individuation.

Ces trois ouvrages sont autant d’exemples d’une même dynamique évolutive qui touche d’abord les individus les plus créatifs regroupés par affinités dans des réseaux d’avant-garde. Ceux qui participent à ces réseaux estiment que l’émergence d’un nouveau paradigme doit inspirer et accompagner le changement de civilisation devenu indispensable pour affronter une crise systémique que les modes de pensée et les modèles du passé sont incapables de résoudre. Rien d’étonnant si un tel mouvement évolutif reste imperceptible pour les tenants des institutions et ne puisse être saisi par une pensée dominante qui regarde le monde d’aujourd’hui avec les lunettes d’hier… quand ce n’est pas d’avant-hier !…

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Publié par Serena (Profil & Articles associés)