Manger de la viande issue d’animaux clonés, ou de descendants d’animaux clonés, sans le savoir reste autorisé en Europe. Ainsi en ont décidé la Commission et les États malgré l’opposition du Parlement européen qui voulait imposer, au moins, un étiquetage obligatoire.

29.03.2011 | 19:05
Par
Damien Dubuc (Paris)

Sur l’emballage d’un steak, on trouve la race de l’animal, le pays d’élevage et même le lieu de son abattage. Manque une information : la viande est-elle issue d’un bœuf cloné? Ou du descendant d’un bœuf cloné?

Le Parlement européen y est favorable: les députés proposaient un système de traçabilité avec étiquetage obligatoire pour la viande de tous les animaux procréés par des bêtes clonées. Les États ont jugé cette option irréaliste. Et aucun compromis n’a pu être trouvé, lundi soir, lors d’une réunion avec les représentants de la Commission et des Etats.

Statu quo

La législation actuelle, qui autorise la commercialisation de la viande clonée va donc rester en vigueur. Elle date de 1997. Le désaccord ne concerne pas la viande, ou le lait, des animaux clonés puisque la Commission était favorable à un moratoire de cinq ans sur la production et l’importation de clones à des fins alimentaires.

Ces derniers ne sont de toute façon pas destinés à finir sous forme de charcuterie: ils coûtent bien trop chers (jusqu’à 100 000 euros pour un taureau) et servent à la reproduction. Non, le désaccord porte sur les descendants de clones.

Pourquoi l’Europe n’a pas pu trouver d’accord?

Pour la Commission européenne, ces descendants sont des animaux comme les autres. « Il faut comprendre que les animaux clonés ne sont pas génétiquement modifiés : ce sont des copies, et non pas des animaux dont les gènes auraient été transformés », insiste Martine Holzer, l’une des porte-parole, citée par le Parisien.

De son côté, le Parlement réclamait une traçabilité très poussée, remontant à plusieurs générations. Une fausse bonne solution pour les Etats de l’UE. Une solution « trompeuse », a déclaré le ministre hongrois du Développement rural, Sandor Fazekas [la Hongrie préside actuellement l’UE]. Qui aurait obligé à établir « un arbre généalogique pour chaque tranche de fromage ou de salami ».

« Une guerre commerciale totale » ?

Car, en toile de fond, ce sont, avant tout, des considérations commerciales qui ont dicté la position des gouvernements et de la Commission.

Une partie du Conseil a joué la rupture, comme la Grande-Bretagne, car ça les arrange de pouvoir importer des semences d’animaux clonés sans contrôle. Tout cela favorise les gros lobbies alimentaires des Etats-Unis » accuse l’eurodéputé Corinne Lepage, dans un entretien avec l’AFP.

L’Union européenne ne produit pas de viande clonée, mais importe chaque année entre 300 000 et 500 000 tonnes de viande bovine destinées à la consommation. Une bonne partie vient des Etats-Unis et d’Argentine, pays qui ont autorisé eux le clonage à des fins commerciales. Or, se défend la Commission, cette viande « peut être issue d’animaux clonés, mais il est impossible de le vérifier », faute de système de traçabilité .

L’étiquetage exigé par le Parlement européen aurait donc obligé l’UE à bloquer les importations. Au risque « de nous entraîner dans une guerre commerciale totale », reconnait Sandor Fazekas. Une situation « impossible à défendre devant l’OMC et aurait pour conséquence des mesures de rétorsion », précise le communiqué du Conseil.

Peut-on trouver de la viande clonée dans nos assiettes?

En février 2010, un fermier écossais a importé des États-Unis, puis vendu, de la viande et du lait issus de bétail cloné. Ce qui avait suscité une polémique. En fait, rien n’interdit à un agriculteur européen de mettre sur le marché ce type de produits, à condition de demander au préalable une autorisation spéciale à l’agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA: European Food and Safety Authority).

D’après la Commission européenne, il n’y a jusqu’à présent jamais eu de demande en ce sens. En revanche, pour commercialiser de la viande ou du lait de la progéniture d’animaux clonés, aucune autorisation spéciale n’est nécessaire.

Il est donc tout à fait possible d’en trouver dans les assiettes européennes. C’est même un des arguments du Conseil pour rejeter les restrictions proposées par le Parlement. Elles « tromperait les consommateurs alors qu’il y a déjà des descendants non traçables dans l’UE et des produits alimentaires dérivés sont déjà entrés sur le marché alimentaire. »

Est-ce dangereux pour la santé?

La Commission européenne s’appuie sur un rapport de l’agence sanitaire européenne, selon lequel ni la viande ni le lait de clones ou de descendants ne posent de risques pour la santé humaine.

Rien n’indique qu’il existe des différences en termes de sécurité des aliments entre la viande et le lait obtenus à partir d’animaux clonés ou de leur descendance et ceux dérivés d’animaux conçus de manière traditionnelle. Cette conclusion est toutefois basée sur l’hypothèse que la viande et le lait sont obtenus à partir d’animaux en bonne santé, soumis à des règles de sécurité des aliments et des contrôles adéquats, soulignait l’EFSA EN 2008.

Des conclusions réaffirmées en 2010: « aucune nouvelle information disponible (…) ne conduit, à ce stade, à reconsidérer les conclusions et les recommandations relatives à la sécurité alimentaire. »

Reste les précautions d’usage: « des incertitudes subsistent dans l’évaluation des risques associés au clonage en raison du nombre limité d’études disponibles, de la taille réduite des échantillons étudiés », nuançait l’EFSA il y a trois ans.

Conséquence de ces incertitudes et de l’impasse politico-commerciale dans laquelle s’est mise l’UE, Corinne Lepage anticipe « une méfiance des consommateurs à l’égard de la viande ». Le sondage le plus récent sur cette question montrait déjà que seuls 15% des européens sont favorable à la commercialisation de produits clonés.

Damien Dubuc (paris)