Le shintoïsme ou shinto (神道, shintō?, littéralement « la voie des dieux » ou « la voie du divin ») est une religion qu’il est difficile de faire rentrer dans des catégories. Elle mélange des éléments polythéistes et animistes. Il s’agit de la religion la plus ancienne du Japon et est particulièrement liée à sa mythologie. Le terme « shintō », lecture sino-japonaise, ou « kami no michi », est apparu pour différencier cette vieille religion du bouddhisme « importé » au Japon au Ve siècle. Ses pratiquants seraient aujourd’hui plus de cent millions au Japon.

Allée de torii, sanctuaire de Fushimi Inari, Kyōto

Origines et syncrétisme

Les origines du shintoïsme sont généralement méconnues, mais il semble avoir été fondé vers la fin de la période Jomon. Originaire du chamanisme coréen, après l’arrivée des ancêtres des Japonais d’aujourd’hui, chaque tribu et chaque région avaient ses propres dieux et ses propres rituels sans relation avec ceux des autres régions. Suite à l’accession des ancêtres de la famille impériale actuelle à une position de pouvoir parmi les différentes tribus, leurs dieux sont devenus prééminents par rapport aux dieux des autres groupes, bien que différents systèmes continuaient à exister.

L’introduction de l’écriture au Ve siècle et du bouddhisme au VIIe siècle ont eu un impact profond sur le développement d’un système unifié de croyances shintô. En une très courte période, le Kojiki (古事記?, « chronique des faits anciens », 712) et le Nihonshoki (日本書紀?, « chroniques du Japon », 720) sont écrits en compilant des récits mythologiques et des légendes. Ces deux chroniques ont été écrites avec deux objectifs précis. Premièrement, la sophistication des récits et l’introduction du taoïsme, du confucianisme et du bouddhisme dans les récits avaient pour but d’impressionner les Chinois par la sophistication du japonais. Les Japonais étaient intimidés par l’avance culturelle chinoise et voulaient produire quelque chose pouvant rivaliser avec elle. Le deuxième objectif était d’étayer la légitimité de la maison impériale, descendante directe de la déesse du soleil Amaterasu. Une grande partie du Japon actuel n’était contrôlée que très partiellement par la famille impériale, et des groupes ethniques rivaux (comme, sans doute, les ancêtres des Aïnous) continuaient de mener la guerre contre l’avancée des Japonais. Les anthologies mythologiques, tout comme les anthologies poétiques telles que le Man’yoshu (万葉集?) ou d’autres, étaient toutes censées impressionner les autres groupes par le mérite de la famille impériale et leur mandat divin de régner.

Avec l’introduction du bouddhisme et son adoption rapide par la cour, il fut nécessaire de donner des explications sur les apparentes différences entre les croyances japonaises indigènes et les enseignements bouddhistes. Une des explications plaça les kamis, les divinités shinto, en tant qu’êtres surnaturels, toujours dans le cycle de la naissance et de la renaissance. Les kamis naissent, vivent, meurent et renaissent comme toutes les autres créatures dans le cycle karmique. Cependant, les kamis jouaient un rôle spécial en protégeant le bouddhisme et en permettant à son enseignement compatissant de s’épanouir.

L’unité de tradition entre le bouddhisme et le shintoïsme a été initiée par le maître Kūkai (774-835) qui expliqua qu’il n’existait aucune différence essentielle entre Amaterasu et Vairocana (大日如來, Dainichi Nyorai?, manifestation du Bouddha dont le nom veut dire « grand Tathagata du soleil »), ou entre kamis et bodhisattvas, ce qui donna un mélange des deux systèmes appelé ryōbu shintō (両部神道?). On trouve ainsi encore de nombreux temples bouddhistes possédant dans leur enceinte un espace dédié aux kamis, quand les kamis ne sont pas eux-mêmes considérés comme des émanations des différents bouddhas et boddhisattvas. Des liens se sont aussi créés entre des grands temples du bouddhisme et des sanctuaires shinto. Ainsi Inari, la divinité du grand sanctuaire de Fushimi Inari-taisha est considéré comme un protecteur du Tō-ji, grand temple de Kyōto, ce qui donne lieu à des cérémonies communes.

Les vues de Kukai ont tenu le haut du pavé jusqu’à la fin de la période Edo, date d’un renouveau pour les « études japonaises » peut-être dû à la politique de fermeture du pays. Au XVIIIe siècle, de nombreux érudits japonais, en particulier Motoori Norinaga (1730-1801), essayèrent de séparer le « vrai » shintoïsme des différentes influences étrangères. Cette tentative échoua en grande partie car, dès le Nihonshoki, des parties de la mythologie avaient déjà été empruntées aux doctrines chinoises. Par contre, elle prépara le terrain pour l’arrivée du shintoïsme d’État avec la restauration Meiji.

Shinto d’État

Avec la refonte de la constitution en 1868 sous l’ère Meiji, le shinto devint la religion d’État de l’Empire du Japon : le Kokka shinto (国家神道?, shinto d’État). Dès 1872, un Office du culte shinto (Jingikan) fut établi afin de promouvoir les rites et le culte officiel et tous les prêtres devinrent des employés de l’État. Chaque citoyen devait s’enregistrer comme membre de son sanctuaire local (ujiko), devenant par le fait même membre du sanctuaire d’Ise.

L’Empereur Shōwa revêtu de sa tenue de chef du culte de Shinto d’État

L’empereur du Japon, descendant de la déesse Amaterasu et désormais chef de l’État et commandant suprême de la Marine et de l’Armée, fit l’objet d’un véritable culte. En 1889, fut établi un sanctuaire dédié à l’empereur Jimmu, le fondateur mythique de la dynastie. Ce sanctuaire porte le nom de Kashihara-jingu (橿原神宮?).

Ce culte prit une importance primordiale lors de l’expansionnisme du Japon durant l’ère Showa. En tant que Commandant officiel du Quartier général impérial à compter de 1937, l’empereur Shōwa était considéré comme la pierre d’assise du hakko ichiu (八紘一宇?), la « réunion des huit coins du monde sous un seul toit ». Il fut ainsi instrumentalisé pour justifier l’expansionnisme et la militarisation auprès de la population japonaise. La manifestation tangible qui faisait de l’empereur le représentant des dieux était les insignes impériaux.

Parmi les partisans les plus notables de cette doctrine, on compte le prince Kotohito Kan’in, chef d’état-major de l’Armée impériale japonaise et le premier ministre Kuniaki Koiso.

Le récit de l’instauration du règne de l’empereur Jimmu et de la lignée impériale japonaise occupe une place importante dans le shintoïsme. Il est étroitement lié à la région du Yamato sur Honshū, l’île principale de l’archipel nippon, où est situé le sanctuaire le plus important du shinto : celui d’Amaterasu à Ise.

Selon le Kojiki et le Nihon Shoki, après avoir été banni du ciel, le dieu Susanoo, frère d’Amaterasu, descendit sur terre, sauva une belle jeune fille prisonnière d’un dragon, trouva une épée magique dans l’une des huit queues du monstre et la donna à sa sœur, Amaterasu, en offrande de la paix. Il épousa une jeune fille, construisit un palais près d’Izumo et engendra une dynastie de dieux puissants qui finirent par régner sur la Terre. Le plus grand d’entre eux fut Okuninushi, le « grand seigneur du pays ». Inquiète de la puissance d’Okuninushi, Amaterasu envoya son petit-fils Ninigi dans le monde mortel pour y rétablir sa souveraineté. Ninigi était porteur de trois talismans : le miroir sacré, qui avait été utilisé pour faire sortir Amaterasu de sa grotte, l’épée magique offerte par Susanoo et un merveilleux joyau de fertilité, un magatama, que Susanoo avait utilisé pour engendrer sa descendance dans la querelle avec sa sœur. Ces trois objets devinrent les insignes impériaux et la représentation concrète de l’autorité divine de l’empereur.

Selon la tradition, Ninigi atterrit sur le sommet du Takachiho (高千穂峰?), à Kyūshū, et conclut un marché avec Okuninushi. En échange de la fidélité de ce dernier, Ninigi lui promit que sa grand-mère le reconnaîtrait comme protecteur perpétuel de la famille impériale, laquelle allait être fondée plus tard par l’arrière-petit-fils de Ninigi (瓊瓊?), c’est-à-dire l’empereur Jimmu. Okuninushi est célébré à Izumo-taisha, le second des plus importants sanctuaires du shinto au Japon après Ise. La tradition veut depuis que, de l’époque de Jimmu à aujourd’hui, les descendants terrestres d’Amaterasu règnent sur le Japon à titre d’empereur.

Le Kokka shinto perdura jusqu’en 1945, lorsque Mac Arthur, le Commandant suprême des forces alliées, exigea la réforme de la Constitution et priva l’empereur de ses pouvoirs exécutifs. Le « shinto d’État » fut alors démembré, mettant un terme au principe de la religion officielle au Japon. Les kamis n’avaient pu fournir le Vent Divin (kamikaze) pour repousser les envahisseurs étrangers.

De plus, en janvier 1946, l’empereur dut déclarer publiquement dans un édit impérial qu’il n’était pas un akitsumikami (divinité incarnée). La portée de cette déclaration est contestée puisque l’empereur Showa lui-même avait déclaré en décembre 1945 à son chambellan Michio Kinoshita « qu’il est absolument interdit de qualifier de chimérique l’idée que l’empereur est un descendant des dieux »1. Plusieurs commentateurs, dont John Dower et Herbert Bix, s’interrogent aussi sur l’emploi du terme akitsumikami au lieu de celui plus courant d’arahitogami (dieu vivant).

De nos jours

Au lendemain de la guerre, la plupart des Japonais pensaient que la prétention démesurée de l’Empire l’avait mené à sa chute. La convoitise de territoires étrangers aveugla ses chefs qui délaissèrent la mère patrie. Dans l’après-guerre, de nombreuses « nouvelles religions » (新宗教, shinshūkyō?) apparurent, beaucoup basées sur le shintoïsme, mais, globalement, la religiosité des Japonais diminua. Ainsi Konkokyo et Omoto Kyo sont d’inspiration shintoïste, alors que d’autres groupes comme Sūkyō Mahikari ou Tenrikyō sont des syncrétistes mélangeant shintoïsme et bouddhisme.

Le shintoïsme a persisté en passant sous silence ses références à la mythologie ou au mandat divin de la famille impériale. Au contraire, les sanctuaires se concentrent sur les gens ordinaires en les aidant à maintenir de bonnes relations avec leurs ancêtres et les kamis. La façon de penser shinto constitue toujours une part importante de la mentalité japonaise, bien que le nombre de personnes qui se disent animées d’un sentiment religieux ait fortement décru.

La plupart des Japonais ont une vision neutre de la religion et en pratiquent plusieurs dans leur vie. Ainsi, en 2005, selon l’Agence pour les affaires culturelles du Ministère de l’éducation, la culture, des sports, des sciences et des technologies japonais, on comptabilisait 107 millions de shintoïstes (84 % de la population) et 91 millions de bouddhistes (71 % de la population)2. Une même personne peut aller prier au sanctuaire shinto au nouvel an pour une bonne année et avant les examens d’entrée à l’école pour implorer son succès, puis plus tard avoir un mariage à l’occidentale dans une église3 plutôt qu’un mariage shinto, et enfin des funérailles dans un temple bouddhiste.

Principes éthiques et croyances

Le shintoïsme est essentiellement polythéiste. Le concept majeur du shintoïsme est le caractère sacré de la nature. Le profond respect en découlant définit la place de l’homme dans l’univers : être un élément du grand tout. Ainsi, un cours d’eau, un astre, un personnage charismatique, une simple pierre ou même des notions abstraites comme la fertilité peuvent être considérés comme des divinités.

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Notes et références

↑ Peter Wetzler, Hirohito and War, 1998, p. 3.

↑ (en) Religious Organizations, Clergymen and Adherents in Japan (1980-2005) [archive] sur Bureau des statistiques du Ministère japonais des Affaires intérieures et des Communications, Agence pour les affaires culturelles du Ministère de l’éducation, la culture, des sports, des sciences et des technologies. Mis en ligne le 4 décembre 2008, consulté le 13 juillet 2009

Bibliographie

Motohisa Yamakage, Shinto, Sagesse et pratique Ed Sully 2012

François Macé (dir.), Le Grand Atlas des religions, Paris, Encyclopædia Universalis, 1988, « Le shintô »

Fabienne Duteil Ogata, « Une journée ordinaire dans un sanctuaire shintô de Tôkyô », dans Ateliers, no 30, avril 2006, p. 225-250 [texte intégral (page consultée le 22 février 2009)]

Kojiki, traduit par Masumi et Maryse Shibata, Maisonneuve et Larose, première édition 1969 ; réédition en 1997. Épuisé.

Kojiki, traduit et repris par Pierre Vinclair avec des calligraphies de Yukako Matsui, le corridor bleu, 2011.

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