Extrait du livre « La voie sacré du guerrier pacifique » de Dan Millman.

Arrivé sur l’île de Molokai sur une planche de surf ayant dérivé sur l’océan pacifique pendant trois jours, Dan est guidé une nouvelle fois à travers l’île par Mama Chia, une chamane au grand cœur qui l’a recueilli, vers un village de lépreux.

Nous nous tenions au bord d’une falaise tombant à pic trois cents mètres avec une vue magnifique : des nuages flottaient sur une mer bleu-vert et un albatros glissait sur les vagues loin en bas. Mes yeux suivirent l’oiseau qui prenait son envol jusqu’à ce que je remarque une sorte de localité entourée de hauts palmiers.
– Kalaupapa, désigna Mama Chia…

[…]

Dan : Attendez une minute. Je n’ai pas dit que je restais.
Mama Chia : Eh bien, restez-vous ?

Je ne répondis pas immédiatement. Nous marchâmes en silence en descendant vers un groupe de bungalows et la plage. Puis je demandai :

– Venez vous ici pour leur délivrer un enseignement ?
– Non, pour apprendre d’eux.

Elle fit une pause, cherchant ses mots.

– Ce sont des gens ordinaires, Dan. Sans leur maladie, ils travailleraient dans des champs de canne à sucre, vendraient des assurances, pratiqueraient la médecine, travailleraient dans des banques… Je ne veux pas les idéaliser. Ils ont les mêmes problèmes et les mêmes peurs que n’importe qui. Mais le courage est comme un muscle. Il se renforce avec l’entraînement. Les gens ne testent pas leur esprit tant qu’ils ne sont pas confrontés à l’adversité. Ceux-ci ont mené l’une des batailles physiques et émotionnelles les plus difficiles. Frappés d’ostracisme par un monde peureux, ils vivent dans un village sans rires d’enfants. Le mot « lépreux » est devenu synonyme de « quelqu’un dont on se détourne », un paria, abandonné du monde. Peu de gens ont subi une telle épreuve et peu ont manifesté un tel courage. Le courage m’attire, partout où il se trouve. C’est pourquoi je suis particulièrement intéressée à ces gens, non comme guérisseuse, mais comme amie.

– N’est-ce pas la même chose ?
– Oui, je suppose, accorda-t-elle avec un sourire.
– Alors je crois que je peux être un ami moi aussi. Je resterai, mais juste quelques jours.
– Si vous serrez les dents et attendez simplement que le temps passe, vous aurez perdu le vôtre. Le but de cette semaine est d’ouvrir votre cœur autant que vous le pouvez.
– Une semaine, je croyais que vous aviez dit quelques jours !
– Aloha, dit-elle en me tendant une bouteille d’écran solaire et en se mettant en route pour visiter une autre localité.

(…)

Quelqu’un me demanda même de lui couper les cheveux, ce que je fis très mal, mais il n’en sembla pas le moins du monde contrarié.
Nous ne cessâmes de bavarder et de rire, bien que ne nous comprenant qu’à moitié. Les larmes me viennent aux yeux en écrivant ces lignes, car aussi étonnant que cela puisse paraître, ces journées furent parmi les plus gratifiantes de ma vie. C’était tout simple et très humain. Juste de l’aide. Pendant ces quelques jours, je fus simplement l’un d’entre eux.

C’est le cinquième jours que j’éprouvai une compassion que je n’avais encore jamais ressentie. Jamais. Et je compris le but de Mama Chia. A partir de ce jour-là, je n’eus plus peur d’attraper la maladie, mais commençai à vraiment vouloir servir, dans toute la mesure de mes possibilités.

[…]

Je montrai une esquisse à Manoa. Il la montra à d’autres. Ils convinrent que c’était une bonne idée. Avec quelques hommes, je commençai alors à creuser.

(…)

Mama Chia revint quelques jours plus tard pour voir l’évolution du gros œuvre. Quand il fut terminé, je sus qu’il était temps de partir. Plusieurs hommes vinrent me serrer la main. Nous avions, en travaillant dans un but commun et en transpirant ensemble, créé un lien, un lien tel que les hommes doivent en avoir forgé depuis des milliers d’années. Et cela faisait du bien.
Ils allaient me manquer. Je me sentais plus proche de ces bannis de la société que de mes collègues de travail, là-bas dans l’Ohio.

(…)

Tandis que Mama Chia me guidait vers la plage, d’autres sentiments firent surface : toute la gratitude, le chagrin et l’amour pour Mama Chia, que j’avais laissés de coté ces dix derniers jours, me submergèrent à nouveau. Je me mis devant elle et, posant les mains sur ses épaules, la regardai dans les yeux.
– Vous avez été si bonne pour moi, lui dis-je. Je voudrais faire quelque chose pour vous…

Je dus respirer lentement et profondément pour retenir mon chagrin.
– Mama Chia, vous êtes si bonne… cela semble injuste. Et je ne pense pas mériter tout cela : le temps, l’énergie, la vie que vous m’avez consacrés. Comment puis-je vous remercier ? Comment puis-je vous récompenser ?

En guise de réponse elle me serra dans ses bras un long moment. J’étreignis cette vieille dame comme je n’avais jamais pu étreindre Socrate et pleurai.
Puis, reculant, elle me lança un sourire lumineux :
– j’aime ce que je fais. Un jour, vous comprendrez. Et je ne le fais pas pour vous ni pour Socrate. Les remerciements ne sont donc ni nécessaires ni justifiés. J’agis pour une cause plus large, une mission plus vaste. En vous aidant, j’aiderai beaucoup d’autres à travers vous. Venez. Allons faire une promenade sur la plage.

J’observai le village, qui avait maintenant repris sa routine, et me sentis inspiré par l’esprit aloha de ces gens. Je les voyais avec des yeux différents. Même si d’autres souvenirs viendraient à s’effacer, cela resterait pour moi l’un des plus vivaces, plus réels et durables que n’importe quelle vision.

Fin du chapitre 17

Dan Millman