A l’heure où tout part à vau-l’eau, où tout se mêle dans un vaste cacophonie, où les valeurs s’entrechoquent et se perdent, où les repères s’estompent et se brouillent, à l’heure où demain est plus incertain qu’il ne l’a jamais été, cette heure qui semble, comme dans un poème, être la plus sombre avant l’aube, nous en sommes à chercher une lumière, n’importe laquelle, pourvu qu’elle puisse éclairer notre route et indiquer un chemin. Un espoir.

Rien d’étonnant en pareilles circonstances, de voir poindre les utopies. Or, des utopies, il n’y en a plus guère de nos jours. Elles sont le plus souvent battues en brèche avant même de naître, tuées dans l’œuf par une propagande que certains ont appelés « la fin de l’Histoire », « la fin des idéologies », alors même que ceux-là, se faisant, défendent la dernière idéologie dominant le monde : le capitalisme.

Or, voici que je découvre un projet utopique au sens premier du termes : cette utopie s’appelle « The Venus Project » (Le Projet Venus), et elle est véhiculée à travers le Mouvement Zeitgeist, issu des films diffusés sur internet Zeitgeist (2007) et Zeitgeist : Addendum (2008). Ce début d’année 2011, le 26 janvier, sortira sur internet, simultanément et en vingt langues, le troisième volet, Zeitgeist : Moving Forward (Zeitgeist : Aller de l’Avant).

C’est donc l’occasion que j’ai choisie pour rédiger une analyse critique de cette utopie qu’est le Projet Venus. Étant donné la longueur de cette analyse que j’ai voulue argumentée, je la propose ici en trois parties, dont voici la troisième et dernière partie.

La dépendance technologique

Une importante question doit être posée concernant le Projet Venus, c’est la question de la dépendance à la technologie. Lorsque nous dénonçons la dépendance au système monétariste, nous désignons l’aliénation dans laquelle nous entraîne le fonctionnement du système selon les principes qui régissent le système bancaire. Nous dépendons des banques et de leur capacité à créer l’argent à partir de dettes.

Dans un système d’économie basé sur les ressources, nous dépendons des ressources, et c’est la raison pour laquelle le Projet Venus estime à raison que l’évaluation ainsi que la répartition équitable des ressources doit être fait au mieux. Pour ce faire, le credo avancé est le recours à la précision et l’efficacité de la méthode scientifique et des progrès technologiques. Pourtant, nous avons de nombreux exemples qui montrent les limites de la technologie, et parfois même son inefficacité.

Le dernier exemple en date remonte à moins de deux semaines au moment où j’écris ceci. Cette année 2010, nous subissons ici (Europe de l’Ouest) un hiver un peu plus précoce et rigoureux que d’habitude. De nombreuses perturbations ont provoqués retards et blocages d’aéroports, de routes, de voies de chemin de fer et de voies fluviales. Notamment, sur les voies de chemin de fer, la technologie moderne a été mise en échec par le froid et la glace. Les TGV ont dû ralentir, parce que la glace se formant dans les soubassements des voitures se détachait au croisement de deux rames et les projections à grande vitesse brisait les vitres des trains. De même, pour le train circulant dans le tunnel sous la manche, de la glace s’est formée dans les circuits électriques et électroniques de la locomotive et provoqué des dysfonctionnements qui ont bloqué les machines et le train au beau milieu du tunnel, ce qui a occasionné des difficultés pour évacuer les passagers. Sur la terre ferme, en Belgique, la SNCB a dû ressortir les vieilles locomotives électriques et diesel qui étaient « à la retraite », car les locomotives et les voitures modernes avaient de nombreux problèmes à cause de l’électronique embarquée, tout cela toujours à cause du froid …

Or, que propose le Projet Venus ? La cybernétisation de toutes les fonctions vitales de la société, villes, transports, moyen de construction, de production de biens et de nourriture. Tout cela régenté par ordinateurs et moyennant une hyper informatisation et l’électronique embarquée à tous les niveaux. Nous deviendrions donc dépendant en toutes choses de l’informatique, de l’électronique et de la cybernétique. Mais que se passerait-il si une vague de froid inhabituelle survenait ? Ou d’autres conditions climatiques hors normes – par nature imprévisibles – ou pire, si une activité solaire anormalement forte se produisait en synchronicité avec une activité particulièrement faible du magnétisme de la Terre ?

Nous nous trouverions entièrement paralysés, en proie à de grandes difficultés, et dans une situation où les « simples » citoyens seraient fortement démunis pour pouvoir réagir et s’adapter à la situation. La majeure partie de la population, déshabitués à se débrouiller par elle même pour sa nourriture, son énergie, et l’ensemble de ses besoins de base, se trouverait entièrement dépendante de techniciens et de scientifiques, qui, s’ils sont en effet les plus qualifiés pour trouver des solutions, n’en restent pas moins des humains, avec leurs limites et leurs défauts.

Ne dit-on pas qu’il ne faut jamais placer tous les œufs dans un même panier ? Ou qu’il faut avoir plusieurs cordes à son arc ? Ces sages proverbes sont là pour nous rappeler certaines choses élémentaires dans la gestion de notre quotidien et dans nos choix de vie. Le principal problème de la science actuelle, d’après de nombreux scientifiques et penseurs, c’est son hyper spécialisation. Cette spécialisation implique le plus souvent une segmentation, une réification des tâches, considérées les unes séparément des autres. Cette façon de penser et de fonctionner est contraire au grand principe d’interdépendance. Il empêche à chaque acteur d’avoir une connaissance et une vue d’ensemble d’un problème donné, et par conséquent, une prise en compte adéquate de la chaîne de causalité. La spécialisation doit être bannie de la connaissance holistique, car elle est le nerf de toutes les perversions de notre société. Par conséquent, nous ne devrions pas mettre tous nos efforts et tous nos espoirs dans les seuls apports de la science et de la technologie. Ce serait hypothéquer la meilleure opportunité qui se présente à nous de refonder une nouvelle humanité qui soit enfin digne de nos vertus et de nos idéaux les plus nobles et les plus progressistes.

Le diable dans les détails

Le Projet Venus est un projet ambitieux, mais sur un certain nombre de points, il m’apparait déjà critiquable dans ses choix. Une des choses qui me frappe, c’est le gigantisme des infrastructures imaginées pour supporter le projet : infrastructures sous marine pour exploiter le courant marin du Gulf Stream, barrages géants, machines gigantesques, etc. Ce gigantisme, je ne suis pas sûr qu’il soit du meilleur aloi. Par nature, le gigantisme n’est pas à l’échelle de l’Homme, mais plutôt à l’échelle des dieux de l’Olympe. Ce gigantisme est-il nécessaire ? Dans la mesure où le Projet Venus envisage la production d’une très grande quantité d’énergie, oui. Une ville selon le Projet Venus demandera, comme les grandes villes modernes actuelles, une très grande quantité d’énergie pour fonctionner. Pour alimenter ces villes, il sera nécessaire de construire de grandes centrales de production d’énergie, comme c’est le cas pour les centrales nucléaires ou les autres centrales de production d’énergie.

Or, je conteste le choix d’une production centralisée de l’énergie. Cette production centralisée, nous savons de quoi il retourne à l’heure actuelle : elle rend absolument dépendant l’ensemble des acteurs de la société à ces opérateurs, qu’ils soient publics ou privés. Pourtant, nous disposons déjà de la technologie qui permettrait à chaque foyer, ou à un petit groupe de quelques foyers, d’être autonome pour la production de leur énergie. L’éolien, le photovoltaïque, le solaire, la méthanisation des déchets, la récolte de l’eau de pluie, le géothermique, sont autant de technologies de production d’énergie renouvelable qui peuvent se décliner à l’échelle d’un ou de quelques ménages, rendant ceux-ci bien plus autonomes que s’ils dépendent d’une production centralisée.

Production centralisée vs production décentralisée

Il y a de nombreux avantages qui plaident en faveur d’une production autonome et décentralisée. Par exemple, lorsqu’une production centralisée tombe en panne, ce sont des dizaines, des centaines, des milliers – parfois des millions – de foyers qui sont privés au même moment d’énergie (cf. les problèmes qu’a connu la Californie). Cela provoque donc une crise importante et de gros problèmes à l’ensemble de l’économie. Cela peut se produire pour de multiples raisons, et les changements climatiques qui ne manqueront pas à l’avenir, de nous prendre par surprise en provoquant des catastrophes naturelles, doivent nous inciter à la prudence. Par contre, lorsque la production d’énergie est disséminée, lorsqu’une catastrophe se produit, elle ne frappe que les zones touchées, et non des millions de citoyens dépendant de la centrale de production. L’impact négatif se trouve dès lors limité, rendant la résolution des problèmes plus aisée. D’autre part, une production décentralisée empêche de facto toute prise de contrôle de la production d’énergie (quelle que soit la raison de la prise de contrôle) par un groupe, une corporation, etc. désirant nuire à la société (pour quelque raison que ce soit). Troisièmement, le risque d’une catastrophe type Tchernobyl ou Seveso se trouve lui aussi écarté.

Enfin, une production disséminée et décentralisée permet un meilleur contrôle et une meilleure responsabilisation des individus de leur propre consommation d’énergie, car étant directement responsable et en prise avec la production et l’entretien, les individus ont conscience de ce qu’ils font et de pourquoi ils le font. Cette responsabilisation individuelle fait selon moi partie intégrante des changements importants de mentalité qui doivent être opérés dans la refondation d’une nouvelle société. Responsabiliser en rendant les familles plus autonomes, tant au niveau de leur énergie que de leur alimentation, est un processus que nous devrions sérieusement envisager si nous voulons voir se développer une société plus responsable et plus citoyenne. La société proposée dans le Projet Venus ne semble pas du tout envisager cet aspect des choses, alors que paradoxalement, elle évoque le fait qu’il est nécessaire de faire évoluer les consciences individuelles. Mais ce n’est pas en proposant une société du futur où tout serait à portée de la main gratuitement que l’on responsabilise et conscientise les individus. Il y a donc là encore une sorte de contradiction dans le choix des solutions par rapport à l’énoncé des problèmes et de leurs causes.

Le béton et l’acier

Le Projet Venus prévoit une grande utilisation du béton et de l’acier pour ses réalisations architecturales. Voilà qui est un choix des plus discutable à bien des niveaux. Bien que n’étant pas ingénieur, j’ai une formation dans la construction, ayant suivi une instruction dans la physique du bâtiment et concernant les conceptions modernes de bâtiments à basse énergie ou de type passif. Ce type de concept me parait entrer en droite ligne dans un projet tel que le Projet Venus. Or, le matériau le plus préconisé dans ce cadre est incontestablement le bois. Quels sont les avantages du bois sur l’acier et le béton ?

Faible consommation en énergie pour sa production (Bois scié : 350 kWh/m3 ; Béton : 700 kWh/m3 ; Acier : 46 000 kWh/m3 ; Aluminium : 141 500 kWh/m3).

Lutte contre les gaz à effet de serre (le bois capture le CO2 présent dans l’air).

Meilleur isolant thermique (15 fois meilleur que le béton, 450 fois meilleur que l’acier, 1700 fois meilleur que l’aluminium)

– Le bois est un régulateur hygrothermique naturel très performant.

Solidité et durabilité (grande résistance mécanique du bois, matériau de choix utilisé depuis des siècles pour l’exécution des charpentes, pièces maîtresse de toutes les maisons quelle que soit la composition de leurs murs ; bien conçue, une maison bois est construite pour longtemps : en France, de nombreux bâtiments – comme les anciennes maisons à colombages – exposent fièrement leur façade plusieurs fois centenaire : dans les régions du globe particulièrement exposées aux intempéries et aux froids extrêmes, comme les pays scandinaves, les hommes ont massivement choisi la maison bois).

Sécurité (contrairement aux idées reçues de la propagande de l’industrie d’après guerre, le bois offre une meilleure sécurité incendie).

Rapidité de construction (pas de délai de séchage, contrairement au béton ou à la maçonnerie).

Constructions évolutives et modulables.

Vous pouvez facilement, sans être ingénieur, comprendre que pour produire une poutre en acier et en béton, il faut beaucoup plus d’énergie que pour produire une poutre en bois. En outre, le bois est un matériau renouvelable. On vante souvent les structures en acier dans la construction. Pourtant, à cause des chutes de neige supérieures à la norme lors de cet hiver 2010, on a vu de nombreux bâtiments effondrés à cause du poids de la neige : tous ces bâtiments avaient une structure en acier ! Tous ces arguments font du choix de l’acier et du béton comme matériaux privilégiés du Projet Venus, un choix plus que discutable. Il y a par ailleurs des pistes de recherche pour exploiter d’autres matériaux qui méritent d’être explorées, par exemple le bambou : léger, très performant mécaniquement, très rapide et facile à produire (sans engrais, sous de nombreuses latitudes et climats différents), ce matériau encore trop peu connu en occident offre des perspectives étonnantes. Et puis contrairement au froid de l’acier et à la grisaille du béton, le bois offre une chaleur et un confort d’habitat inégalé : on se sent bien dans une maison en bois, l’acoustique y est plus agréable, l’ambiance plus chaleureuse, les odeurs plus saines.

Attention, je ne dis pas qu’il faille abandonner l’usage du béton et de l’acier, mais je réfute l’idée qu’il faille les privilégier. Je considère que leur usage doit au contraire être minimisé, afin de privilégier des matériaux renouvelables (comme le bois) ne nécessitant que peu d’industrialisation pour leur mise en œuvre. Il y a des recherches et des expériences à faire pour faire progresser les connaissances et améliorer les performance déjà grandes du bois.

Les dangers du Projet Venus

Suppression des frontières

Afin de voir le jour, le Projet Venus implique la création d’une instance supranationale, telle que l’actuelle ONU, mais dotée d’autres objectifs, et de pouvoirs plus importants d’ingérence au sein des politiques nationales, au même titre que l’U.E. en Europe. Outre que je ne vois guère comment parvenir à unir tous les pays et tous les gouvernements autour du Projet Venus, et surtout considérant l’expérience que nous avons des institutions européennes, j’ai toutes les raisons d’être inquiet de voir une telle institution se former à l’échelle du monde.

L’U.E. est le projet le plus anti démocratique qui ait été réalisé depuis la dernière guerre mondiale. Elle a été instaurée sans aucune forme de légitimité démocratique, elle s’est imposée progressivement et sournoisement aux états membres et à leurs citoyens à l’aune de traités de plus en plus contraignants, qui ont vidé les états de pratiquement toutes leurs prérogatives. L’essentiel des politiques normalement attribués aux états est maintenant décidé par la Commission Européenne, et les gouvernements des états ne sont plus là que pour traduire les lois et décrets votés à l’U.E. dans leurs propres législations. Les frontières au sein de l’U.E. ne sont plus que symboliques, ou presque. Le grand melting pot a été décrété sans que les populations, les citoyens, aient eut leur mot à dire. Lorsqu’une « constitution » commune a été « proposée », quelques rares états (France, Pays-Bas, Espagne, Irlande) ont organisés un référendum afin d’obtenir l’adhésion de leurs citoyens. En France, au Pays-Bas et en Irlande, le traité a été rejeté par une majorité. Pour contourner cela, le traité à été « toiletté » et a été voté par décret … Il n’y a donc plus aucune forme de démocratie en Europe, si ce n’est un vernis illusoire et passablement craquelé. Les états qui font partie de l’U.E. se trouvent coincés, car le système est si bien ficelé qu’il est auto bloquant. Sortir de l’U.E. afin de récupérer sa souveraineté nationale est de l’ordre de l’exploit et paraît presque impossible.

Si une institution supranationale à l’échelle du monde entier était constituée de la même façon, quelles garanties aurions-nous que cette institution respecte non la forme, mais bien l’esprit démocratique ? D’autant que je considère, comme Mr Fresco, que nous n’avons jamais véritablement connu la démocratie : c’est une expérience, un projet qui reste à l’état d’ébauche. Nous avons développé quelques expériences qui ne constituent que des proto démocraties, et qui sont pour la plupart devenue des proto fascismes.

Bien sûr, beaucoup d’humanistes souhaiteraient voir abolir toutes les frontières, estimant que celles-ci sont des limites artificielles, illégitimes, qui séparent artificiellement les peuples et surtout les divise. C’est à la fois vrai et faux. Que ces limites soient artificielles est en partie vrai, mais ce que l’on ne peut pas nier, c’est la différence au niveau des langues, par exemple. Lorsqu’un état est constitué d’une population parlant une langue nationale spécifique (ex. Japon, Russie, France, Portugal, Espagne, …), la langue elle-même constitue une différence et une « barrière » réelle entre les peuples. Or, ces langues multiples ne sont-elles pas également une richesse ? D’autre part, on peut concevoir que les états sont en quelque sorte chacun un « projet de société » particulier, et que chacun de ces projets représente un choix qui appartient, peu ou prou, à ses citoyens. Bien sûr, c’est très discutable : puisqu’aucun pays n’a véritablement développé de démocratie « vraie », on peut considérer que les choix ont en réalité été opérés par des « élites » au pouvoir, et que les peuples ont donc été contraint de suivre.

C’est vrai, mais seulement dans une certaine mesure. Si cela s’est produit de cette façon, c’est que d’une manière ou d’une autre, les populations ont été amenées à accepter le système imposé. Dans une dictature, c’est la force et l’oppression qui est utilisée afin de soumettre la population ; dans une pseudo démocratie telle que nous la connaissons, c’est par le biais de la propagande et des techniques de manipulation des masses (ingénierie du consentement) que l’on obtient l’adhésion de la population (mais seulement dans une certaine mesure).

La disparité de « projet de société » constitue donc, d’un certain point de vue, un problème, mais d’un autre, une richesse : si de multiples projets peuvent être expérimentés, on peut établir une comparaison, et voir quels sont les avantages et inconvénients de chacun. Mais si un seul projet se développe sur toute la planète, quel point de comparaison aurons-nous ? Si jamais le projet prend mauvaise tournure, quelles seront les possibilités pour les citoyens de se retirer de ce projet ? Là est tout le danger de la suppression des frontières : il n’y a plus d’échappatoire.

Récupération politique

Beaucoup de ceux et celles qui sont sensibilisés au Projet Venus sont également informé du danger imminent de voir établir une dictature mondiale. Tous les signes avant coureur sont là. Les groupes et individus qui concentrent actuellement les pouvoirs entre leurs mains œuvrent depuis des décennies à établir un gouvernement mondial. Ils ne s’en cache presque plus (voir les discours de G. Bush père, G. Bush fils, N. Sarkozy, etc.). Il est donc parfaitement normal que le Projet Venus, qui propose lui aussi l’établissement d’une gouvernance mondiale, soit perçu avec méfiance. De nombreuses interrogations se posent, notamment concernant Peter Joseph, le réalisateur des films de la série Zeitgeist. Qui est-il ? Appartient-il à une organisation et si oui, laquelle ? Ces questions, pour suspicieuses qu’elles puissent paraître, sont légitimes : nous sommes constamment manipulés, il est donc naturel – et sain – de développer une méfiance face à toute information ou projet nouveau. Il nous faut faire preuve de grand discernement, et pour cela, collecter le maximum d’informations les plus objectives qui soient, et recouper ces informations.

De plus, quant bien même il serait avéré que le Projet Venus est bien ce qu’il prétend être, il reste un grand danger, qui est celui de la récupération politique de certains éléments du projet. Les émules du Nouvel Ordre Mondial peuvent être considérablement intéressées par le Projet Venus, et il est tout-à-fait vraisemblable qu’ils envisagent de s’approprier le projet tout en le mettant à leur sauce. Ce serait même l’attitude la plus judicieuse qu’ils puissent avoir. Ils récupéreraient en même temps les citoyens qui se mobilisent pour promouvoir le projet. C’est de la même manière que la plupart des idées innovantes ont été récupérées, que ce soit les écrits d’Adam Smith ou plus tard ceux de Karl Marx, ces idées ont été récupérées, déformées et remodelées afin de dévoyer l’essence de chacun dans le but d’obtenir l’adhésion des masses. Les industriels de l’agro alimentaire, de l’électronique, de l’industrie sidérurgique, de la cybernétique, etc. ne peuvent qu’être séduis par le Projet Venus : cela pourrait bien constituer un formidable tremplin de promotion pour leurs objectifs personnels.

La stratégie du choc

Pour établir une économie mondialisée basée sur les ressources, il faut au préalable que le système monétariste s’effondre. Le Projet Venus et le Mouvement Zeitgeist table sur l’effondrement annoncé de ce système, mais même si nous considérons comme nécessaire l’effondrement de ce système néfaste, nous ne devons pas moins être conscient du chaos que cet effondrement va engendrer. La majeure partie de l’humanité n’est pas consciente de ce cataclysme, et ceux qui en parlent sont dans la position de Cassandre. Lorsque cet effondrement se produira, il résultera inévitablement un choc important pour les peuples du monde. Comme je l’ai développé antérieurement, une telle situation de crise est nécessaire pour amorcer une remise en cause fondamentale de nos vieux paradigmes. Il y a hélas de fortes probabilités que c’est exactement sur ce même choc que comptent ceux qui veulent établir un Nouvel Ordre Mondial, avec de tout autres visées que celles avancées dans le cadre du Projet Venus. Cette stratégie du choc bien rodée depuis un demi siècle risque donc fort d’être mise en œuvre et nous prendre de court. Car si l’internet est notre mode de communication, les tenants du Nouvel Ordre Mondial ont toujours la mainmise sur les médias de masse traditionnels, et disposent de tous les réseaux, lobby, experts en communication et en propagande, pour tourner à leur profit l’effondrement du système bancaire.

Comment résisterons-nous face à cet assaut ? Comment pourrons-nous empêcher que la stratégie du choc soit déployée pour forcer l’établissement d’un Nouvel Ordre Mondial ? Comment parvenir à faire connaître le Projet Venus et susciter l’intérêt, voire l’adhésion du projet par une majorité, et faire en sorte que celle-ci ne se laisse pas aller à des solutions toutes faites préparées par les « maîtres du monde » ?

Nous nous trouverons alors dans une situation sans précédent dans l’Histoire connue : une situation où tout est possible au niveau mondial, le pire comme le meilleur. Une situation où les chances du meilleur sont les plus grandes depuis très longtemps, mais où les moyens du pire sont également les plus puissants. Comment favoriser cette opportunité, tout en contournant le déséquilibre des moyens ? A la charnière entre un monde meilleur et le meilleur des mondes, comment pouvons-nous faire peser la balance vers le monde meilleur, sans que celui-ci ne devienne le meilleur des mondes ?

Conclusions

La critique sociale que pose le Projet Venus et le Mouvement Zeitgeist concernant les dérives de notre monde est pertinente, nécessaire et même indispensable. Développer un nouveau projet de société humaniste – une utopie -, pour le bénéfice de tous les humains, sans exceptions, est nécessaire et tout aussi indispensable. Prendre les devants – je dirais plutôt, personnellement, rattraper le retard – sur les « élites » qui sont actuellement au pouvoir, est la meilleure chose à faire, si nous ne voulons pas être à nouveau menés par le bout du nez. Mais ce retard à combler est grand. Très grand ! Cela ne signifie pas que ce n’est pas possible. Au contraire, j’estime que c’est le moment ou jamais de nous y mettre très sérieusement. En cela, l’esprit du Mouvement Zeitgeist et du Projet Venus est positif. Mais nous n’avons par contre pas le droit d’hypothéquer ce projet, et pour éviter cela, nous devons réfléchir à tous les tenants et aboutissants du projet, et accepter qu’il évolue, pourvu que cela reste toujours dans le sens de l’esprit humaniste du projet. Nous devons empêcher que ce projet soit récupéré par des « élites » – quel qu’elles soient (y compris scientifiques) : ce projet doit demeurer entre les mains des citoyens, et c’est pourquoi les citoyens doivent s’en emparer.

Cependant, les citoyens « lambda » sont mal préparés pour s’emparer adéquatement – c’est-à-dire faire usage sagement – de LEUR pouvoir. Ils ont (nous avons) tout à apprendre, et même à réapprendre, puisqu’il s’agit de bazarder nos vieux paradigmes. C’est une introspection majeure qui est nécessaire. Nous aurons donc plus que jamais besoin d’élever nos pensées, d’élever nos énergies positives, créatives et spirituelles. Nous devons absolument réintroduire la philosophie et la spiritualité (j’ai bien dis spiritualité, pas religion !) dans le débat. Reprendre notre pouvoir, c’est commencer par cesser de nous déresponsabiliser en cédant notre pouvoir à un « représentant ». C’est nous impliquer personnellement. C’est développer l’esprit critique, non seulement à l’égard des autres, mais principalement vis-à-vis de nous même. Etre responsable c’est « avoir la capacité de répondre ». Nous avons donc un double travail à faire : le plus important est le travail sur nous même, puisque nous sommes invités à reprendre notre pouvoir, DONC notre responsabilité. Considérez qu’il ne peut y avoir de liberté sans responsabilité : être libre, c’est être responsable et vice versa. Celui qui délègue sa responsabilité, délègue en même temps sa liberté. Il n’y a pas d’alternative à cela.

Nous devons aussi développer notre capacité d’écoute[1] et de communication. Nous ne devons pas nous contenter de dire ce que nous pensons : nous devons penser ce que nous disons ! Si nous ne faisons pas chacun cet effort, nous continuerons à être à la merci des fabricants de pensée et des manipulateurs. Nous devons développer pareillement de nombreuses qualités, comme l’empathie, la compassion, le discernement, la communication consciente et non violente, etc. Et abandonner autant que faire se peut nos défauts egotiques, comme le jugement[2], les idées préconçues, la projection, etc. Il y a de nos jours beaucoup de méthodes qui nous invitent à développer ces qualités, je ne crois pas qu’il y en ait une qui soit vraiment meilleure que les autres : je crois que toutes les méthodes qui existent sont autant de possibilités pour chacun de trouver celle qui lui convient. Au final, l’efficacité résulte toujours de l’intention et de la persévérance de la personne elle-même dans sa démarche. C’est pourquoi je conclurai par une citation de Krishnamurti.

« La crise, ce n’est ni du côté de la politique ou des gouvernements, qu’ils soient totalitaires ou soi-disant démocratiques, ni chez les scientifiques, ni dans les religions qu’elle se trouve, mais au sein même de notre conscience, c’est-à-dire dans nos esprits et nos cœurs, dans notre comportement, dans nos relations. Et cette crise ne peut être pleinement comprise, et sans doute pleinement affrontée, si nous ne comprenons pas la nature et la structure même de la conscience. »

FIN

[1] « Celui qui n’a pas d’oreille pour écouter n’a pas de tête pour gouverner » (proverbe allemand)

[2] Notre discernement éclaircit ce que nos jugements occultent, car nos jugements ne sont que l’expression tragique de nos besoins.

Bibliographie

Nouveau dictionnaire étymologique du français, par Jacqueline Picoche, éd. Hachette-Tchou (1971)

L’infini dans la paume de la main, par Matthieu Ricard et Trinh Xuan Thuan, Nil Edition (2000)

Les dernières heures du Soleil ancestral, par Thom Hartman, éd. Ariane (1998-1999)

Essai d’exploration de l’inconscient, par C.G. Jung, éd. Robert Laffont (1964)

La clé, par Grace Gassette et Georges Barbarin, éd. Astra (1950)

Le chemin le moins fréquenté, par Scott Peck, éd. Robert Laffont (1987)

Libres enfants de Summerhill, par A.S. Neill, Librairie François Maspero (1970)

Le meilleur des mondes, de Aldous Huxley, éd. Plon (1977)

1984, de Georges Orwell, éd. Gallimard (1950)

La stratégie du choc, la montée du capitalisme du désastre, par Naomi Klein, éd. Acte Sud (2008)

Morpheus