Philosophie et spiritualité sont deux des fils principaux qui tressent la trame de l’existence de Frédéric Lenoir. Un intérêt qui témoigne d’une quête intérieure qu’il décline également sur le plan professionnel : dans Le Monde des religions qu’il dirige, dans ses essais ou ses romans et dans son émission sur France Culture Les Racines du ciel qui interroge sur le sens de la vie.

Dans son dernier livre, La guérison du monde (Fayard), la maturité venant – une certaine sérénité aussi -, Frédéric Lenoir cesse de questionner les hommes, les sages et le divin pour proposer sa propre vision du monde. Un nouveau paradigme destiné à sortir nos sociétés de la crise systémique majeure qu’elles traversent et qui détruit leurs fondements mêmes. Et pour en finir avec cette détérioration de nos vies et de la planète, il propose de développer responsabilités individuelle et collective en liant liberté et fraternité.

Le Point.fr : Ce livre part d’un constat : le monde va de plus en plus mal…

Frédéric Lenoir : Pas forcément. Il y a des côtés positifs dans beaucoup de domaines, mais les problèmes rencontrés sont plus graves du fait de la mondialisation. Un exemple typique est la crise des subprimes. Ces crédits qui ont vérolé l’économie américaine ont ensuite largement contribué à créer la crise économique mondiale que l’on connaît depuis plus de cinq ans maintenant. C’est ce que je nomme le caractère global des crises. Par ailleurs, depuis 30-40 ans, le monde subit une mutation-globalisation extrêmement rapide qui crée des déséquilibres majeurs et des difficultés récurrentes dans tous les domaines. Je me suis posé la question des causes de cette crise systémique et je défends l’idée qu’il y a une cause principale qui concerne tous ces secteurs : la prédominance de l’idéologie consumériste du capitalisme ultralibéral et financier, tel qu’il s’est développé depuis une trentaine d’années. Pour en sortir, je prône une logique non plus quantitative, mais qualitative, qui remette la terre, l’homme et le vivant au centre de tout. Certaines personnes, associations ou entreprises ont commencé à initier ce processus, comme je le montre dans mon livre. Si nous sommes nombreux à nous mobiliser, à unir nos efforts, nous pourrons améliorer les choses, en profondeur.

Qu’est-ce qui permettrait de redonner du sens à nos existences ?

La crise des valeurs et du sens que traversent nos sociétés est en partie liée à l’effondrement des grandes religions. Certaines se sont décrédibilisées, notamment en Occident, en conservant des récits religieux qui donnent une vision du monde trop différente de la manière dont nous pouvons l’appréhender désormais grâce aux avancées scientifiques. Ce qui a conduit beaucoup de fidèles à chercher des réponses à leurs questions existentielles ailleurs ; et parfois même jusque dans des idéologies politiques qui se sont à leur tour effondrées. Ce double effondrement a eu pour conséquence en Europe une perte de l’intérêt collectif qui a débouché dans les années 80 sur le développement d’un individualisme consumériste, utilitariste et narcissique. Celui-ci a fait disparaître le lien social qui favorisait le vivre ensemble à partir de valeurs communes. Ce constat m’a conduit à poser une question simple, mais fondamentale : nous vivons à l’âge du village planétaire, mais comment construire une civilisation planétaire sur des valeurs partagées, alors que l’Occident est rongé par l’individualisme utilitariste et que les autres civilisations ont leurs propres systèmes de croyances et de valeurs ? J’y réponds dans mon livre en montrant quelles sont les valeurs essentielles qui rassemblent les hommes dans tous les pays et dans toutes les cultures.

Et quelles sont-elles ?

On trouve six grandes valeurs universelles. La recherche de la vérité ou de la véracité : les mots doivent correspondre aux faits. La justice, qui implique une certaine notion d’égalité et de partage. Le respect d’autrui, fondement de toute vie sociale. L’amour et la compassion, qui nous poussent à aider notre prochain, même si nous n’y avons pas intérêt. La beauté et l’art, qui élèvent l’homme. Et la liberté ! L’être humain doit avoir le droit d’exprimer ce qu’il est, sans entrave. Cette dernière valeur toutefois ne se conçoit pas de la même manière dans toutes les civilisations. C’est le principal point de fracture entre le monde moderne occidental et les sociétés traditionnelles. La limite des sociétés traditionnelles, qui offrent de profonds liens de solidarité, c’est qu’elles enferment l’individu dans le moule des croyances et des normes collectives. Le drame de l’Occident moderne est d’avoir émancipé un individu qui a bien souvent joui de sa liberté en oubliant ses responsabilités vis-à-vis des autres, des générations futures et de la planète. La liberté implique la responsabilité. Une véritable civilisation planétaire pourra exister lorsque les sociétés traditionnelles accepteront les libertés individuelles et lorsque l’Occident retrouvera le sens de la responsabilité et de la fraternité qui lui fait actuellement tant défaut.

N’est-ce pas là une vision un peu utopique ?

Bien sûr ! Mais les utopies d’aujourd’hui sont parfois les réalités de demain. Les penseurs des Lumières au XVIIIe siècle imaginèrent une démocratie laïque tout en vivant dans un monde religieux et royaliste. C’était parfaitement utopique. C’est pourtant devenu une réalité. Leur exemple prouve que nous devons croire en nos utopies si elles sont fondées sur des vérités profondes. Mais cela ne pourra devenir réalité que si tous les niveaux de la société sont impliqués. Il faudrait par exemple une gouvernance mondiale pour régler les problèmes planétaires : questions environnementales, échanges économiques et régulation financière, problèmes sanitaires, etc. Les corps intermédiaires, les ONG, les associations, les réseaux sont nécessaires pour soutenir de nouveaux modes de production et de consommation, mais aussi de vivre ensemble. Et de manière ultime, c’est chaque individu qui est concerné. « Soyez le changement que vous voulez dans le monde », disait Gandhi. La difficulté majeure que nous rencontrons est d’être adaptable, souple, prêt à bouger, que ce soit sur un plan professionnel ou personnel. Nous ne sommes sans doute pas encore assez éduqués à ces nouveaux comportements.

Vous dites qu’une révolution de la conscience est en marche et qu’elle est mue par deux forces, la vie et l’amour…

Comment accepter en effet que la vie soit de plus en plus abîmée sur la planète : les forêts, les animaux, la biodiversité, les océans ? Comment admettre également la détérioration galopante qui existe actuellement dans les rapports humains, dans les familles ou au travail ? Ces dégradations sont telles que nous n’avons d’autre choix que de réagir. Le monde n’est pas une marchandise. La vie et l’amour sont plus importants que le profit. Nous devons résister et entraîner les autres. J’ai écrit ce livre pour montrer qu’il existe des solutions, des alternatives. Plus nous serons nombreux à en prendre conscience et à agir en conséquence, plus nous pourrons construire un monde différent, plus solidaire, plus humain.

Votre définition du bonheur ?

Le bonheur, c’est faire ce pour quoi on est fait. C’est accompagner avec souplesse le mouvement de la vie, pour réaliser son potentiel, sa singularité, en étant relié aux autres.

Frédéric Lenoir