Astrologie et astronomie sont-ils compatibles ? L’astrologie mérite t-elle d’être qualifiée de science ? Que valent les prédictions des astrologues ? Daniel Kunth, Directeur de recherche au CNRS et astronome à l’Institut d’Astro-physique de Paris répond aux questions de Jean-Paul Krivine, rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences.


Universum
© C. Flammarion, Holzschnitt, Paris 1888 ; colorisation : Heikenwaelder Hugo, 1998

Vous arrive-t-il, quand vous faites état de votre profession d’astronome, lors des « Nuits des étoiles » que vous avez animées, par exemple, que l’on vous demande des renseignements sur les signes astrologiques, les horoscopes ? Comment réagissez-vous alors à cette confusion souvent répandue ?

DK : C’est très fréquent. Je m’en amuse souvent, et tente de corriger avec tact. En fait, la plupart du temps, les gens ont commis un lapsus et s’en excusent. Il n’en demeure pas moins vrai qu’il reste révélateur et qu’il faut entendre cette confusion pour ce qu‘elle est : une survivance historique, un flou entretenu, volontairement ou non, par les astrologues. Les astronomes sont clairs à ce sujet. Il peut également souligner, hélas, un manque de culture et d’information.

Quand vous devez répondre, en un mot, à un amateur d’astrologie, que lui dites-vous ?

DK : Que l’astrologie appartient à une pratique ancienne et traditionnelle dont on a depuis longtemps démontré le manque de pertinence. La science dont elle se pare est sans objet. Son seul impact tient au fait qu’elle prétend répondre aux attentes et aux angoisses de chacun.

Vous avez écrit plusieurs ouvrages sur l’astrologie. Comment vous est venue cette volonté d’informer le grand public, d’expliquer que l’astrologie n’est pas l’astronomie ? Et pourquoi ?

DK : Parce que les astrologues et les astronomes ont le ciel en commun, et c’est ce qui dérange. Le devoir du scientifique n’est pas uniquement d’accumuler des connaissances, mais aussi de les partager. Le savoir, pensons-nous, rend libre et maître de ses choix et responsable de ses décisions. L’astrologie rend dépendant, et rend chaque individu tributaire d’un pouvoir d’autorité, qu’en tant que scientifiques, nous récusons dans le principe. Je pense que la grande force de la révolution dite « scientifique » qui s’est opérée peu après la Renaissance et principalement au XVIIe siècle est précisément d’avoir permis à l’être humain de rechercher, par lui-même, les lois de la nature sans se référer à une parole d’autorité, ou préinscrite dans les récits religieux, comme le récit biblique pour ne citer que celui-là.

Ce souci est-il partagé dans la communauté des astronomes ? Comment réagissent vos collègues ?

DK : Souci partagé ? Loin de là. Le sujet est délicat, et les astronomes ne sont pas spécialement armés pour répondre à cette « mission ». Il faut d’une part, connaître son propre sujet (ce qui est acquis en principe), mais maîtriser un minimum celui des astrologues, afin de ne pas tomber dans la caricature et comprendre ce qui fait la popularité soutenue de l’astrologie aujourd’hui. Il ne faut donc pas baisser les bras, tout en sachant que le débat que posent les astrologues aux astronomes et à la société entière est vieux d’au moins deux mille ans ! À cela, ajoutons que le contexte dans lequel les astronomes peuvent réagir leur est souvent défavorable (en particulier à la télévision ou à la radio, dans des débats souvent biaisés où leurs arguments ne peuvent être développés avec suffisamment de clarté).

On entend parfois dire que l’astrologie fait rêver, que ce peut être une première approche des étoiles…

DK : Ce qui est, bien sûr, complètement faux. Je ne connais pour ma part aucun astronome, amateur ou professionnel, dont le parcours soit passé par l’astrologie. Une des raisons d’ailleurs, est qu’il n’est absolument pas nécessaire aux astrologues de regarder le ciel pour pratiquer l’astrologie, ce qui est impensable pour les astronomes dans leur métier. Le ciel de l’astronome est un ciel « observé » puis analysé théoriquement, ainsi de suite. L’outil de l’astrologue se borne à un cercle symbolique dont le centre est un point fictif représentant la terre (ou, si on préfère, le « natif » qui reçoit les « influx » des astres). Sur ce cercle, sont portées les positions des planètes, du Soleil et de la Lune. Un point c’est tout. Le reste du diagramme ainsi obtenu se borne à établir des interactions, visualiser des angles fictifs qui séparent les astres entre eux sur ce cercle imaginaire (et non dans le ciel !) etc. Le diagramme est obtenu en consultant un atlas et en reportant sur le cercle du thème les positions des constellations du zodiaque et des astres concernés, au moment de la naissance du natif. Cette activité ne nécessite en aucune manière que l’astrologue observe le ciel. Il a d’ailleurs accès, comme tout un chacun, aux nombreux logiciels qui exécutent les simples calculs et projections graphiques qui nécessitaient autrefois le recours à des atlas. Il ne s’en émeut d’ailleurs pas et ne manifeste aucune curiosité pour l’univers.

J’insiste souvent sur le point suivant : la science a une démarche qu’il faut connaître et comprendre. Elle se construit par une série d’expériences auxquelles se confrontent les théories. Aucune théorie ne survit si elle est remise en cause par l’expérience. L’astrologie n’en a cure, elle ne procède pas de cette manière. Elle recourt à une technique qui apparaît compliquée aux yeux du profane, mais pour autant une technique ne constitue pas une science. Aucun test ne valide l’idée qu’un thème astral ait un pouvoir de prédiction, ni même celui d’analyser le caractère d’un individu. En revanche la science ne prétend pas tout épuiser, l’astrologie peut servir de moyen d’entrer en relation avec quelqu’un qui cherche une réponse à sa vie ou dans sa vie, mais cet usage de l’astrologie dépend de facteurs impondérables où la personnalité de l’astrologue et de son client entrent en ligne de compte.

Comment expliquez-vous cet engouement sans cesse renouvelé pour l’astrologie ?

DK : Cet engouement se joint à de nombreux autres, et les raisons en sont nombreuses. On assiste à un regain d’intérêt pour ce qui est « alternatif », que ce soit en médecine, en expériences thérapeutiques ou vis-à-vis des sciences en général. On assiste à une remise en cause des avancées de la science depuis quelques décennies. La science et ses prolongements techniques sont hélas trop peu relayés par une réflexion sur leurs « usages ». Ce n’est souvent qu’après avoir développé une technique que la société se pose la question de sa pertinence. Il s’ensuit de nombreux dérapages avec des conséquences fâcheuses que le public attribue, souvent à tort, à la science en elle-même. Bref, la science, après avoir engrangé de nombreux succès (santé, confort de vie, etc.), inquiète, semble dominante et trop sûre d’elle-même. Elle se voit reprocher de ne pas penser ni panser les maux de la société. Les regards se tournent vers d’autres horizons d’où l’on voit poindre de nombreux prédicateurs qui promettent et rassurent à bon compte. L’astrologie s’immisce vite dans les interstices où chacun se sent fragilisé : l’incertitude de l’avenir, le problème des origines, celui de l’après vie etc. L’astrologie ne se prévaut pas des doutes des scientifiques et réaffirme la personne dans une société devenue de plus en plus incertaine, ou l’individu se sent de plus en plus anonyme et dépersonnalisé.

Les « Nuits des étoiles » ont cherché à donner un côté ludique, attractif et spectaculaire à l’observation du ciel. Pensez-vous qu’il touche également un public adepte d’astrologie ?

DK : Non. En réalité les ouvrages d’astrologie, ou les sites Internet qui les concernent, ne fournissent jamais, ou très peu, d’information sur la réalité du ciel. Il n’est donc pas étonnant qu’ils ne se soient jamais intéressés, à la Nuit des étoiles ou d’autres initiatives du même genre.

Les astronomes en particulier, les scientifiques en général ont-ils, selon vous un « devoir de vulgarisation » ? Et si oui, comment s’y prendre ?

DK : Le devoir de vulgarisation est de mise. L’accumulation des savoirs sans partage est complètement vaine. Il est plus difficile de casser des préjugés que de casser un atome disait en substance Albert Einstein. La science est un moyen d’arracher des bribes de vérité à la nature par une attitude constamment critique vis-à-vis du « bon sens ».
Bon sens qui veut que Mars-la-rouge soit synonyme de violence et symbolise le sang qui coule, bon sens qui voudrait qu’une pièce de métal paraisse plus froide qu’une table en bois lorsqu’on la touche alors qu’ils sont dans la même pièce, à une même température, etc. Il faut parvenir à faire aimer la complexité car nous vivons dans un monde de plus en plus complexe. Contrairement à ce que les esprits positivistes du XIXe siècle ont pu penser, le monde est loin d’être simple, et nous ne faisons que le cerner par approximations successives et par une remise en cause permanente de nos concepts. Cette démarche est passionnante et enrichissante, et il faut parvenir à communiquer le goût pour cette aventure intellectuelle. Difficile parfois, mais la nature, et le ciel en particulier, recèlent de nombreux sujets d’émerveillement.

Les horoscopes à la télé, dans les journaux, sur Internet, proposés par tous les opérateurs, et maintenant une chaîne de télévision spécialisée… Cela vous agace ? Vous laisse indifférent, en tant qu’astronome ?

DK : Plutôt agaçant bien sûr. Je sais que l’astronomie ne s’adresse pas aux gens pour répondre aux questions auxquelles les horoscopes prétendent répondre ! L’astronome ne dira pas si un tel fera fortune ou s’il connaîtra des problèmes de cœur ou une amélioration de sa santé. Mais c’est cette manière d’asseoir un savoir-faire sur une prétendue science qui irrite au plus haut point. Si les astres nous influencent (le soleil le fait, la lune agit sur certains phénomènes physiques comme les marées, voire notre sensibilité aux beautés de la nature), ils ne le font pas en suivant les codes de l’astrologie. Ces codes, ces prescriptions, ressemblent à des manuels de savoir-vivre où l’on trouve un abécédaire de tous les comportements humains et sociaux. On y trouve de quoi alimenter les cabinets de psychologues ou les plumes de futurs Balzac. Encore faut-il être psychologue ou Balzac, ce que les astrologues ne sont pas en général !

Pensez-vous qu’il faille inclure dans la mentalité astrologique les fausses croyances sur l’influence de la Lune sur la végétation, les accouchements etc. ?

DK : Les représentations populaires ont toujours lié les astres aux us et coutumes des hommes. L’astrologie n’est qu’une des pratiques hautement codées de cette approche des phénomènes célestes. De tout temps, les hommes ont craint ce qui dans le ciel faisait « désordre », et en particulier l’apparition de comètes, les conjonctions rares de certaines planètes, les météores, etc. La lune et le soleil ont suscité craintes et respect. L’astrologie est une formulation qui tente de mêler le religieux à une forme de rationalité numérique, une des raisons sans doute de sa survivance encore aujourd’hui.

Elizabeth Teissier annonce vouloir réintroduire l’astrologie à l’université ; d’où elle a été chassée par « le rationalisme »…

DK : Certains universitaires ont cru devoir lui faire une place, mais ce faisant, ont lourdement manqué d’esprit critique. La plupart ont su déjouer cette tentative frauduleuse de travestir une prétendue thèse en sociologie en une vaine plaidoirie pour l’astrologie.

Note

Daniel Kunth est Directeur de recherche au CNRS et astronome à l’Institut d’Astro-physique de Paris. Spécialiste de l’évolution et de la formation des galaxies, il a effectué ses recherches en France et à l’étranger, à l’aide des plus grands télescopes, comme ceux du VLT (ESO-Chili), du CFHT (Hawaii) ou du Hubble Space Telescope. Daniel Kunth est l’auteur d’un rapport pour le ministère de la recherche sur « la place du chercheur dans la vulgarisation scientifique » (1992). Initiateur de la Nuit des étoiles, il a écrit plusieurs ouvrages de vulgarisation scientifique, et également un Que-sais-Je ? sur l’astrologie (éditions Presses Universitaires de France). Daniel Kunth est co-auteur du film 3D « Helios » diffusé à la Cité des Sciences.

Source

Propos recueillis par Jean-Paul Krivine, rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences – SPS n° 291, juillet 2010

Auteur

Revue Science et pseudo-sciences

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