Si l’on ouvre la notice wikipedia concernant Citadelle, oeuvre magnifique, vivante, de Saint Exupery, on y trouve les mots suivants: ‘Citadelle est une oeuvre posthume… » ok, publié après sa mort. En même temps, il était bien vivant quand il l’a écrit et la vie partagée en ces lignes est toujours en vie. Elle nous survivra… On y lit également qu’il « n’a pas été achevé »… c’est vrai également… tout comme est vrai que rien n’est jamais achevé, mais en mouvement. Même une oeuvre que l’on ne retouche plus (notamment quand on est mort, c’est mois pratique pour éditer des textes. Impossible? Je ne sais pas.) continue à vivre intersubjectivement à travers l’expérience de l’espèce. La vie et toutes ses manifestations, qu’il s’agisse d’écriture ou d’élans de joie, de musique, de poésies ou de barbecues, la vie s’exprime à travers nous. Citadelle est en cela une oeuvre vivante, brûlante, on sent les vents du désert, de la solitude, du silence accompagné… On y sent le mouvement de fond… J’ai lu Citadelle comme une prière, avec plus de ferveur sans doute…

C’est écrit sur une forme qui peut en rebuter certains… Ne vous forcez pas, surtout, la même chose est écrite partout. Il faut aimer pour voir… Si l’on doit se forcer, il est possible que l’on fasse fausse route. Voilà, quelques lignes d’introductions pour mettre dans l’ambiance et voici plusieurs phrases qui m’ont le plus touché dans l’ouvrage… Le substrat d’une lecture amoureuse, une invitation à vous replonger dans l’univers de Saint Exupery… notre univers… une belle résonance…

“Ainsi l’essentiel du cierge n’est point la cire qui laisse des traces, mais la lumière.”

“L’arbre n’est point semence, puis tige, puis tronc flexible, puis bois mort. Il ne faut point le diviser pour le connaître. L’arbre, c’est cette puissance qui lentement épouse le ciel.”

“Mais moi, qui sait bien que l’erreur n’est point le contraire de la vérité, mais un autre arrangement, un autre temple bâti des mêmes pierres, ni plus vrai ni plus faux mais autre, les découvrant prêt à mourir pour des vérités illusoires, je saignais dans mon coeur.”

“Ce qui est en moi, il n’est point de mot pour le dire. Je ne puis que le signifier dans la mesure où tu l’entends déjà par d’autres chemins que la parole. Par le miracle de l’amour ou, parce que, né du même dieu, tu me ressembles.”

“Car selon l’homme, ce qui est donné quelque part est volé ailleurs. Ainsi nous ont construits l’oubli de Dieu et l’usage des marchandises. Car ce que tu donnes en réalité ne te diminue point mais bien au contraire t’augmente dans tes richesses à distribuer. Ainsi, celui-là qui aime les hommes à travers Dieu, aime infiniment plus chacun des hommes que celui qui n’en aime qu’un seul et étend simplement à son complice le champ misérable de sa personne. (…) Ne fais point ici d’économies. Car il n’est point de marchandise que l’on épargne, quand il s’agit des mouvements du coeur. Car donner est jeter un pont par dessus l’abîme de ta solitude.”

“Car je te le dis, le sédentaire n’est point celui qui aime d’amour la jeune fille, puis épouse la femme, puis berce l’enfant, puis instruit l’enfant de l’homme, puis, vieillard, répand sa sagesse, et ainsi toujours marche en avant, mais celui-là qui voudrait s’arrêter dans la femme et en jouir comme d’un poème unique ou d’une provision faite, et celui-là en découvre bientôt la vanité, car rien sur terre n’est réservoir inépuisable et le paysage entrevu du haut des montagnes n’est que construction de ta victoire.”

“L’avenir, tu n’as point à le prédire mais à le permettre.”

“Regarde mes jardins où mes jardiniers vont dans l’aube pour créer le printemps, ils ne discutent point sur les pistils ni les corolles: ils sèment des graines.”

“Recevoire est d’abord un don, celui de soi-même.”

“Unifier, c’est nouer mieux les diversités particulières, non les effacer pour un ordre vain.”

“Car la fidélité c’est d’être fidèle à soi-même.”

“Ainsi fruits et racines ont même commune mesure qui est l’arbre.”

“Aussi n’est-ce point l’amour dont je te dis qu’il peut être long à naître, car il peut être révélation du pain dont je t’ai appris à avoir faim. J’ai ainsi préparé en toi les échos qui vont retentit au poème. Et le poème t’illumine qui laisserait un autre bayant.”

“Car l’amour véritable ne se dépense point. Plus tu donnes, plus il te reste. Et si tu vas puiser à la fontaine véritable, plus tu puises plus elle est généreuse.”

“Donc tous ils se contredisent (…). Laisse faire. Ecoutes les tous. Tous ont raison. Mais ils n’ont point gravi assez haut leurs montagnes pour comprendre chacun que l’autre à raison. Et s’ils commencent de se déchirer, de s’emprisonner et de s’entre-tuer c’est qu’ils sont désir d’une parole qu’ils ne savent point former encore.”

“La vie et la ferveur et la tendresse vers, créent l’ordre. Mais l’ordre ne crée ni vie, ni ferveur, ni tendresse vers.”

“Or, je connais des hommes justes, non la justice. Des hommes libres, non la liberté. Des hommes animés par l’amour, et non l’amour. De même que je ne connais ni la beauté ni le bonheur, mais des hommes heureux et des choses belles.”

“Et de cela seul dont tu peux mourir tu peux vivre.”

“L’amour qui s’étale est amour vulgaire. Qui aime contemple et communique dans le silence avec son dieu. La branche a trouvé sa racine. La lèvre a trouvé sa mamelle. Le coeur s’emploie à la prière. Je n’ai que faire de l’opinion d’autrui.”

“Je connais la réserve de joie qui se trouve murée en eux bien que j’ignore les mots qui la pourraient déverrouiller. Sans doute n’est elle point pour cet instant. Importe que mûrisse le fruit avant qu’il délivre son miel. Nous passons par son heure d’amertume. Il n’est rien en nous que saveur acide. Il est du rôle du temps qui coule de nous guérir et de nous changer en joie pour Ta gloire.”

“Bien vaniteux les justes qui s’imaginent ne rien devoir aux tâtonnements, aux injustices aux erreurs, aux hontes qui les transcendent. Ridicule le fruit qui méprise l’arbre!”

“Ment le poète qui nuit et jour te parle de l’ivresse du poème. Lui arrive de souffrir de quelque mal de ventre et se moque de tous les poèmes.
Ment l’amoureux qui te prétends que nuit et jour il est habité par l’image de sa bien-aimée. Une puce l’en détourne, car elle pique. Ou le simple ennui, et il baîlle.

Ment le voyageur qui te prétend que nuit et jour il s’enivre de ses découvertes, car si la houle est par trop creuse le voila qui vomit.

Ment le saint qui te prétend que nuit et jour il contemple Dieu. Dieu se retire de lui parfois, comme la mer. Et le voila plus sec qu’une plage à galets. (…)

Mentent tous ceux là, car ils renient leurs heures de sécheresse, n’ayant rien compris. Et ils te feront douter de toi car, de les entendre affirmer leur ferveur, tu crois en leur permanence. (…)

Mais je ne connais que l’ennui qui te puisse être permanent. (…)

Mais, si t’est accordée de temps à autre, en récompense de fidélité dans la chrysalide, la seconde d’illumination de la sentinelle, ou du poète, ou du croyant, ou de l’amant, ou du voyageur, ne te plains point de ne point contempler en permanence le visage qui transporte. Car il en est de si brûlants qu’ils consument qui les contemple.”

Marko