À l’aube du troisième millénaire, l’humanité vit une heure cruciale de son évolution collective. Du résultat de la crise planétaire que nous traversons dépend non seulement l’avenir de notre civilisation mais surtout l’avenir du continuum de Vie, fruit de milliards d’années d’évolution, qui fait de cette planète un si merveilleux oasis de fertilité et d’harmonie, vibrant de vitalité et unique dans l’univers entier.

La seule chance qui nous soit offerte de réussir le saut quantique d’évolution de la conscience nécessaire pour nous sortir de l’impasse actuelle réside au coeur de chaque être humain. De la lutte en apparence bénigne à laquelle se livrent en nous, d’une part, la tendance à se replier sur soi-même et à ne penser qu’à soi et, d’autre part, le désir naturel de donner, de servir et d’aimer dépend réellement le sort du monde.

Si nous échouons individuellement et collectivement à parvenir à une plus grande maturité psychologique et spirituelle, rien ne pourra sauver le monde du colossal effondrement écologique dont les signes avant-coureurs abondent déjà aux quatre coins du globe.

Seul un éveil de la conscience planétaire et écologique, un éveil à l’unité indissociable de toutes choses, suffira à stopper et inverser la course folle vers l’abîme.

Telles sont les prémisses d’une réflexion, certes difficile mais néanmoins vitale et incontournable, à laquelle sont conviées toutes les personnes animées du souci de laisser un environnement viable à leurs enfants et petits-enfants et de contribuer par leurs choix et leurs gestes conscients à un avenir meilleur pour tous. Afin de mieux comprendre le contexte élargi où s’inscrit la réflexion proposée, examinons ensemble un des aspects de l’expérience humaine que l’on néglige trop souvent d’étudier, soit la nature même de la conscience et les processus grâce auxquelles celle-ci peut s’épanouir.

De tous temps les humains ont cherché à comprendre l’univers qui les entoure. Anciennement, les prêtres et les chamans des religions primitives ont tenté d’apporter, chacun à leur façon, une réponse à cette quête éternelle d’un sens à notre existence et d’une explication aux mystères et aux phénomènes de la nature. Aujourd’hui la science et de nombreux chercheurs visionnaires apportent aussi, mais par des voies bien différentes, certaines réponses aux grandes énigmes qui, encore maintenant, fascinent celles et ceux qui s’interrogent sur le sens de leur existence et sur le devenir de notre évolution commune.

J’aimerais vous faire partager la vision qui m’anime et me guide dans ma vie afin que, par ce partage d’idées et de réalisations intérieures, nous puissions agrandir ensemble le cercle des choses connues et comprises. Tout comme tant de gens aujourd’hui, je suis à la recherche d’une plus grande Lumière intérieure qui puisse mieux guider ma pensée et mes actes et ainsi améliorer ma contribution à l’existence collective et à l’avancement de l’espèce humaine.

Or, que peut-on constater autour de nous et en nous qui puisse nous éclairer dans notre quête? Tout d’abord que la vie est une merveilleuse aventure. Que l’univers qui nous entoure, de la plus simple fleur jusqu’au plus majestueux paysage, en passant par les êtres uniques et les expériences inoubliables que la Vie met sur notre route, sont autant d’occasions d’ouvrir notre coeur à la beauté qui nous entoure et ainsi de rendre grâce à cette Force qui, en nous et à travers l’ensemble de l’univers, s’exprime et se manifeste. Mais aussi, j’ai découvert et compris que la Vie exige beaucoup de nous ; qu’il nous faut sans cesse nous dépasser et ne pas nous laisser prendre au piège de quelque idée reçue, confortable et matérialiste ; qu’il faut parfois accepter de remettre en question certaines routines de pensée et de vie pour s’ouvrir à d’autres horizons et ainsi retrouver une véritable paix intérieure que seule l’harmonie avec les lois de la Vie et les exigences de notre destin peut apporter à l’âme.

C’est ce que je désire vous apporter par mes propos : une ouverture à de nouvelles idées ; un encouragement à aller au-delà des routines de la pensée ; un refus de la sécurité illusoire qu’apporte une certaine paresse de l’esprit qui hésite à regarder en face les grands défis de l’heure ; enfin, une vision renouvelé et profondément stimulante de la place que nous occupons dans l’ordre universel des choses.

Mais par où commencer? La première nécessité consiste à nous assurer que la communication soit bien établie, que votre réceptivité et la pensée communiquée soient au même diapason afin que les idées soient reçues avec le moins d’interférences possible. C’est pourquoi je me permets de vous suggérer un court moment de détente et de relaxation avant de poursuivre votre lecture. Les yeux fermés, prenez quelques profondes inspirations en prenant soin de relâcher de plus en plus toute tension musculaire jusqu’à ce que vous sentiez votre énergie vitale circuler plus librement et votre pensée se dégager peu à peu de toute préoccupation inutile en cet instant précis.

La conscience planétaire

Afin de prendre un peu de recul, récapitulons brièvement les grandes étapes de l’évolution ayant mené à l’apparition de notre espèce en ce monde. Rappelons d’abord que la matière même composant nos corps a été enfantée par un lent processus de gestation entamé il y a plus de 15 milliards d’années. Forgés dans l’explosion d’étoiles massives appelées supernovas, seules capables de créer les conditions de leur formation, nos atomes ont cheminé à travers un si grand nombre d’espèces que l’ensemble des millions de formes de vie peuplant notre planète aujourd’hui ne représenterait, selon la science, qu’environ 1% des milliards de formes de Vie qui nous ont précédé. Héritiers de cette prodigieuse chaîne de Vie, nous sommes, disent certains, l’instrument que se sont données les étoiles pour se contempler.

Poussés par le besoin de survivre, nous avons commencé à communiquer, à parler, à partager le fruit de notre expérience, à développer notre intelligence, à façonner des outils, à cultiver nos aliments, à édifier des demeures de plus en plus solides, à créer des civilisations. Et nous nous sommes multipliés. Nous avons occupé la Terre entière. Nous avons bâti des temples et des cathédrales pour honorer l’esprit divin dont nous avons senti la présence en nous et discerné la signature dans tout ce qui nous entoure. Nous avons cherché à comprendre les lois de l’univers et entrepris d’explorer le minuscule coin de galaxie où nous vivons.

Et nous avons pris conscience de notre petitesse dans cet univers aux dimensions sidérales pour enfin réaliser, après des millénaires de guerres fratricides et de destruction aveugle de notre environnement naturel, que notre avenir et celui de nos enfants est intimement lié à celui de notre propre planète. Stimulée par la vue des premières images de notre Terre vue de l’espace, évocatrices à la fois de la fragilité de la Vie et de son unique beauté, notre conscience s’est élargie pour aujourd’hui englober l’ensemble de la biosphère terrestre. Une conscience planétaire s’est éveillée en nous avec la réalisation de notre véritable place dans l’univers…

Cette conscience humaine qui nous habite n’est elle-même que l’embryon d’une Conscience universelle qui émerge peu à peu au fil des temps de sa gangue de matière dense, poursuivant ainsi son éternelle quête de connaissance et de révélation de sa propre nature infinie et éternelle. À travers nous et à travers toute Vie sur Terre et dans l’univers, cette Conscience universelle manifeste Sa présence et déploie Son infinie créativité, laissant en chemin des millions d’indices à Ses créatures pour qu’elles retrouvent le Chemin du Retour à la Lumière primordiale d’où nous sommes tous issus.

Avant de cheminer plus avant dans notre récapitulation des phénomènes de l’évolution grâce auxquels nous sommes parvenus au point où nous en sommes aujourd’hui, et avant de spéculer sur les devenirs possibles qui nous attendent sur la voie de notre évolution future, prenons quelques instants pour considérer l’essentiel des thèses défendues par deux scientifiques britanniques qui, chacun à sa façon, ont grandement contribué à façonner la nouvelle perception du monde qui émerge aujourd’hui.

Bien que souvent citée, l’hypothèse Gaïa, voulant que la Terre dans son ensemble soit comparable à une sorte de super-organisme vivant, est encore fort peu connue et les nombreuses découvertes fascinantes faites par son principal auteur, James Loveloch, méritent d’être mentionnées.

Quoique généralement peu admise par la communauté scientifique traditionnelle, dont la grille d’analyse est fondée sur une perception mécaniste et réductionniste des choses, cette hypothèse a au moins le mérite de nous faire découvrir sous un tout autre jour notre propre planète et notre rôle éventuel en tant qu’espèce. Voici donc en quoi consiste cette théorie et, tout d’abord, comment elle a pris naissance…

C’est en 1965, alors qu’il travaillait pour la N.A.S.A., que James Loveloch, chimiste, biologiste et inventeur, eut pour la première fois un pressentiment intuitif de l’hypothèse grâce à laquelle il deviendrait plus tard célèbre dans le monde entier. On avait alors demandé à l’équipe de chercheurs dont il faisait partie de mettre au point une série d’expériences scientifiques que l’on voulait placer à bord du premier satellite Voyager qui serait bientôt envoyé vers Mars dans le but de détecter s’il y avait ou non présence de Vie sur cette planète.

Voici le raisonnement qui l’a conduit à son étonnante découverte. Si la Vie est présente sur une planète, elle devrait nécessairement avoir modifié substantiellement la composition chimique de son atmosphère, tant par son utilisation de l’air que par ses rejets métaboliques tels l’oxygène et le méthane, de telle sorte que toutes ces modifications de l’équilibre chimique naturel puissent constituer une signe révélateur presqu’infaillible de la présence de la Vie. De ce point de vue, la composition chimique de l’atmosphère de Mars et de Vénus témoigne de l’absence de toute Vie, ce qui a bien sûr été confirmé depuis, avec la présence massive de gaz non-réactifs comme le gaz carbonique. Par contraste, la présence de la Vie sur Terre a totalement modifié l’atmosphère qui contient une forte teneur de gaz très réactifs, tels l’oxygène et le méthane, ce qui, du point de vue chimique, est une état de déséquilibre très instable. Par ailleurs, il n’y a que .03% de gaz carbonique dans l’atmosphère, alors qu’en théorie, s’il n’y avait pas de Vie sur Terre, cette proportion serait considérablement plus élevée.

Et c’est alors que Loveloch eut cette pensée stupéfiante : Se pourrait-il, se dit-il, après s’être rappelé que cet état de permanent déséquilibre chimique perdure depuis plus de 3,6 milliards d’années, que l’ensemble de tout ce qui vit sur Terre, guidé par une invisible intelligence collective, maintienne par un effort concerté les conditions chimiques et climatiques les plus favorables à son existence continue?… Après des années de réflexion, Loveloch en est depuis venu à la conclusion que c’est bien la Vie, en harmonisation constante avec l’évolution géologique de son environnement physique et chimique, qui a littéralement modelé l’environnement terrestre tel que nous le connaissons.

Semblable à un arbre dont l’écorce est la seule partie vivante, le globe planétaire s’est doté d’une peau vivante, composée de myriades de bactéries, d’animacules unicellulaires, de plantes, d’insectes et d’animaux qui, tous ensemble, par leur activité métabolique et leur prolifération plus ou moins grande, ont depuis des milliards d’années contrôlé la teneur des composantes chimiques et les conditions climatiques de la Terre de façon à perpétuer l’existence de la Vie. De là à conclure que cette collectivité biophysique est vivante et dotée d’une certaine forme d’intelligence capable d’auto-régulation, il n’y avait qu’un pas que Loveloch et des millions de personnes depuis n’ont pas hésité à franchir.

Quant au nom « Gaïa », le nom que les anciens Grecs donnaient à la déesse de la Terre, il a été suggéré à Loveloch par un de ses amis, William Golding, un écrivain et érudit en études classiques. Rarement un tel mariage de la science et de la religion aura-t-il été plus heureux et approprié, car cette vision presque mythique de notre planète vivante est devenue aujourd’hui un des principaux catalyseurs de l’éveil de la conscience planétaire qui se répand comme une traînée de poudre à travers le monde. Mais vous doutez peut-être encore que tel soit bien le cas. Comme le veut l’idée conventionnelle véhiculée par une science qui ne sait que rarement voir plus loin et plus grand que le bout de son microscope, vous êtes peut-être sous l’impression que la Terre n’est qu’une vulgaire boule de roche où la Vie est apparue par hasard, par une méthode que la science va sûrement parvenir à découvrir un jour, et que c’est tant mieux qu’il en soit ainsi sans quoi nous ne serions pas là pour en parler.

Cette espèce de suffisance arrogante véhiculée par toute la société occidentale, qui se croit supérieure par sa rapide conquête de la Nature grâce à la science et à la technologie, imprègne encore tout le tissu social et se dégage, sans qu’il n’y paraisse, de nombreux livres et d’une multitude de produits culturels que les médias et la télévision propagent à la grandeur du monde. Pourtant, rien n’est plus faux. Nous ne sommes pas supérieurs. Nous n’avons pas conquis la Nature. Et notre science n’explique encore que bien peu de choses comparé à tout ce qui est encore inexpliqué. En fait, en ce qui concerne l’idée de la Terre vivante, prenons quelques-unes des constatations qui ont mené James Loveloch à élaborer son hypothèse Gaïa, et nous verrons qu’il y a effectivement là, à tout le moins, matière à réflexion. Je tire en partie les informations qui suivent du troisième livre de Loveloch, « Healing Gaia, Practical Medecine for the Planet », publié en 1991.

Les signes vitaux de Gaïa

Prenons pour commencer la proportion d’oxygène dans l’atmosphère, qui se maintient depuis plusieurs centaines de millions d’années à approximativement 21% : s’il y en avait plus, soit à partir de 25%, les forêts brûleraient à la moindre étincelle jusqu’au dernier arbre d’un feu rageur et inextinguible ; s’il y en avait moins, surtout à partir de 15%, beaucoup d’animaux suffoqueraient. Orchestré par toutes les plantes et le plancton des océans qui produisent annuellement plus de 140 milliards de tonnes d’oxygène, cet équilibre de la proportion d’oxygène idéale pour la Vie est maintenu par rétroaction homéostatique, grâce à la photosynthèse qui transforme le gaz carbonique en oxygène. Pour mieux comprendre ce qu’est une rétroaction homéostatique, on pourrait comparer ce mécanisme régulateur à un thermostat contrôlant le chauffage central d’une maison. D’autre part, il faut se rappeler que sans l’apparition de l’oxygène et son maintien au niveau actuel, la couche d’ozone n’aurait pu se former et demeurer stable, permettant ainsi à la Vie de coloniser les surfaces émergées du globe.

Un autre gaz essentiel à l’équilibre chimique et climatique et qui se retrouve dans une proportion de 78% dans l’atmosphère que nous respirons est l’azote. Sans l’action continue de la Vie qui pompe constamment l’azote des sols et des océans où il se précipite sans cesse sous l’effet des éclairs lors des orages, l’atmosphère perdrait la majeure partie de son azote en quelques millions d’années. C’est plus de 500 millions de tonnes d’azote que les micro-organismes rejettent chaque année dans l’atmosphère, maintenant ainsi en équilibre un élément indispensable de la biosphère. Quant au méthane, un gaz très réactif qui disparaîtrait bien vite de l’atmosphère où il n’est présent qu’à l’état de trace (soit de l’ordre de 1,7 partie par million), il est continuellement libéré grâce aux fermentations d’une masse prodigieuse de micro-organismes, au rythme, là encore, d’environ 500 millions de tonnes par an. Sans méthane dans l’atmosphère, la Vie n’aurait pu se développer telle que nous la connaissons, ni ne pourrait survivre.

De même, la température moyenne à la surface du monde évite dans l’ensemble les écarts extrêmes, grâce au contrôle par les plantes et le plancton des océans de la proportion du gaz carbonique à « effet de serre » qui retient la chaleur du soleil dans l’atmosphère, un peu comme le font les vitres d’une serre. C’est environ 100 milliards de tonnes de gaz carbonique qui sont ainsi relâchées chaque année dans l’atmosphère. Un autre facteur important pour la stabilité du climat est la présence d’un couvert végétal, comme en Amazonie par exemple, qui favorise une pluviosité régulière grâce à l’évaporation par les feuilles. Sans cette évaporation, les pluies cessent et le désert s’installe rapidement comme on a pu le constater partout où de vastes forêts ont été coupées à blanc. La forêt de l’Amazonie, vieille de plus de 100 millions d’années, a pu ainsi permettre l’apparition de millions d’espèces uniques au monde, vivant ensemble en une étroite symbiose harmonieuse.

Mais ce n’est pas tout! Loveloch a fait une autre découverte fort importante pour démontrer une fois de plus l’étroit contrôle qu’exerce Gaïa sur son climat global. Tel que confirmé depuis par plusieurs autres scientifiques, Loveloch réalisa en 1971 que ce sont de microscopiques organismes marins qui, par la production de vastes quantités de diméthyl sulfhydrique, permettent la formation des gouttes de pluie au-dessus des océans. Comme les océans recouvrent les 2/3 du globe, l’absence de ce mécanisme vital à la formation des nuages aurait un effet dévastateur sur le climat global. De plus, ce même composé chimique accélère la désagrégation des roches des sols côtiers rendant de ce fait disponibles tous les éléments nutritifs nécessaires à la vie des écosystèmes terrestres et marins.

Une autre composante essentielle à l’harmonie de la biosphère est le taux d’acidité des pluies qui est normalement maintenu au degré optimal par la présence d’ammoniac dans l’air, à nouveau fruit de l’activité biologique. Pas assez d’acidité et les sels minéraux indispensables à la bonne santé des plantes ne seraient pas mis en circulation par réaction acide. Des pluies trop acides par contre délavent les sols de leurs éléments minéraux et affaiblissent d’autant les plantes, sans compter l’effet dévastateur d’une eau trop acide pour la survie des lacs et des rivières, comme on a pu le constater à bien des endroits au Québec et dans le nord-est des États-Unis.

Citons un dernier exemple : le taux de salinité des océans. Par un mécanisme encore incompris, les océans parviennent à maintenir à exactement 3,4% le degré de salinité de leurs eaux, ce qui est le pourcentage idéal pour toutes les formes de Vie peuplant les mers. Sans cesse, l’irrigation des continents amène par les fleuves et les rivières de nouveaux sels dans les océans, et ce, depuis qu’il a commencé à pleuvoir sur Terre. Pourtant, jamais sauf dans la mer Morte (justement!) le taux de salinité n’a-t-il dépassé 3,4%. Deux pour-cent de plus et toute Vie disparaîtrait des océans!

Il faudrait une longue étude pour parfaitement comprendre l’incroyable complexité de notre biosphère terrestre qui, par un enchevêtrement inouï de réactions chimiques et de phénomènes climatiques, nous démontre par son étroit contrôle des conditions favorables à son existence que seule la présence d’une intelligence globale peut expliquer la survie à long terme de notre bonne vieille Terre. Et nous sommes alors en droit de nous demander : S’il y a effectivement une intelligence globale qui gouverne toute Vie sur Terre, ce n’est sûrement pas le fruit du hasard si l’espèce humaine est apparue après des milliards d’années d’évolution… Quel est donc le rôle auquel cette intelligence nous destine dans son grand projet évolutif?…

C’est précisément pour tenter de répondre à cette question que nous allons nous tourner vers l’oeuvre d’un autre scientifique britannique, Peter Russell qui, par la publication de deux livres et lors de nombreuses conférences, a livré le fruit de ses recherches et réflexions à ce sujet. Selon la théorie révolutionnaire qu’il nous propose, l’espèce humaine serait l’équivalent d’une sorte de cerveau global à l’échelle planétaire, à travers lequel la conscience de Gaïa serait en train de s’éveiller. Ce même Peter Russell, a aussi récemment formulé une autre thèse, tout aussi fascinante, voulant cette fois que l’accélération exponentielle de l’évolution de la conscience et de l’accumulation du savoir humain atteigne sous peu une vitesse de progression quasi infinie, nous aspirant tous simultanément dans une sorte de trou blanc dans le temps, c’est-à-dire l’équivalent au plan temporel du phénomène astronomique connu sous le nom de trou noir. J’ai eu l’occasion de faire la synthèse de ces deux volumes pour la revue Luminance en 1993. Voici les principales idées que j’en ai retenues.

Gaïa s’éveille à travers nous

Comment ne pas s’émerveiller devant le prodigieux travail de synthèse réalisé par Peter Russell, d’abord dans La Terre s’éveille paru en 1982 et dans Le trou blanc dans le temps paru en 1992. Traçant avec brio une fresque détaillée décrivant l’évolution de la matière, de la Vie et de la conscience, ce brillant biologiste nous aide à mieux comprendre l’avenir incertain mais potentiellement grandiose de cette bonne vieille Terre et de son équipage humain. Mais décrivons d’abord le contenu de son premier livre.

D’emblée, Russell nous présente la théorie de Loveloch selon laquelle la Terre dans son ensemble se comporte, ainsi que nous venons de le voir, comme un seul et gigantesque être vivant, capable d’exercer un contrôle constant sur les multiples composantes de la biosphère de façon à protéger et à perpétuer les conditions favorables à la Vie qui s’y manifeste — du moins jusqu’à ce que l’activité destructrice et polluante de l’humanité ne vienne tout gâcher.

Et tout naturellement, Russell s’interroge sur le rôle dévolu à l’humanité dans cette symphonie harmonieuse de Vie orchestrée par l’omniprésente conscience planétaire. Sommes-nous effectivement destinés à devenir le cerveau global de cette gigantesque matrice vivante?… Ou alors sommes-nous, telle une immense tumeur maligne, autant de cellules cancéreuses proliférant à toute vitesse et accaparant pour notre seul profit toutes les ressources vitales de la planète jusqu’à ce que celle-ci en meure?… Cet écartèlement douloureux entre les potentialités phénoménales du devenir humain et le constat terrible de notre égocentrisme destructeur et maladif forme la trame de fond de la tension qui guide l’ensemble de la réflexion de Russell..

Une seule solution permettrait selon Russell d’espérer que nous franchissions sans désastre global cette étape cruciale de notre évolution : un profond changement de conscience amenant une transformation globale de nos valeurs, de nos priorités et de nos comportements. Cependant, pour mieux apprécier où nous allons, il vaut mieux d’abord commencer par comprendre d’où nous venons sur le plan physique et biologique, ce qu’il fait dans la première partie du livre, pour ensuite diriger notre attention sur l’évolution de la conscience, sujet auquel le reste du livre est consacré.

Après avoir expliqué comment l’univers est apparu dans une gigantesque explosion à partir du néant et comment les étoiles et les planètes se sont formées, il décrit successivement l’apparition de la Vie, la colonisation de la Terre, l’évolution des espèces et l’émergence de l’être humain, du langage et de la civilisation, comme j’y ai déjà fait allusion au début de ce document. Comme le dit si bien Russell dans son livre, en parlant de l’espèce humaine : Ce produit quasi incroyable de quinze milliards d’années d’évolution porte vraiment à l’émerveillement. Nous voici, chacun de nous constitué de septilliards d’atomes, ordonnés en un système intégré de quelques centaines de trillions de cellules biologiques, expérimentant le monde qui nous entoure et les pensées qui nous habitent, ressentant différentes émotions et maints désirs. Et, par-dessus tout, nous sommes conscients de toutes ces choses et conscients d’être nous-mêmes. Si quelqu’un avait été là il y a 4 milliards d’années, aurait-il jamais supposé que le paysage volcanique, les océans primitifs et l’étrange mélange de gaz de l’atmosphère auraient lentement mais sûrement évolué en un tel être aussi improbable et aussi complexe?

Pensons maintenant aux développements quasi inimaginables qui nous attendent dans l’avenir. Où l’évolution nous mène-t-elle? Pour tenter de trouver un début de réponse à cette question, Russell nous invite à considérer le sens général de l’évolution et les patterns qui ont caractérisé les processus évolutifs jusqu’ici.

Au début tout n’était qu’énergie. Puis la matière s’est formée. Ensuite, la Vie vint animer la matière. Enfin, du sein de la Vie est apparue la conscience de la conscience. Ces quatre étapes successives forment une progression graduelle vers une complexité de plus en plus grande. Certaines caractéristiques communes semblent se dégager selon Russell. La plus importante est l’existence d’un seuil critique à partir duquel un bond quantique d’un niveau de complexité à l’autre devient possible. Ainsi, par exemple, il faut, dit-il, au minimum 10 milliards d’atomes environ pour que puisse se constituer une cellule viable. De même, ce n’est qu’au seuil de 10 milliards de cellules nerveuses dans le cortex du cerveau humain, siège de la conscience auto-réfléchie, que cette forme de conscience peut semble-t-il apparaître. Une autre constante observée est l’accélération exponentielle du rythme de l’évolution alors que le temps requis pour le passage d’un échelon d’évolution à l’autre est de plus en plus court. Le passage de plus en plus rapide de l’ère agraire à l’ère industrielle, puis à l’âge de l’information et à l’âge de la révolution environnementale qui s’amorce reflète aussi cette constante.

Considérant ensuite l’augmentation rapide de la population mondiale qui culminera, estime-t-on, aux environs de 10 milliards d’individus au cours du prochain siècle, couplée à l’explosion dans les communications et les échanges intégrant dans un vaste ensemble de plus en plus interconnecté la communauté humaine devenue un « village global » pulsant de plus en plus à l’unisson, Peter Russell postule sa plus brillante spéculation; à savoir que l’humanité dans son ensemble serait sur le point de franchir une autre étape de l’évolution en s’unifiant en un gigantesque cerveau planétaire, constituant de ce fait un super-organisme social inédit jusqu’à ce jour. Après la géogenèse, c’est-à-dire la genèse de la Terre, et la biogenèse ou genèse de la Vie, l’évolution est arrivée au stade de la « noogenèse », la genèse de l’esprit, affirme-t-il. Il rejoint ainsi le concept présenté par Teilhard de Chardin qui a conçu l’idée de la « noosphère » pour décrire le système comprenant tous les esprits conscients. Nous assistons, conclut-il, à la planétarisation de l’humanité en une seule et vaste entité organique selon les paroles mêmes de ce célèbre philosophe moderne.

Après les quatre premières grandes étapes de l’évolution, soit l’énergie primaire créée par le Big Bang, puis la formation et la complexification de la matière, ensuite la naissance de la Vie et son évolution, et enfin l’éveil de la conscience qui est consciente d’elle-même, ce cinquième niveau d’évolution, ce nouvel ordre d’existence, est celui qui nous réserve à tous égards les plus grandes surprises! Cette conscience planétaire, née de l’unification de l’ensemble des consciences humaines embrassant simultanément tous les niveaux de conscience de toutes les espèces vivantes, sera, affirme Russell, comme l’éveil colossal d’un cerveau global, atteignant un niveau de cohérence similaire à celui du cerveau humain. La conscience de Gaïa, la Terre, s’éveillera alors soudainement.

Et ce qui pourrait contribuer à catalyser et déclencher cet éveil est la réalisation consciente, par une masse critique d’humains, de l’imminence d’un effondrement écologique sans précédent des fonctions vitales planétaires, à la suite de tous les déséquilibres écosystémiques que nous avons provoqués. Un bond évolutif d’une ampleur sans précédent serait sur le point de se produire sur l’ensemble du globe, à défaut de quoi la Vie, telle que nous la connaissons et notre propre espèce, risquent de disparaître à tout jamais.


(suite
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Jean Hudon