Qui ne connaît pas ce lumineux proverbe qui, lorsqu’il est bien compris, confère une plus grande sagesse : ((La parole est d’argent, mais le silence et d’or.)) Il paraphrase parfaitement un proverbe arabe qui dit : ((Si ce que tu as à dire est moins beau que le silence, alors, tais-toi!)) Certains opinent que notre bon vieux proverbe français signifie que la valeur du silence est supérieure à celle du discours alors qu’il rappelle simplement que, parfois, il vaut mieux se taire que de parler. Car, pour tout, il y a un temps : comme il y a un temps pour se taire, il y a un temps pour parler. L’être humain, qui est la seule créature terrestre à détenir cette faculté ne doit pas l’avoir reçue pour rien, en attendant de devenir un parfait télépathe. Sauf qu’il doit se demander si ce qu’il a à dire convient et peut construire davantage que détruire.

N’empêche que le silence prévaut sur la parole quand il évite de dire des conneries; d’émettre de vaines hypothèses ou de stériles croyances; de simplement commérer, de répéter des racontars ou de propager des rumeurs; de colporter des préjugés; de parler pour ne rien dire; de palabrer pour le plaisir de se montrer docte, intelligent ou intéressant; de raconter des mensonges; de juger, de médire ou de calomnier; de blesser inutilement autrui; d’envenimer une situation; de proférer des jurons; bref, de propager vainement des vibrations négatives.

Surtout, si une personne parlait moins, quand parler n’est pas nécessaire ou n’apporte rien, elle retiendrait une bonne part de son énergie, maintiendrait son taux de vitalité à un niveau supérieur, de sorte qu’elle se coucherait moins fatiguée, jour après jour. Trop de gens oublient que les activités comme penser, parler, s’émouvoir, comme tout agir, consomment de l’énergie, qui n’a qu’une source et à la quelle un grand nombre ne savent pas se ressourcer. C’est largement ce qui amène un être à se dévitaliser et à s’étioler prématurément. Car, si un être dépense de l’énergie, qui ne se renouvelle pas spontanément à niveau égal, il engendre et augmente progressivement un déficit qui l’amène à incliner vers la fatigue, les malaises, la maladie et, ultimement, la mort.

En lisant ce propos, celui qui ne connaît rien à la circulation et à la propagation de l’énergie pourra s’esclaffer, ce qui ne démontrera rien d’autre que sa propre ignorance, tout manque de connaissance étant à l’origine de l’incurie et de l’ineptie. La parole comble les aspects simples, routiniers, publics, mondains, populaires, futiles de la Lune, l’astre d’argent, des aspects qui vident, mais le silence confère la puissance pénétrante du Soleil, l’étoile d’or, puisqu’il permet de conserver et d’accumuler de l’énergie de manière à toujours procurer des réserves.

Et c’est sans compter que le ((verbe se fait chair)), c’est-à-dire que la parole crée, participant largement à l’élaboration de son destin heureux ou malheureux. Pour ainsi dire, la parole amplifie la consommation d’énergie : elle ajoute à la pensée une dimension sonore qui la rend plus efficace. Ainsi, lorsqu’un être parle pour ne rien dire, pour proférer des banalités, pour meubler le temps, pour combler un vide intérieur, pour prévenir la gêne, il gaspille en vain ses précieuses énergies qui ne se renouvellent pas aussi facilement qu’il le croit. Le faire une fois peut se révéler anodin, voire sans conséquence, mais la répétition des mêmes mots et des mêmes clichés peut représenter une menace. Quant à l’usage répété de paroles vaines, il approfondit son propre néant. Car nul ne peut tirer de réalité utile de son propre néant, si ce mot identifie un vide complet plutôt qu’un vide plein.
Puisque celui qui sème le vent récolte la tempête, la sanction de trop parler ou de parler pour parler ou pour s’entendre parler, c’est, outre la possibilité d’engendrer des remous tumultueux qu’on pourrait regretter, de miner sa précieuse réserve d’énergie, donc de s’exposer à stagner et à régresser, en plus de se couvrir de ridicule, de s’attirer la méfiance et le discrédit, parfois la vindicte, la pitié ou la dérision. Qui parle s’implique et s’impose un retour. Plus on parle, surtout si on ne réfléchit pas ou si on ne maîtrise pas son impulsivité ou son émotivité, plus on peut se tromper, plus on peut commettre des erreurs plus ou moins regrettables et plus on s’expose à regretter ses propos. Car, c’est bien connu, il y a des gens qui ne réfléchissent qu’après avoir parlé. On dirait qu’ils ont besoin d’entendre ce qu’ils disent pour valider ou infirmer leurs propos en ne les analysant qu’après les avoir émis.

On a beau dire que, au niveau contingent, les paroles s’envolent, laissant moins de traces que les écrits, cela n’empêche jamais que, avant de s’épuiser et de se perdre dans l’oubli, par le jeu de cause à effet, elles peuvent faire bien des ravages, autant dans son univers personnel que dans celui d’autrui. N’empêche encore que, dans les registres akashiques, elles s’enregistrent de façon indélébile, pouvant servir ou desservir son maître au moment du grand jugement. Pour ceux qui se maintiennent dans la dualité, le poids karmique de leurs propos vains ou négatifs ne peut être compensé ou dissous que par une émission d’amour équivalente. Surtout qu’il n’est pas facile de récupérer ce que l’on émet sans retenue sur les ondes de l’air.
À ce propos, on raconte que, autrefois, un sage curé avait reçu en confession une bonne commère de ses ouailles qui n’avait de cesse de répandre ses noirs et fielleux propos sur ses voisins. Avant de lui accorder l’absolution, pour la décourager de ses récidives, il lui imposa une étrange pénitence. Par un jour de grand vent, elle devrait tuer l’une de ses poules et la plumer sur la place publique du village avant de se représenter à lui pour connaître la suite de sa sanction. Ce qu’elle s’empressa de faire dès que les circonstances la favorisèrent, trop heureuse de se représenter à l’église pour connaître la suite des événements et d’éprouver un soulagement de conscience. Elle trouva le fidèle curé dans la sacristie qui lui dit : ((Maintenant, va recueillir toutes les plumes du volatile que tu as occis et, lorsque tu auras trouvé la dernière, tu sauras que Dieu t’a pardonné.)) Voilà comment le bon prêtre voulait lui faire comprendre qu’il n’est pas facile de réparer les propos indus que l’on a proférés et qui peuvent causer un grand tort, quand, selon son intérêt, un interlocuteur se mêle de les propager de bouche à oreille.

Celui qui passe son temps à parler ne se voit pas vivre et il s’empêcher de s’intérioriser, un acte qui est la clef de la véritable réalisation spirituelle. Ainsi, au lieu de profiter de son expérience en incarnation pour ouvrir sa conscience, il complique son sort au lieu de l’améliorer ou de le faciliter. En fait, il épaissit son ignorance. En plus de s’exposer à parler contre la raison et le cœur, il se coupe de l’intuition, qui ne parle bien que dans le recueillement silencieux, s’exposant à sombrer dans la confusion et à commencer à errer autour de lui-même dans un cercle vicieux. Il ne tarde pas à engendrer une dichotomie, entre son monologue intime et ses propos extérieurs, qui, selon son degré de fragilité, le dispose à la déraison, voire à la maladie mentale. Car, à trop parler, on finit par croire ce qu’on dit et par tenter de l’imposer à son entourage.

Souvent, un tel être ne devient rien d’autre qu’un dédoublé qui, comme un moulin à paroles, répand ses propres fantasmes et appréhensions en généralisations et en propos stéréotypés. Ne parvenant plus à se ressourcer, il engendre en lui-même une monotonie qui le confine à l’ennui et au mal de vivre, par dédain ou mépris de lui-même, en plus de rebuter et d’écarter ses auditeurs habituels. Il partage ses aprioris, mélangeant avec la même assurance ouï-dire, hypothèses, croyances et certitudes, engendrant des imprécisions, des ambigüités et des quiproquos qui finissent par miner sa crédibilité. Car, en mélangeant les genres, il affaiblit la solidité et la véracité de son message, ouvrant la porte à des invraisemblances.

Il est vrai qu’entre gens de même acabit, on peut se passer et se pardonner longtemps de tels écarts de langage puisqu’on en vient à parler uniquement pour parler, pour remplir les vides, pour créer un écho, alors qu’on s’écoute parler, mais qu’on n’écoute plus l’autre, ne s’intéressant plus à lui. On ne tient plus à sa présence que pour s’adjoindre un interlocuteur docile ou crédule. Or, dans une communication, celui qui n’écoute plus le retour de son interlocuteur s’en coupe progressivement, s’exposant à commettre, sur son compte, au niveau de l’appréciation, l’erreur des astronautes. C’est ainsi, par exemple, que deux partenaires se retrouvent face à un divorce sans rien avoir vu venir. Il ne manquait qu’un incident banal, agissant comme la goutte qui fait déborder un vase, pour faire d’un ami apparent, un ennemi juré.

Il n’y a rien de plus odieux ni de plus risible qu’une personne qui ne parle que d’elle-même ou qui ne tient que des propos creux, s’exprimant avec l’audace de l’égotisme et de l’égoïsme, donc avec celle de l’individualisme et de l’indifférence. Philippe de Commines a dit : ((Je me suis souvent repenti d’avoir parlé, mais jamais de m’être tu.)) Le confirme Rivarol qui a dit, pour sa part : ((Le silence n’a jamais trahi personne.)) Quant à Montherlant, son expérience l’a amené à affirmer : ((Tant de choses ne valent pas d’être dites. Et tant de gens ne valent pas que les autres choses leur soient dites. Cela fait beaucoup de silence.))

© 2010 Bertrand Duhaime (Douraganandâ)

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