« La société du spectacle » cela signifie que la société se donne en spectacle à elle-même, se donne à vivre comme un spectacle et ne vit essentiellement que de spectacles.

Cette spectacularisation est le résultat de l’illusion qui enrobe n’importe quel objet marchand. Une marchandise c’est, bien sûr, d’abord un objet ayant une utilité. Mais cette caractéristique, qu’on pourrait penser devoir être la seule, passe au second plan, parce que la marchandise, pour se vendre, doit avant tout être attirante.

Or cet attrait est directement proportionnel à toute cette vie qui a été perdue dans la sphère de la production.
La masse des producteurs produit des objets qui lui sont étrangers : le producteur n’a ni conçu, ni choisi ce qu’il produit, ni choisit comment il le produit. Ce qu’il produit lui est donc essentiellement étranger et les gestes et pensées qu’exige de lui le processus de production lui sont également étrangers.

De sorte que le produit final, la marchandise, lui fait face comme un objet étranger, mais qui concentre de fait une somme non pas tant de temps de travail, mais de temps non-vécu.

Cette masse de non-vécu produit à son tour nécessairement le besoin d’une compensation.
La marchandise qui réussit est donc la marchandise qui promet ; qui promet au producteur de lui rendre, dans sa consommation, cette vie perdue.

L’objet marchand véhicule donc, en plus de sa valeur d’usage, une promesse de vie. Toute marchandise se donne ainsi en spectacle, d’une part à travers son image, qui doit être séduisante, mais plus profondément parce qu’elle est – objectivement – la matérialisation du temps perdu, qui se donne à présent comme vie à rattraper.

La marchandise est donc l’image inversée de la non-vie et c’est ce qui fait sa magie, au sens illusionniste.

L’accumulation marchande produit donc un mirage global qui n’est fondamentalement ni le décor publicitaire, ni les représentations en tous genres (politiques, médiatiques, télévisuelles, etc.), mais bien plus essentiellement la forme même dans laquelle vont s’inscrire la totalité des rapports sociaux.

Le spectacle nous demande juste qu’elle place nous sommes capables d’occuper dans ce mirage : simple spectateur passif, spectateur acteur ou, beaucoup plus rare et les places sont beaucoup plus chères, spectateur vedette.

Le spectateur vedette est tout-à-fait à part : c’est un spectateur qui joue le rôle de l’acteur à qui le mirage a réussi.
Il incarne la coïncidence de l’image et de l’action : il est l’image qui a pris vie et qui nous en donne l’exemple.
A noter que plus cette image prend spectaculairement vie, plus la vedette s’éloigne en réalité de la vraie vie, et paiera très cher, économiquement souvent mais surtout existentiellement, le fait de devoir tôt ou tard y retomber.
Le spectacle est sans pitié pour l’humain, parce qu’il en est le vampire.
Et peu importe de toute façon le coût humain, car le spectacle doit continuer.
Maintenant, pour le spectateur de base, les choses sont plus simples : il s’agit juste de savoir à quel mirage j’ai économiquement accès, quelles marchandises, non pas habilleront ma vie, mais donneront vie à ma vie.
Aux yeux des autres d’abord, car le spectacle se présente d’abord comme société, mais aussi à mes propres yeux, car le spectateur est engagé dans une course sans fin pour échapper à la conscience de sa misère existentielle, et doit pour y parvenir, pour y arriver, devenir un arriviste, un parvenu. Parvenu à quoi ? A incarner la fausse conscience satisfaite.

On voit donc pour conclure qu’il ne va pas être si facile que ça de sortir du mirage : il y a d’abord un vaste désert à traverser.