Cet article est bâti autour de commentaires postés sur AgoraVox, qu’il me semble opportun de mettre en évidence, particulièrement à la veille de la commémoration des dix ans du 11-Septembre.

Nous y sommes : ce sont les dix ans du 11-Septembre. A cette occasion, j’aimerais mener une petite réflexion sur l’une des conséquences sociologiques importantes de cet événement ; ce que l’écrivain italien Roberto Quaglia a qualifié de véritable « schisme » entre « confiants » et « désenchantés ». En fait, cette dichotomie a plus généralement pour cause Internet, le web alternatif, et ses sources multiples, mais le 11-Septembre fut incontestablement un moment majeur de l’histoire encore récente du Net. Voici ce qu’explique Quaglia, et que je me permets de citer longuement :

La séparation béante qui est en train de se former au sein de la société occidentale est entre ceux qui ont cessé de croire plus ou moins aveuglément aux informations concoctées par le circuit orthodoxe des médias, et ceux qui, au contraire, continuent d’y croire. C’est là un schisme important, puisqu’il conduit à deux conceptions mentales du monde extraordinairement différentes, à des années-lumière l’une de l’autre. (…)

Nous pourrons, pour le moment, appeler ces deux factions les “Confiants” et les “Désenchantés”.

Jusqu’à quelques années en arrière, nous étions tous plus ou moins “Confiants” ; dans notre esprit, ce que nous racontaient les journaux TV ou la presse collait assez fidèlement à la réalité. Nous avions conscience que les informations pouvaient être partiellement manipulées ou censurées, mais nous avions une certaine foi en ceci, que le gros de l’information qui nous atteignait avait une “masse critique” de réalité et que, donc, parmi les inévitables mensonges, ils nous communiquaient quelque chose d’utile et d’important sur les faits de ce monde.

Ce système a littéralement volé en éclats avec les dix premières années d’Internet, et à cause justement d’Internet. (…)

Pendant que les Confiants continuent imperturbablement d’alimenter innocemment l’essence de leur savoir depuis le tube cathodique adoré et parfois dans les titres des journaux qui depuis des dizaines d’années leur tiennent compagnie au petit-déjeuner, les Désenchantés, eux, ont l’impression d’avoir été chassés de l’Eden de l’information “mainstream” des soi-disant vérités auxquelles ils ne parviennent plus à croire.

Pour le Confiant, la vie est plutôt simple : le processus de compréhension et de filtrage de l’information sur les événements du monde est délégué aux journaux télévisés et à sa presse préférée, ce qui lui épargne la fatigue, la perte de temps et le stress de devoir distinguer les informations importantes de celles fallacieuses ou insignifiantes.

Pour le Désenchanté, à l’inverse, les choses se compliquent. Même si Internet véhicule aujourd’hui des informations infiniment plus significatives que les vieux médias, la Toile ne contient pas que cela. À côté d’informations importantes et d’analyses brillantes, on trouve aussi sur Internet une quantité infinie de conneries. De surcroît, les informations utiles sont parfois mélangées aux conneries, et il faut une certaine habileté pour réussir à les extraire et en faire bon usage.

Et puisque le cerveau humain a une forte tendance à généraliser, nombreux sont ceux qui, de la catégorie des Désenchantés, passent à celle des Confiants inconditionnels de toutes les bizarreries qu’ils trouvent sur Internet. (…)

Il est normal que toute personne ayant perdu confiance dans l’information mainstream traverse une phase pendant laquelle elle tend à croire le contraire de ce que l’autorité traîtresse lui communique. Croire le contraire est différent de ne plus croire, et peut conduire à des erreurs grossières. Un exemple emblématique apparu dans les faits divers est celui de ce psychopathe qui a lancé une statuette sur le visage de Berlusconi. Sur Internet, une marée de Désenchantés a immédiatement rempli les forums de discussion, convaincus que tout cet épisode, pourtant bien visible sur les images télé, était une arnaque. (…)

Car de temps en temps, malheureusement, les choses arrivent vraiment comme elles nous sont rapportées. Mais durant son parcours d’émancipation, le Désenchanté est comme un enfant qui traverse sa phase du « non », et son refus de tout ce qui lui parvient de l’autorité est absolu et total. Il est humain que ce type de phénomène survienne, après tout, de la même façon que l’enfant doit franchir cette phase du « non », l’adulte Désenchanté lui aussi doit se libérer de ce nouvel « esclavage ». Car si auparavant c’était un esclave prêt à croire tout ce qu’on lui racontait, c’est maintenant un esclave porté à croire le contraire de ce qu’on lui dit. Mais c’est toujours un esclave. Esclave de l’irréalité. Le Désenchanté doit parvenir à choisir la vision de la réalité la plus plausible, la plus probable, et chaque fois, de manière critique et pondérée. Et les idées préconçues ne l’aident pas dans ce processus.

Voici encore un extrait de la seconde partie de son article :

L’univers d’Internet a donc modifié en profondeur le paradigme de la circulation de l’information. Et beaucoup de « Confiants » ont du mal à s’habituer à ce nouveau paradigme.

Avant l’Internet, les choses étaient plus faciles. Pas la peine de trop réfléchir. Les informations nous parvenaient de sources « d’autorité » comme les télévisions et la presse écrite, et même si les opinions exprimées étaient divergentes, il demeurait une certaine cohérence dans les faits relatés. S’il y avait une guerre, on disait qu’il y avait une guerre. Ou à la limite, une Mission de Paix, le synonyme hypocrite de plus en plus en vogue depuis que l’Occident a adopté la « nov-langue » d’Orwell. Pour rester informé, il suffisait alors de croire ce que l’on entendait ou lisait.

Mais depuis qu’Internet a multiplié à l’infini les « sources » d’information, on a découvert que les faits sont souvent dramatiquement différents de ce que nous en rapportaient les médias traditionnels. Cependant, sur Internet, toutes les sources ne sont pas fiables. Il y en a tout simplement trop pour qu’elles puissent toutes être dignes de foi. Croire ce qu’on entend ou ce qu’on lit ne suffit plus. Il faut réfléchir. Discerner. Extraire. En plus du travail intellectuel, cela nécessite du temps et de l’attention. Pris par les vicissitudes quotidiennes, nombreux sont ceux qui n’en ont pas suffisamment. Et pour éviter de bouleverser leurs certitudes et leurs habitudes, ils restent Confiants envers l’ancien système. À court terme, c’est indubitablement plus pratique.

Le point fondamental que je souhaiterais souligner dans ce texte qui se suffit à lui-même, c’est le piège dans lequel tombent nombre de « désenchantés », dans leur phase enfantine du « non », qui parfois s’éternise, et qui les rend tout aussi esclaves que les « confiants ». Ils ne croient plus la télévision, mais ils croient d’autres sources underground. Or, Quaglia le dit, il ne s’agit plus de croire. Mais de juger, sans cesse, et recommencer, toujours, sans jamais se reposer dans le préjugé et les certitudes reposantes. Telle pourrait être la sagesse que nous proposerait Internet. Mais de toute évidence, cette conduite constitue un idéal, peu réalisable par des hommes qui restent souvent des êtres de croyance, et qui, faute de comprendre – et de prendre le temps, si long et parfois sans fin, de la connaissance -, préfèrent croire tout de suite, sur la base de quelques arguments plus ou moins solides glanés ici ou là sur le web. Devant leur télévision ou Internet, le plupart des hommes restent des « confiants » et des « esclaves » – seule l’autorité à laquelle ils se fient change. Les « désenchantés », que Quaglia appelle au discernement permanent, sont ce que j’appellerais des sceptiques – qui ont donc rejeté toute pensée dogmatique – et qui évoluent dans l’univers du vraisemblable, non du certain. La pensée sceptique est source de tolérance et de conversation, quand la pensée dogmatique ou « confiante » est source de discorde et de haine.

Le 11-Septembre fut pour beaucoup l’occasion d’un basculement, de la catégorie de « confiants » à celle… de nouveaux « confiants », lorsqu’ils adhérèrent sans broncher à quelque théorie alternative (que rien pourtant ne prouvait absolument), mais aussi, heureusement parfois, à celle de « désenchantés », dont on aura compris que c’est une position beaucoup plus difficile à tenir, et donc rare, que la première, car elle induit au fond une véritable sagesse (un exercice permanent du jugement que l’on peut voir à l’oeuvre dans les Essais de Montaigne, qui furent écrits à une époque de grands bouleversements et de remises en question, suite à la découverte du Nouveau Monde, comme nous-mêmes pouvons parfois être chamboulés par les « nouveaux mondes » dont le web nous ouvre les portes). Les « désenchantés » comprirent que la réalité était probablement plus complexe que celle que les grands médias leur livraient. Mais au-delà du 11-Septembre, et même parfois indépendamment de lui (car certains « désenchantés » peuvent être restés « confiants » sur ce sujet), c’est sur d’innombrables objets d’actualité que le gouffre se creusa entre grands médias et web, et que des interprétations variées, voire aux antipodes l’une de l’autre, virent le jour. Il n’est qu’à penser à la guerre en Libye : guerre humanitaire pour les uns, guerre impériale pour les autres.

Le web alternatif attire des individus qui ont cessé d’être « confiants », au sens traditionnel, et qui, « nouveaux confiants » ou « désenchantés », développent des visions du monde de plus en plus éloignées de celle du commun des mortels, dont la sacro-sainte télévision demeure la référence. Etre un « désenchanté » ou un « nouveau confiant » peut rendre heureux, car on se sent plus intelligent et lucide que la masse ; mais cela peut aussi rapidement rendre malheureux, car on peut se sentir isolé dans le monde réel (offline). De tels témoignages m’ont marqué, à la fois sur AgoraVox et AgoraVox TV. Sur AgoraVox, c’est précisément sous un article de Michel Collon sur la Libye qu’un fil de discussion initié par Ariane Walter révéla ce double sentiment :

M. Collon,

Le problème qui se pose est le suivant.

Sur le net et ici, sur agoravox, il y a une élite aristocratique, cette expression n’étant pas ironique, qui est au courant des réalités politiques de ce temps. De la véritable personnalité de M. Obama. Des véritables raisons de la guerre en Libye. De ce qu’était réellement la Libye de Kadhafi. Des exactions monstrueuses et dévastatrices des bourses et des banques.

Mais autour de nous, peanuts.
Le grand problème qui agite la masse des Français est de savoir s’ils vont voter UMP ou PS. Que les deux représentent les mêmes folies, ils n’en sont même pas là.
Pour eux, Obama est un brave homme qui fait ce qu’il peut et l’attaque en Libye une nécessité humanitaire.

ce sont des ignares. Aussi ignares que ceux qui n’allaient pas à l’école autrefois.
Internet joue, on ne le dira jamais assez, et de plus en plus sur facebook, même, un rôle informateur de premier plan. (…)

Votre article est très bien. mais j’en ai lu bcp, de grande qualité sur ce site. mais nous nous lisons, souvent, entre nous.
Le grand public est à l’écart de ces vérités élémentaires.
J’espère que la campagne présidentielle permettra enfin d’amener ce que nous disons entre nous aux oreilles de tous.

De nombreuses réactions vinrent appuyer ces propos, comme celle de « cogno3 » :

Tout à fait, je le vois très bien dans mon entourage, sur mon lieu de travail… c’est le néant.
Et tenter de leur expliquer un minimum est un coup à passer pour une andouille parano tellement ils sont à 1000 lieues de tout cela.
Y a des fois ou j’ai envie de leur filer des baffes tous autant qu’ils sont.

Ou encore celle de « Scual » :

Effectivement la situation est catastrophique en ce qui concerne l’information.

Le pire c’est que c’est absolument pas une question de politique. Plutôt que de me faire cataloguer, je n’expose que des faits avérés en espérant qu’ils entraineront les mêmes conclusions que les miennes… tu parles !

On ne me croit pas et c’est tout. Plus j’en dis et moins je suis crédible. Tout ce que je peux dire n’est pas cru si ça n’a pas été dit précédemment à la télé. Plus c’est grave, moins le fait d’avoir été « caché » par la télé est crédible à leurs yeux et donc plus je suis « fou ».

La plupart des gens pensent probablement que je serais resté coincé au stade d’ado rebelle anti-système… jamais ils n’accepteront de se remettre en question au point de se rendre compte que c’est eux qui sont retourné au stade de petits enfants qui obéissent bien et croient tout ce que disent les « grands ».

« StabilobOos » répond aux deux commentaires précités et appuie le même constat : tenter de parler aux « autres », aux « confiants », de ce qu’on a appris dans le monde virtuel, c’est prendre le risque de se faire moquer, voire traiter de dingue. La mise à l’écart – tant redoutée par tout homme – n’est pas loin, et l’on en vient à cacher ce que l’on pense vraiment :

@ArianeWalter :
Je me retrouve tout à fait dans le désespoir que je lis dans votre post. Et j’apprécie particulierement que vous parliez de ce point précis.

@Cogno :
J’ai bien l’impression que vous parlez de mon quotidien…

Plus le temps passe, plus je me radicalise… disons que j’en suis à vivre en 1984, où je cache mes idées pour pas me faire embarquer par la police de la pensée, qui vous met pas (encore) en cabane, mais qui hésite pas à vous reléguer chez les débiles paranos.
Il m’est malgré tout difficile de vivre normalement parmis les zombis que j’ai de plus en plus de mal à respecter en tant qu’individu.

A quoi ca sert alors tout ce cirque ?
Au moins, je sais que je ne suis pas seul à avoir pris la pilule rouge.

Bon, c’est vrai, aujourd’hui, ma jauge d’espoir est au plus bas…. j’ai beau tapoter dessus, ca bouge pas. On verra demain. Au pire, au final, je la remplirai avec de la rage.

Même réaction chez « Bernie » :

Moi aussi, je me tais, la plupart du temps, je ne distille qu’un peu des infos que je connais, et surtout que je pense maîtriser, sous peine de regards hallucinés et mise au ban. Alors Winston de 1984 ? obligé de garder ses pensées subversives pour lui, car pour les autres, la guerre c’est la paix ?

La réaction que décrivent tous ces commentateurs est ce que la sociologue Elisabeth Noelle-Neumann a conceptualisé sous le nom de « spirale du silence ». Chacun d’entre nous est doté d’une sorte de sixième sens qui lui permet, en permanence, de jauger quelle opinion est dominante autour de lui, dans son environnement : si nous nous sentons dans la majorité, nous parlons haut et fort ; si nous pensons être dans la minorité, nous avons tendance à nous taire (ce modèle est surtout valable lorsque l’on aborde des questions politiques et sociales dites « sensibles »). Internet et son anonymat permettent de contourner cette spirale du silence, mais, dans le monde physique, sa pression se fait sentir immuablement.

« Variation sur l’incompréhension » – Emmanuel Bénard

Un autre fil de discussion intéressant a été initié par « bebol » le 25 février 2011 sur AgoraVox TV, qui exprime ce même sentiment de désespoir lorsque l’on doit discuter avec les autres de ses convictions nouvellement acquises sur le web, et que l’on constate leur inertie, leur peu d’intérêt pour les choses du monde, et ce qui sort des sentiers battus.

« Slim Gaigi » apporte cette contribution :

J’ai eu le même genre d’expérience évidemment.

Mais plutôt que de m’insurger devant cet abandon de la quête de vérité personnelle, je me suis posé la question : pourquoi est-ce si difficile pour beaucoup de gens de changer d’opinion alors même qu’ils admettent tous les présupposés censés aboutir à la conclusion ?

En fait je ne les condamne plus comme je le faisais car j’ai compris qu’ils sont avant tout des victimes du système et que par conséquent, les culpabiliser ou leur reprocher leur aveuglement est inutile voire contre productif.

Alors oui c’est rageant de se trouver confronté à un mur d’incohérence et à la réaction de l’autruche, mais c’est trop facile de dire qu’ils ne veulent pas comprendre ; comprendre est difficile, pas parce que c’est forcément complexe, mais parce que ça implique parfois de grands bouleversements internes, en terme de valeurs, d’enjeux et de vision du monde.

Changer, ça fait peur et c’est difficile. D’autant que certains changements sont diabolisés (ex : parler du 11 septembre en remettant la théorie officielle en cause et les incultes ou malhonnêtes rappliquent avec le sticker « complotiste-négationniste-antisémite » !).

Bref, il faut avoir de la patience et de la compréhension pour deux dans ces cas là ; et si ça paraît paternaliste, ça n’est pas grave, moi j’ai pu changer donc il faut se dire que c’est possible mais que ça prend du temps…

A quoi « bebol » répond :

Je désespère réellement de faire comprendre autour de moi des choses qui semblent tellement claires à mes yeux.

Je peux d’ailleurs dire que je suis le cas même de celui qui a cherché à ouvrir ses yeux volontairement, il y a quelques années (car je « sentais » qu’il me fallait autre chose…) et sans l’aide d’autrui autour de moi ; internet est à ce titre l’outil le plus formidable qui soit pour pouvoir découvrir tant d’autres pensées, tant d’autres compréhensions du monde que celles emballées si joliment à la télévision ou dans les journaux. Je peux donc aisément dire que tout remettre en cause, se remettre en cause n’est pas évident… Mais c’est faisable et, bien évidemment, je suis bien loin d’être un cas isolé.

Je continue donc à penser que, pour une grande majorité, c’est le choix de la facilité, le choix de la mollesse, le choix d’être cocoonnée plutôt que se retrouvé nue face à une réalité froide et brutale qui la guide et non une désinformation constante qui la manipulerait sournoisement, sans qu’elle n’en sache rien.

« Mahalmort » renchérit :

J’habite en Suisse et je vous rejoins dans le fait qu’il est extrêmement difficile pour les gens que de ne pas s’enfermer dans leurs certitudes, je discute avec beaucoup de personnes, jeunes, 40aine, âgées, de tout bord politique confondu et de n’importe quelle condition sociale, il faut savoir que le problème majeur de l’incompréhension à laquelle on se heurte est le manque de ces personnes de vision globale et d’en faire la synthèse la plus juste possible par manque essentiel d’élément qu’ils ignorent.

La faute principale est le facteur temps, en effet, s’informer prend du temps, et réfléchir est aujourd’hui un luxe, ma « chance » est que je suis indépendant, célibataire et que j’ai du temps pour m’informer, ce qui n’est pas le cas des gens qui ont une famille, un travail, et dont le peu de temps de loisir est consacré à autre chose que la volonté de découvrir que tout le monde (humain) qui les entoure n’est que mensonges et illusions, ils préfèrent s’adonner au sport (devant la télévision souvent), et le résultat des équipes de football locales est un sujet autrement mieux prisé que de discuter des fondements réels de nos sociétés, mais ce n’est pas nouveau ce concept du pain et des jeux. Tant que les personnes ne seront pas directement touchées par le système, elles ne se sentiront pas le besoin d’en sortir.

De plus, l’humain à horreur de la solitude en général, et donc, la plupart des gens ne veulent pas se marginaliser donc adhèrent avec conviction ou pas aux idées courantes du moment. Rare sont ceux qui disent publiquement ce qu’elles pensent etc. Je comprends parfaitement leur position puisque mon parcours personnel et affectif m’a isolé de la « masse » dont je faisais partie et donc je viens de cette même masse lobotomisée et manipulée, je peux donc comprendre les positions de ceux qui ne veulent pas en sortir, et ceux qui se sont « réveillés », pour ma part le réveil s’est fait dans la souffrance à partir du deuil de ma femme à l’âge de 23 ans, en 1995, je me suis retrouvé isolé et sans ami pendant longtemps, le net m’a appris à apprendre. Et depuis lors, je n’ai de cesse de vouloir apprendre encore et encore sur un maximum de sujets possibles et imaginables, afin de comprendre au mieux le monde dans lequel on vit.

Malheureusement grande est ma frustration lors de discussions avec mes semblables que lorsque un sujet porte sur la géopolitique, la finance et les réalités en somme de notre monde et comment le système fonctionne, de découvrir l’ignorance de la plupart de mes interlocuteurs qui se permettent de surcroit de me traiter avec mépris de paranoïaque, de complotiste, ou de doux rêveur, un comble venant de personnes ne maîtrisant pas les paramètres essentiels des sujets qu’il croient connaître parce qu’ils ont « lu la presse » ou « vu à la tv ». Je n’ai pas de prétention particulière, aussi je les laisse à regret dans leur ignorance, me contentant de leur fournir quelques « clés » pour améliorer leurs connaissances si ils le souhaitent, mais j’ai aussi constaté que ces discussions provoquent l’ennui et bien vite le foot ou les blagues salaces reprennent le dessus sur le quart d’heure de « sérieux » de la soirée entre amis autour d’une table ou un repas. Décourageant certes, mais pour ma part, je ne cesserai d’apprendre et de vouloir approfondir mes connaissance que lorsque je serai mort….

Tous ces témoignages disent, en gros, la même chose, ils décrivent tous la même expérience. La fréquentation d’Internet permettrait une meilleure connaissance du monde, un meilleur décryptage de l’actualité, mais, dans la mesure où cette pratique demande du temps et un désir que tout le monde n’a pas, dans la mesure donc où elle reste – et restera – marginale, ceux qui ont l’impression de s’être éveillés par le Net ne peuvent que très difficilement partager leurs vues avec leur entourage, qui s’informe autrement et plus rapidement, et ne vit pas dans le même monde finalement. S’ils le tentent, ils s’exposent aux moqueries, voire au rejet.

Il faut noter, dans la plupart des témoignages, un léger sentiment de supériorité qui se dégage, et ce sentiment est à maîtriser si l’on ne veut pas tomber dans le dogmatisme et la catégorie peu envieuse des « nouveaux confiants », qui reproduisent les erreurs des « confiants » traditionnels, avec cette conviction toujours dangereuse que l’on est un initié, que le Net nous a permis une bonne fois pour toutes de comprendre une vérité cachée.

Comme le dit sagement « diogene » dans le fil de discussion d’AgoraVox :

Parfois, certains pensent être les seuls à « comprendre » ce qui se passe. Pour ma part je n’oserais pas trop m’avancer sur ce terrain. Je me suis toujours méfié de « ceux qui savent mieux que les autres ».

En effet, prétendre tout savoir mieux que tout le monde, parce qu’on se considère comme un initié, mène vite au sectarisme, à l’intolérance, à toujours plus de radicalité. Et d’aucuns, qui, dans la vie courante, sont perçus comme des radicaux, en viennent à passer pour d’horribles conformistes, voire des « collabos », lorsqu’ils s’expriment sur des forums où des esprits sectaires et sûrs d’eux-mêmes font la loi. C’est ce qu’exprime « Jean Valjean » :

Dans la vie de tous les jours je passe pour un affreux conspirationniste anti-occidental car je remets quotidiennement en cause la propagande des médias dominants.
Et sur Agoravox (TV) parce que je ne crois pas à leur propagande aussi paranoïaque que délirante, je passe pour un Sioniste sataniste talmudique, car ici les trois quarts de gens sont disciples de Dieudo/Soral.

Bref, devant Pujadas sur TF1 comme devant Dieudo ou Soral sur AgoraTV, qu’il soit blanc ou noir, un mouton reste un mouton !

Cette dernière pique est fort juste : on peut regretter en effet que certains, qui fuient le conformisme, voire le sectarisme (dans certains cas) des grands médias, reproduisent sur des médias alternatifs ces mêmes travers. Ils fuient un conformisme pour en créer un autre. Ils dénoncent une certaine intolérance pour en exercer eux-mêmes une autre. Et le diabolisé de la télé (ici Soral ou Dieudo) devient la référence obligée devant laquelle il faut faire allégeance, sous peine d’une démolition en règle.

Ainsi, dans les grands médias, un contestataire de la version officielle du 11-Septembre sera vite traité de « négationniste », d’esprit dérangé, de criminel en puissance… mais sur le web alternatif, un défenseur de la version officielle se fera aussi maltraiter, c’est à peine s’il pourra s’exprimer. Son propos sera immédiatement « moinssé », attaqué, ridiculisé… et, selon la logique de la spirale du silence, il sera poussé à se taire (à moins d’être masochiste ou indifférent au lynchage). Notons, bien entendu, que les défenseurs de la version officielle, même s’ils sont minoritaires sur le web alternatif, n’hésitent pas non plus à « moinsser », à railler, à troller… tout propos qui leur déplaît. Bref, à la télévision ou sur Internet, c’est l’homme lui-même qui semble coupable, c’est son désir d’écraser l’autre, qui ne pense pas comme lui, qui a l’outrecuidance d’avoir un point de vue différent.

Blaise Pascal avait tout résumé dans le fragment 509 de ses Pensées : « En un mot, le moi a deux qualités : il est injuste en soi en ce qu’il se fait le centre de tout ; il est incommode aux autres en ce qu’il les veut asservir, car chaque moi est l’ennemi et voudrait être le tyran de tous les autres. » Rares sont ceux qui résistent à cette passion d’asservir, à cette folie de vouloir réduire l’autre au même.

Ainsi, il n’est pas rare de remarquer qu’un article objectivement bon, mais qui défend une opinion minoritaire, est mal voté, tandis qu’un article objectivement plus faible, mais défendant une opinion majoritaire, est bien voté. Autrement dit, on valorise, non tant celui qui fait un effort pour produire un argumentaire de qualité, quitte à défendre in fine une opinion qui déplaît, que celui qui défend, même de façon rudimentaire, l’opinion que le groupe dominant veut voir partout triompher. Or, il me semble que, dans un espace qui vise à redonner du sens au débat démocratique, c’est la qualité qui devrait primer, et non la seule opinion défendue. Celui qui n’a pas la passion de dominer l’autre, mais qui aspire à faire vivre la démocratie et son débat contradictoire, devrait davantage se réjouir d’un bon article le contrariant, que d’un mauvais le confortant dans son idée.

En fait, deux logiques sont possibles, et les deux peuvent évidemment coexister sur Internet. La première est celle des sites communautaires, partisans, militants, qui défendent souvent des positions peu présentes dans les médias dominants, et qui, sur Internet, prennent leur revanche. Sur ces sites, on fait de la contre-information, on a une ligne bien précise, on cherche par tous les moyens à faire la promotion de certaines opinions, et on en combat systématiquement d’autres ; on laisse peu s’exprimer les détracteurs dans les forums, qui sont très mal venus, lorsqu’ils ne sont pas tout bonnement chassés, histoire de créer une unanimité de façade. La seconde logique est celle, beaucoup plus rare et précieuse à mes yeux, qui devrait régner sur un site citoyen et « anti-communautariste » comme AgoraVox, consistant à défendre le pluralisme et la qualité, sans qu’aucun groupe ne prétende réduire au silence ceux qu’il considère comme ses adversaires. Bien sûr, des groupes idéologiques seront, de facto, dominants, mais ils devraient avoir la sagesse de ne pas vouloir écraser les minoritaires. Débattre, se combattre, arguments à l’appui, certes, mais résister à la tentation « fascisante » (que chacun porte en soi) consistant à vouloir annihiler toute différence trop gênante.

Ce voeux est utopique, mais sans cette utopie profondément ancrée en nous, je crains que le web alternatif ne vaille plus rien. Il aura reproduit la « pensée unique » et le « terrorisme intellectuel » inhérents aux médias dominants. Le web ne vaut que s’il permet de rompre avec ces dérives anti-démocratiques. Et l’agora numérique où nous sommes ne doit jamais céder devant quelque clan que ce soit, elle doit assurer à chacun le pouvoir de s’exprimer en toute sûreté, sous la critique, mais non sous la pression. Internet est un bel outil, qui, sans la sagesse individuelle de ses utilisateurs, ne vaut rien. Internet n’a aucun pouvoir magique. Il ne vaut que si son utilisation s’accompagne d’une prise de conscience et d’une révolution intérieure en chacun de nous. A cette seule condition, Internet pourra devenir un instrument décisif dans la construction d’une démocratie réelle et vivante.

Taïké Eilée