Quand on fait une recherche sur les portraits ou les films réalisés du point de vue de la première personne, deux choses frappent : premièrement, les réponses les plus fréquentes montrent de la violence ou des activités violentes (sport, chute, etc.). Deuxièmement, ces portraits sont rares.

En dehors des sites consacrés à la Vision Sans Tête (VST), il y en a bien peu.

Voici un portrait par une personne qui connaît – visiblement ! – la VST :

Il ajoute une strophe en dessous :

Si vous pouvez voir que vous n’avez pas de tête
Alors vous méritez tout mon respect,
Car vous êtes honnête, courageux, et vous êtes dans le vrai,
Et vous avez raison du point de vue de l’anatomie !

If you can see you have no head
Then you command my full respect,
For you are honest, brave, and true,
And anatomically correct!

Plus souvent, on trouve des dessins dont les auteurs ne connaissent pas la VST, ici un élève en retenue (!) :

Remarquez que la plupart de ces portraits « à la première personne » essaient en fait de montrer le corps vu à la première personne. Pourquoi ? Parce que, autrement, l’absence de tête au-dessus des épaules est bien difficile à mettre en évidence ! Pourquoi ? Tout simplement parce que tout point de vue est un point de vue de la première personne. Rien ne se manifeste en dehors de l’espace de la conscience. Même l’extérieur apparaît à l’intérieur.

Ce qui répond aux questions que nous avons posé plus haut : pourquoi si peu de portraits en première personne et pourquoi tant de violence ? Cette violence semble pouvoir s’expliquer par la puissance de l’imagination qui « dispose de tout » (Pascal). Mais l’imagination ne s’impose que si l’on ne voit pas l’absence de tête. L’imagination est un effet de l’ignorance du point de vue de la première personne et non sa cause. Quelle est cette cause ? L’évidence de l’absence de tête est ce qui cache cette absence. En effet, l’expérience quotidienne montre que ce qui est toujours présent à la conscience est comme absent. Bergson fait remarquer que la conscience ne peut viser que le nouveau, le différent. Or, essayez donc de fixer un objet quelconque. Au bout de quelques secondes, il disparaît dans une sorte de brouillard, n’est-ce pas ? C’est que l’objet de conscience ne peut « exister » que dans le changement, le mouvement, la versatilité. Cela est encore plus clair pour le désir. Or, l’espace qui regarde ces lignes en cet instant même est immobile. Sans formes ni couleurs, il est immuable. Sans visage, comment le reconnaître ? Dépourvu de toute caractéristique, comment y faire attention ? Trop proche, trop intime, trop évident, trop facile : voilà ce qui rend la vision si rare !

Du reste, parmi les auteurs de portraits ou de films à la première personne, s’en trouve-t-il qui aient ainsi reconnu peu ou prou la portée de cette absente de tête ? La vision de soi est difficile parce qu’elle est facile. Personne ne la réalise parce qu’elle est évidente. Peux la savoure parce qu’en elle, il n’y a rien à faire.

David Dubois