[Deux transcriptions orales autour du Soi.]

Il n’est rien de moins spécial que le Soi.

Il y a le Soi et le moi psychologique. Mais le Soi n’a rien de spécial. Il n’y a rien de moins spécial que le Soi. Le moi psychologique est beaucoup plus spécial que le Soi.

Le moi psychologique est cette fausse continuité à laquelle nous nous identifions : le corps pourtant constamment changeant, l’ego en tant que cristallisation d’une croyance en cette fausse continuité de pensées, de sensations, d’émotions qui traversent le champ de la conscience, qui apparaissent, qui surgissent spontanément, cette fausse continuité perçue comme une entité autonome et séparée du reste de la réalité.

Et qu’est-ce que le Soi, alors, face à ce moi psychologique, face à ce moi possesseur auquel nous nous identifions faussement ? Qu’est-ce que le Soi ? C’est simplement le fait d’être, le fait d’exister.
Le fait d’être, le fait d’exister est antérieur à toute pensée, à toute sensation, à toute émotion. Le fait d’être, le Soi est antérieur à la pensée « Je Suis ». La pensée « Je Suis » n’est que le reflet du Soi. Alors il n’y a rien de compliqué à réaliser le Soi, parce que le Soi, le fait d’être est la seule chose qui ne peut nous être ôtée, et la seule chose qui soit permanente et déjà réalisée.

Le fait d’être, le fait d’exister, EST la Réalisation. Il s’agit simplement de rester conscient de son propre Soi, de s’établir sciemment dans le Soi. Et toute autre question coule à pic, disparaît. « Restez conscient de votre propre Soi et vous connaîtrez tout le reste. » (R. Maharshi)

« Souviens-toi de t’oublier », signifie souviens-toi d’oublier le moi psychologique. Et souviens-toi du Soi. Souviens-toi du simple fait d’exister. Ce simple fait d’exister peut être comparé – mais ce ne sont toujours que des images – à l’écran sur lequel apparaît chaque phénomène, n’importe quel film de pensées, de sensations, d’émotions, ou bien à la profondeur de l’océan dans lequel chaque vague qui apparaît en surface, parfois très agitée, se résorbe sans perdre jamais une seule goutte de son eau. Ou peut encore être comparé au ciel toujours limpide, quels que soient les nuages qui apparaissent et semblent le voiler.

Le problème n’est jamais les nuages. Le problème n’est jamais les vagues qui agitent la surface. Le problème n’est jamais l’incendie sur le film, ou la mauvaise qualité du film qui apparaît sur l’écran. Le problème est de s’y identifier.

S’il n’y a pas identification aux nuages qui apparaissent dans le ciel, aux vagues qui agitent la surface, ou au navet qui se déroule actuellement sur l’écran alors qu’on aurait préféré voir un chef-d’oeuvre comme la semaine dernière, s’il n’y a pas identification à ces phénomènes, si on reste établi sciemment dans le Soi, si on se souvient, jusqu’à ce que se souvenir devienne automatique, aussi automatique que l’identification au moi psychologique, à l’ego, au corps, aux pensées, aux sensations, aux émotions était devenue automatique depuis le stade du miroir… eh bien, c’est terminé ! C’est aussi simple que ça.

Et il n’y a rien à forcer dans ce domaine parce que tant que l’identification aux phénomènes, au corps, au monde tel qu’il nous apparaît, au monde du rêve, en fait, à l’illusion du monde, de l’ego, de la séparation… tant que cette illusion demeure, c’est qu’elle a un pouvoir sur nous auquel nous consentons, au fond, auquel le Soi consent lui-même, consent absolument. Puisqu’il n’y a rien à quoi le Soi ne consente pas, aussi scandaleux que cela puisse paraître dans certains cas.

Mais ça ne paraît scandaleux qu’en isolant un motif, un élément de la tapisserie globale. Pris isolément, un phénomène peut apparaître tout à fait scandaleux. Normal, le sens général de la trame est perdu. Mais il n’est même pas à rechercher, ce sens ! Il suffit simplement de rester dans le Soi.

*

Ainsi tu ne trouveras jamais de Paix véritable dans les pensées, tu ne trouveras jamais de Paix véritable dans les émotions, et tu ne trouveras jamais de Paix véritable dans les sensations.

Or tout ce que tu cherches, ta quête effrénée des objets de ton désir est là pour susciter au sein de ta conscience certains types d’émotions, certains types de sensations ou de pensées joyeuses, heureuses, comblantes, dont tu connais pourtant l’inévitable vanité, l’inanité, l’impermanence.

Tu ne peux trouver de Paix véritable dans les émotions, les pensées, les sensations, parce que la Paix véritable, c’est ce qu’en essence, tu es déjà. Qu’est-ce que ça veut dire ?

Ça veut dire qu’antérieurement au moi, qui n’est qu’une discontinuité constituée de tes pensées, émotions, sensations, une à la fois, cette discontinuité qui a les apparences d’une continuité, que tu perçois à certains moments comme une entité – je dis à certains moments parce qu’à d’autres tu n’y penses pas – , antérieurement à ce moi discontinu, il y a le Soi. Ce que tu es en réalité, le Soi, est antérieur à cette discontinuité.

Et qu’est-ce que le Soi ? Le simple fait d’exister. Le simple fait d’être, mais sans attributs, sans être unetelle ou untel, juste être, ce simple fait EST le Royaume des Cieux, le lieu de ton bonheur, le lieu de la félicité, d’une Joie, d’une Paix toujours présente.

Il n’y a qu’au Soi, à condition de ne pas en faire un nouvel objet, une nouvelle idole, il n’y a qu’au simple fait d’exister, il n’y a qu’au Soi que tu puisses te raccrocher, parce que c’est ton bonheur, non pas relatif mais absolu ; c’est ton bonheur, non pas éphémère, mais permanent ; c’est ton bonheur, non pas dépendant de conditions extérieures, mais totalement indépendant et sans objet.

Juste ce que tu es, réellement. Sous les masques et les voiles de la personne. Lumière libre de la personne.

Rodolphe Massé