Si l’homme doit être véritablement pauvre, il doit être aussi dépris de sa volonté créée qu’il l’était quand il n’était pas. Car je vous dis par l’éternelle vérité : tout le temps que vous avez la volonté d’accomplir la volonté de Dieu et que vous avez le désir de l’éternité et de Dieu, vous n’êtes pas pauvres, car seul est un homme pauvre celui qui ne veut rien et ne désire rien.

Nous disons donc : si l’homme doit être pauvre en volonté, il doit aussi peu vouloir et désirer qu’il voulait et désirait alors qu’il n’était pas. Et voilà de quelle manière est pauvre l’homme qui ne veut rien.

En second lieu est un homme pauvre celui qui ne sait rien. Nous avons dit parfois que l’homme devrait vivre comme s’il ne vivait ni pour lui-même ni pour la vérité ni pour Dieu. Mais maintenant nous parlons différemment et nous irons plus loin en disant que l’homme qui doit avoir cette pauvreté doit vivre de telle sorte qu’il ignore même qu’il ne vit ni pour lui-même ni pour la vérité ni pour Dieu ; bien plus, il doit être tellement dépris de tout savoir qu’il ne sait ni ne reconnaît ni ne ressent que Dieu vit en lui ; plus encore, il doit être dépris de toute connaissance vivant en lui, car lorsque l’homme se tenait dans l’être éternel de Dieu, rien d’autre ne vivait en lui et ce qui vivait là, c’était lui-même.

Nous disons donc que l’homme doit être aussi dépris de son propre savoir qu’il l’était lorsqu’il n’était pas ; qu’il laisse Dieu opérer ce qu’il veut et que l’homme soit dépris.

Nous disons donc que l’homme doit être quitte et dépris de Dieu, en sorte qu’il ne sache ni ne connaisse l’action de Dieu en lui ; c’est ainsi que l’homme peut posséder la pauvreté.

Celui-là donc qui doit être pauvre en esprit doit être pauvre de tout son propre savoir, en sorte qu’il ne sache rien d’aucune chose, ni de Dieu, ni de la créature, ni de lui-même. Il est donc nécessaire que l’homme désire ne rien pouvoir savoir ni connaître des œuvres de Dieu. De cette manière l’homme peut être pauvre de son propre savoir.

Maintenant nous parlons différemment. Si l’homme est libéré de toutes les créatures et de Dieu lui-même, mais s’il est encore tel que Dieu trouve en lui un lieu ou opérer nous disons : tout le temps qu’il en est ainsi en cet homme, cet homme n’est pas pauvre de la plus extrême pauvreté. Car dans ses opérations, Dieu ne vise pas un lieu dans l’homme où il puisse opérer : la pauvreté en esprit, c’est que l’homme soit tellement libéré de Dieu et de toutes ses œuvres que Dieu, s’il veut opérer dans l’âme, soit lui-même le lieu où il veut opérer, et cela, il le fait volontiers.

Car lorsque l’homme se trouve aussi pauvre, Dieu opère sa propre œuvre et l’homme subit ainsi Dieu en lui et Dieu est le lieu propre de ses opérations, du fait que Dieu opère en lui-même. Ici, dans cette pauvreté, l’homme retrouve l’être éternel qu’il a été, qu’il est maintenant et qu’il demeurera à jamais.

Nous disons donc que l’homme doit être si pauvre qu’il ne soit ni n’ait en lui aucun lieu où Dieu puisse opérer. Tant qu’il réserve un lieu, il garde une distinction.

C’est pourquoi je prie Dieu qu’il me libère de « Dieu », car mon être essentiel est au-dessus de « Dieu » en tant que nous saisissons Dieu comme principe des créatures.

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Maître Eckhart.