Si nous considérons la connaissance comme une « sagesse antique » à amasser, nous faisons fausse route.
La « sagesse antique », les vieilles légendes sont une fadaise.
Il faut sortir du matérialisme spirituel. Si nous n’en sortons pas, si nous en faisons notre pratique, nous nous doterons peut-être d’une vaste collection de sentiers spirituels, fort précieux à notre avis. Nous avons tellement étudié ! Peut-être avons-nous étudié les philosophies occidentales ou les mystiques orientales, pratiqué le yoga ou même recueilli les enseignements de dizaines de grands maîtres. Nous sommes accomplis car nous savons tellement de choses ! Nous sommes intimement persuadés d’avoir amassé un trésor de connaissances. Et, pourtant, à l’issue de cet itinéraire, il y a encore quelque chose à abandonner. Quel mystère ! Comment est-ce possible ? C’est impossible…Hélas, c’est pourtant vrai. Ces trésors de connaissances, ces sommes d’expériences ne sont qu’un élément de la vitrine de l’ego, ils concourent à le rendre plus grandiose. Nous les affichons et, ce faisant, nous nous rassurons sur notre existence, confortable et sans risques, d’êtres « spirituels ».
En fait, nous avons simplement monté une boutique, une boutique d’antiquités. Peut-être nous sommes-nous spécialisés dans les objets orientaux, les antiquités du Moyen Age chrétien, ou les vieilleries de telle culture à telle époque, mais quoi qu’il en soit, nous somme des boutiquiers. Avant d’être bourrée d’objets, la pièce était belle : des murs passés à la chaux, un simple plancher, une lampe brillant au plafond. Un objet d’art trônait au milieu de la pièce et c’était beau. Tout le monde venait jouir de cette beauté, à commencer par nous.
L’auto-illusion est un problème constant lorsque l’on progresse le long d’un sentier spirituel. L’ego est toujours en train de vouloir réaliser la spiritualité. C’est un peu comme si l’on voulait assister à son propre enterrement. Par exemple, dans un premier temps, il est possible que nous approchions notre ami spirituel en espérant recevoir de lui quelque chose de merveilleux. Cette approche est nommée la « chasse au maître ». Elle est traditionnellement comparée à la chasse au chevrotain. Le chasseur est à l’affût, tue l’animal et le dépouille de son musc. Ont peut appliquer cette stratégie au gourou et à la spiritualité, mais elle conduit à l’auto-illusion. Elle n’a rien à voir avec la réelle ouverture ou l’abandon.
On peut aussi supposer, à tort, que l’initiation est une transplantation, qu’elle consiste à transplanter le pouvoir spirituel des enseignements du cœur du maître dans le nôtre. Une telle mentalité considère les enseignements comme quelque chose qui nous est étranger. On cherche une opération analogue à une greffe cardiaque – sauf qu’ici il s’agirait plutôt de la tête. Un élément étranger à notre corps y est greffé.

Arrêtez de chercher quoi que ce soit, arrêtez d’essayer de découvrir quoi que ce soit, d’essayer de vous vérifier.
Arrêtez d’essayer d’aller quelque part, qu’il s’agisse de s’échapper, ou de se précipiter, parce que c’est la même chose.
Le souvenir de soi est une très dangereuse technique, à vrai dire. Il peut impliquer que l’on s’observe, et que l’on observe ses actes, comme un chat affamé guette une souris, ou bien il peut s’agir d’une façon intelligente d’être là où l’on est.
Ne vous posez pas de question, ne vous faites pas de souci à propos de votre sagesse. Faites simplement ce qu’exige la situation. La situation que vous rencontrez est en soi assez profonde pour être considérée comme une connaissance. Vous n’avez nul besoin d’informations de seconde main. Vous n’avez nul besoin de renforts ou de consignes pour agir. Les renseignements sont fournis automatiquement par la situation. Lorsqu’il faut être dur, vous l’êtes parce que la situation exige cette réponse. Vous n’imposez pas la dureté, vous êtes un instrument de la situation.
Dès que nous formons une notions dualiste comme : « Je fais ça pour atteindre un état particulier de conscience, un état particulier d’être », nous nous séparons automatiquement de la réalité que nous sommes.
On se demandera : « Qu’y a-t-il de mal à porter des jugements de valeur, à prendre parti ? »; la réponse est que lorsque nous formulons un jugement secondaire « je devrais faire ceci et éviter de faire cela », nous atteignons un niveau de complication qui nous transporte à mille lieues de la fondamentale simplicité de ce que nous sommes.
Le propos de la méditation n’est pas de s’élever mais d’être présent, ici.
L’éveil total est quelque chose que l’on a déjà, aussi bien les efforts ambitieux ou soi-disant « efficaces » pour s’éveiller sont-ils voués à l’échec.

Chögyam Trungpa

Chögyam Trungpa