Il y a là un mystère que nous ne devons pas essayer de comprendre… Nous parlons ici du mystère intrinsèque du fait de l’existence de quelque chose… plutôt que rien. Non pas le fait de la vie organisée et assise sur des lois et des forces…

Non pas le fait de la conscience humaine, capable d’appréhender le réel de multiples manières, depuis la pensée abstraite jusqu’à la perception sensorielle la plus immédiate, depuis la représentation abstraite la plus sophistiquée jusqu’à l’adhésion émotionnelle la moins rationnelle… Non pas cela… mais le fait rationnellement impossible à expliquer et irrationnellement impossible à appréhender… le fait de l’existence en soi… de l’existence de quelque chose, de quoi que ce soit… le fait pur de l’existence en soi… C’est un mystère, parce que c’est l’une de ces choses devant lesquelles la puissance d’entendement de l’homme devient une impuissance totale, aussi manifeste qu’elle est cachée par un redoublement de prétention de la raison, ou un redoublement d’activité de l’irraison…

Quand nous dirigeons notre concentration… pas seulement notre attention, parce que la seule attention est inapte à entrer en contact avec le cœur du mystère, elle demeure à la surface et se laisse aisément avoir par la tendance de l’esprit humain à se fabriquer des fantômes de compréhension là où aucune compréhension n’est possible, là où aucune représentation en soi n’est possible… quand nous dirigeons notre concentration sur le fait pur de l’existence, nous sentons… nous ne comprenons pas, et nous ne devons pas transformer la sensation pure concernée en ressentis de diverses colorations… nous sentons une densité absolue de mystère, et cette densité absolue n’est pas morte, elle est vivante à l’absolu… vivante d’une manière qui transcende toute appréhension mentale ou émotionnelle, toute appréhension perceptuelle ou représentationnelle… Si cette densité absolue de mystère était quelque chose d’inerte, de mort, d’immobile… elle serait une chose susceptible de tomber dans le domaine de ce qu’il est possible de comprendre ou du moins de se représenter, mais c’est une densité vivante d’une vie absolue… et cela signifie que toute tentative de représentation est transcendée avant même qu’elle ne puisse être esquissée…

Si la concentration est une intensité de l’intelligence et de la conscience au sens où ces notions se réfèrent à quelque chose de l’esprit humain… la densité absolue de mystère qu’elle sent, lui apparaît comme une réalité transcendante qui impose avec une force absolue : le silence… Non pas le silence comme une cessation de l’activité de pensée, mais le silence comme un acte de l’esprit qui s’incline et qui demeure incliné devant la densité absolue de mystère de la pure existence en soi… Cette posture de l’esprit est la posture la plus élevée de la pratique intérieure, quand cette pratique se propose comme l’art de développer les potentialités de la sagesse de l’esprit, parce que ce n’est pas une posture statique, c’est une posture au sein de laquelle l’esprit essaie de se mettre au diapason intérieur de l’intensité absolue de la force qui lui impose le silence, et au diapason de l’intensité absolue du silence lui-même… le silence de l’inconnaissable absolu, le silence de l’irreprésentable absolu… Pour évoquer les choses dans une modalité différente, peut-être plus proche de l’essence d’une telle pratique intérieure… l’esprit humain se concentre sur la densité absolue de mystère de la pure existence en soi, en déployant toutes ses forces pour intensifier sa puissance de vie en essayant de l’approcher au plus près de la densité absolue de mystère… Le silence qui résulte d’une telle concentration de l’esprit, est un silence d’intensité et de vie, et non un silence de vide et d’absence… C’est la paix de l’esprit, qui est la caractéristique réelle de la sagesse de l’esprit…

Si la concentration est une intensité du cœur… lorsque le cœur se concentre sur la densité absolue de mystère de la pure existence en soi… la vie absolue au sein de cette densité est sentie par le cœur comme le fait absolu de l’Amour… l’Amour désignant aussi bien la substance indéfinissable mais lumineuse à la perfection de la vie, que l’intensité absolue d’intelligence, de beauté et de créativité contenue dans cette vie absolue au cœur de la densité du mystère… Toute la concentration du cœur… dans cette pratique essentielle du cœur… se détermine à élever ses propres intensités de vibrations pour les rapprocher aussi près que possible de l’intensité d’Amour absolu… Là où la pratique se traduit comme intensité de la paix de l’esprit lorsque la concentration est celle de l’esprit, elle se traduit ici comme intensité de la Joie du Cœur lorsque la concentration est celle du cœur… Pour la pure intelligence du cœur, l’Amour est la Joie, parce que la Joie est l’essence pure de l’Amour, tandis que l’Amour est l’intelligence infinie, la beauté infinie et la créativité infinie qui se déploient de la Joie quand celle-ci s’exprime… Pour la pure intelligence du cœur, Dieu est le nom chaleureux et humble de ce qui ne saurait porter aucun nom et qui se trouve dans le fait pur de la densité absolue de mystère au sein de la pure existence en soi… Dieu est Amour, Dieu est Joie…

Nous ne devrions jamais vivre comme si nous avions réellement réussi à percer le mystère de la pure existence en soi… et c’est le fait d’essayer de vivre de cette manière, qui fait racine par rapport à toutes les souffrances qui en découlent… Mais il faut une maturité psychologique et spirituelle adulte pour que l’homme devienne un réel pratiquant spirituel, et apprenne à mettre la pratique essentielle au centre de sa vie, sans laisser rien d’autre venir remettre en question cette disposition de maturité… Nous vivons au sein du mystère, et nous sommes immergés constamment au-dedans de ce mystère… Si nous l’oublions, nous nous éloignons de la paix de l’esprit et de la Joie du Cœur… et alors le mental et l’émotionnel, déconnectés de la réalité transcendante du mystère de l’existence, se mettent à se comporter et à se vivre comme si leurs mouvements de pensées et d’émotions étaient plus importants et plus signifiants que le sentiment spirituel de paix et de joie qui devrait émerger de la connexion intérieure avec le mystère de l’existence… Développer la capacité de faire vibrer le sentiment spirituel de paix et de joie, de manière plus signifiante et plus vivante que les mouvements du mental et de l’émotionnel, voilà ce qui caractérise la maturité psychologique et spirituelle sans laquelle une vie profondément et stablement heureuse est impossible…

Maître Kessani (maître de pratique spirituelle).

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