Au Congo-Brazzaville, Guy-Brice Parfait Kolélas est l’une des principales figures de l’opposition. A la différence de Jean-Marie Michel Mokoko, il a pu rester en liberté après la présidentielle de mars 2016. Le député Kolélas ne s’exprime pas souvent. De passage à Paris, il est l’invité de RFI.

RFI : Guy Brice Parfait Kolélas, en tant que député de Kinkala dans le Pool, au sud-ouest de Brazzaville, qu’est-ce que vous pensez de l’accord de cessez-le-feu annoncé le 23 décembre entre le pouvoir et le pasteur Ntoumi ?

Guy Brice Parfait Kolélas : Je dirais que c’est une bonne chose pour la population du département du Pool, plus précisément des districts, théâtre des affrontements. Parce que, même s’il y a des zones d’ombre, c’est perfectible. C’est un premier pas.

Depuis près de deux ans, les populations du Pool sont soumises à un blocus de la part des autorités. Est-ce que l’étau s’est desserré depuis la signature de cet accord ?

Je dirais que l’étau s’est desserré depuis quatre à cinq mois, parce qu’il y a des populations qui, timidement, repartent dans le département du Pool, dans leurs villages. Parce que ces populations qui sont concentrées dans Brazzaville, n’étant pas habituées à vivre à Brazzaville, ont du mal à joindre les deux bouts du mois. Donc, ces populations sont contraintes chaque fois de repartir dans leur village. Parce que, parfois, elles n’ont rien à manger à Brazzaville.

Dans un document sonore diffusé par RFI – c’était à l’issue de l’annonce de ce cessez-le-feu –, le pasteur Ntumi a posé un certain nombre de conditions avant l’application de cet accord. Est-ce que vous êtes d’accord avec lui ? Il avait soutenu votre candidature en mars 2016.

Le pasteur Ntumi avait soutenu ma candidature en mars 2016, mais je ne suis pas d’accord avec lui quand il y a eu ce qui s’est passé dans le Pool. Parce que le candidat c’était moi, je suis un pacifiste, je ne vois pas ce qui s’est passé pour créer des combats dans le département du Pool. Il a mis des conditions, oui, c’est normal. Il est aujourd’hui condamné pour une chose qu’il n’a pas faite, parce que je ne pense pas qu’il soit jusqu’à présent responsable de ce qui s’est passé dans le département du Pool.

Quelles mesures les autorités doivent-elles prendre en urgence ?

En urgence, il faut qu’elles mettent en place déjà cette commission ad hoc, qui a été spécifiée dans le fameux accord qui a été signé. Cette commission ad hoc doit prendre en compte toutes les parties belligérantes. J’insiste sur cela pourquoi ? Parce qu’il y a des écuries de combattants dans le Pool. Toutes ces écuries-là ne sont pas sous la coupe du pasteur Ntumi. Donc, ces écuries-là doivent envoyer leurs délégués dans cette fameuse commission ad hoc, de façon à les rassurer quant à leur sortie et quant à la pacification effective, pour que tout le monde soit en confiance. Donc c’est la première mesure à faire.

Et la deuxième mesure à faire : il faudrait qu’une mission de dénombrement des maisons détruites, des villages détruits, soit envoyée dans le Pool. Une mission dirigée par la Croix Rouge internationale et le PNUD, de façon à ce que ces populations, aussi, soient rassurées quant au retour effectif dans les villages.

Guy Brice Parfait Kolélas, vous avez été candidat à la présidentielle de mars 2016 et, à la différence de la plupart de vos camarades de l’opposition, vous avez reconnu la victoire de Denis Sassou Nguesso dès le premier tour. Vous le regrettez ?

Non, je ne le regrette pas. Je ne suis pas un va-t-en-guerre.

Mais beaucoup de Congolais sont persuadés que le président sortant a triché et ont voulu manifester après l’annonce des résultats. Ils vous reprochent de ne pas les avoir encouragés, justement, à manifester.

Vous savez, en Afrique, quand on manifeste ainsi, il y a un bain de sang. Vous avez vu ce qui s’est passé pendant le référendum d’octobre 2015. Dès 3 heures du matin, tous les quartiers sud de Brazzaville avaient été assiégés par les forces publiques. Il y a eu des morts. Je ne suis pas celui qui va envoyer les gens à la mort.

Votre père, Bernard Kolélas, l’avait fait pourtant. Il avait encouragé un certain nombre de vos militants à manifester de son vivant.

Ah, vous savez, Bernard Kolélas c’est Bernard Kolélas. Je suis le fils de mon père, mais les temps changent. Bernard Kolélas a vécu dans le monopartisme et lutté contre le monopartisme totalitaire. Et il n’avait pour arme que de mettre les militants dehors ! Aujourd’hui, les temps ont changé. Il y a des réseaux sociaux, il y a beaucoup d’armes économiques qu’on peut mettre sur la table pour essayer de contraindre un pouvoir à céder.

Beaucoup ont dit à l’époque, en mars-avril 2016 : « Il y a un deal entre Sassou et Kolélas. Parfait Kolélas reconnaît la victoire de Sassou Nguesso dans l’espoir d’être ensuite désigné chef de l’opposition ».

Le temps m’a donné raison. Aujourd’hui je ne suis pas le chef de l’opposition. Aujourd’hui, le décret qui a été signé par le président Denis Sassou Nguesso désigne comme chef de l’opposition parlementaire mon grand-frère Tsaty Mabiala, le patron de l’UPADS. Non, je n’ai pas combattu… Je ne suis pas parti à l’élection présidentielle pour être chef de l’opposition. Je me suis présenté pour être président de la République, chef de l’Etat et je continuerai à me battre pour l’être avant que je ne quitte ce monde.

Beaucoup de Congolais disent que, même si on vous a promis il y a un an et demi le poste de chef de l’opposition, bien que votre parti – l’UDH-YUKI – soit arrivé deuxième à ces législatives, c’est en effet Tsaty Mabiala qui a obtenu ce poste, on vous aurait roulé dans la farine.

Mais les Congolais – mes amis et mes frères congolais – parlent beaucoup. Ont-ils la preuve que Denis Sassou Nguesso m’avait promis ce poste-là ? Non, non, je vous assure que je ne me suis jamais entretenu avec lui dans ce sens. Et puis il y a longtemps qu’on s’est entretenus. La dernière fois que je me suis entretenu avec lui, c’était le 6 avril 2016, quand les ex-combattants prétendus Ninjas sont sortis pour attaquer les quartiers sud de Brazzaville. Et le 6 avril, j’ai reçu un coup de fil du chef de l’Etat me disant : « Est-ce que c’est toi qui étais derrière ça ? Est-ce que c’est la guerre ? » J’ai dit : « Non, président. Ce n’est pas la guerre. Nous ne sommes pas derrière ça ». Donc c’est le seul moment où j’ai eu le président Denis Sassou Nguesso au téléphone. Jamais on ne s’est entretenus.

Et comment expliquez-vous que, bien que votre parti soit arrivé deuxième derrière le parti au pouvoir aux législatives de juillet 2017, ce ne soit pas vous le chef de l’opposition parlementaire ?

Mais c’est simple. Parce que, pendant l’élection présidentielle, j’ai gagné Brazzaville. J’ai gagné les élections de Brazzaville. J’ai gagné les élections dans le Pool. Le Pool et la ceinture immédiate de Brazzaville. Donc, donner le poste de chef de l’opposition à quelqu’un comme moi, c’est lui donner la possibilité de soulever les populations à tout moment. Ça a été le même cas à l’élection présidentielle de mars 2016. Parce que je tiens à vous rappeler qu’à l’élection présidentielle, avec le général Mokoko, nous étions en tête. Nous étions les deux qui partions au deuxième tour. Vous savez ce qui s’est passé. Donc, toujours la stratégie de conservation du pouvoir. Vous savez quelle a toujours été l’emprise de Bernard Kolélas dans Brazzaville. C’est cette même emprise que Parfait Kolélas a dans Brazzaville avec tous ses militants.

C’est-à-dire que vous pensez que le pouvoir ne voulait pas que le fils de Bernard Kolélas reprenne le contrôle de la ville de Brazzaville comme Bernard Kolélas l’avait du temps où il était le maire de la capitale ?

Bien sûr ! C’est bien cela. Dans les faits c’est cela. J’ai eu la légitimité dans Brazzaville. Et les dernières élections législatives l’ont prouvé. Sur neuf arrondissements de Brazzaville, nous avons gagné tous les arrondissements sud. Nous avons gagné quatre arrondissements sur neuf.

Depuis la présidentielle de mars 2016, deux des candidats de l’opposition – Jean-Marie Michel Mokoko et André Okombi Salissa – sont en prison. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Pour moi, ces frères ne devraient pas être en prison. Leur place n’est pas en prison. Je ne sais pas pourquoi ils ont été emprisonnés. Lors du dernier discours sur l’état de la Nation [le 30 décembre] le président, je crois, a demandé à ce que la justice puisse hâter le traitement de leurs dossiers. C’est ici que je demande à ce que ces gens-là soient relaxés. Ce n’est pas la demande de grâce que je demande, puisqu’ils n’ont pas encore été jugés. Plutôt, je demanderais à ce que la Chambre d’accusation prononce un non-lieu.

Autre opposant, Paulin Makaya. Depuis le 1er décembre, il a purgé sa peine. Et pourtant, il est toujours en prison.

Oui, là aussi, je ne comprends pas. C’est la justice congolaise qui est aux ordres. Quand quelqu’un a purgé sa peine, même si on ne l’aime pas, la personne doit être dehors ! Mais pourquoi on le garde encore en prison ? Si aujourd’hui le Congo est dans une situation très, très difficile – une situation économique très difficile –, c’est parce que les fondamentaux de notre démocratie vacillent sur leur base. Si nous voulons être un Etat crédible, il faut d’abord que nous ayons une justice crédible.
Christophe Boisbouvier Diffusion : mercredi 10 janvier 2018

Christophe Boisbouvier