PREMIERE GUERRE MONDIALE. C’est un pan de notre histoire qui s’oublie. Des milliers de soldats issus d’Afrique ont combattu en 14-18. Alphonse était l’un d’eux. Sa fille se confie.
Antoinette, 67 ans, a conservé précieusement le « livret individuel d’homme de troupe » de son père Alphonse Mongo, tirailleur congolais de deuxième classe. Ce soldat de la Force noire a combattu en métropole durant les derniers mois de la guerre en 1918 au sein de la 7e compagnie du Moyen-Congo, ancêtre du Congo-Brazzaville qui était alors une colonie française. « Je suis très fière de mon papa, il a participé à quelque chose de grand », encense cette retraitée de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne).
Antoinette est l’une des descendantes des plus de 600 000 « indigènes » qui ont été mobilisés sous les drapeaux tricolores lors de la Grande Guerre dont on commémore aujourd’hui l’Armistice du 11 Novembre, marquant la victoire des Alliés. Elle est l’ambassadrice d’une précieuse mémoire guère valorisée dans notre pays. Car même si les tirailleurs ont droit à des monuments aux morts sur le territoire national, même si, le mois dernier, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a honoré près de Verdun les soldats des colonies mobilisés en 14-18, ils restent souvent les oubliés des cérémonies d’hommage.
Dans le carnet militaire d’Alphonse, il est stipulé qu’il est né « vers 1895 », a les « yeux noirs », est « célibataire », « engagé volontaire pour la durée de la guerre » et qu’il a été « libéré du service actif » en 1925, l’année de son retour au bercail. Un colonel y salue dans un certificat sa « bonne conduite », écrivant qu’il a « servi avec honneur et fidélité ». On apprend également qu’il a reçu la médaille coloniale du ministre de la Guerre. Cet homme, décédé en 1977, est immortalisé dans une exposition itinérante — « la Caravane de la mémoire » — consacrée aux tirailleurs africains, organisée par l’association Solidarité internationale et présentée actuellement à la mairie du VIIe arrondissement de Paris.
Du passé de soldat de son père, Antoinette, la fille benjamine, ne sait pas grand-chose, si ce n’est qu’il a transité dans des camps dans la région de Bordeaux (Gironde). « Il évoquait très peu cette période, il ne rentrait jamais dans le détail avec moi, peut-être qu’il l’a fait avec mes grands frères. Tout ce qu’il me disait, c’est qu’il n’avait pas peur des armes, que les Allemands étaient grands et que c’est en partie grâce aux tirailleurs que la France a gagné la guerre. A ses yeux, ce pays qu’il a défendu était une grande nation », se remémore-t-elle.
Quand Antoinette a débarqué il y a plusieurs décennies dans l’Hexagone, en provenance de Brazzaville, elle a obtenu facilement des papiers. « Le fait que mon père ait combattu aux côtés de la France a facilité mes démarches », souligne-t-elle. En revanche, la Franco-Congolaise se souvient que la pension militaire que son père recevait de Paris était « très faible, quasiment rien ». La transmission de la mémoire liée à l’engagement de son papa, la sexagénaire y tient beaucoup. « J’en parle à mes enfants et mes petits-enfants. Mais c’est aussi aux hommes politiques de mettre en valeur cette histoire », suggère-t-elle.
70 000 sont morts pour la France
Avant de devenir, entre autres, un soldat des colonies en action dans les tranchées hexagonales de 14-18, un tirailleur est, selon la terminologie militaire, un combattant en première ligne doté d’une certaine liberté de manœuvre.
En Afrique, un premier régiment de ces troupes légères a été créé en 1857 au Sénégal par l’empereur Napoléon III, d’où la naissance des tirailleurs sénégalais . Ce terme générique inclut tous les fantassins qui ont été recrutés en Afrique noire (Sénégal, Côte d’Ivoire, Mali, Niger, Burkina Faso…).
Environ 170 000 d’entre eux ont été mobilisés durant la Première Guerre mondiale. Au total, l’empire colonial français a fourni 607 000 « indigènes » aux Alliés dont 450 000 sont venus combattre en Europe, en particulier lors des batailles de la Marne, de Verdun et de la Somme.
Ils percevaient une solde moindre que celle touchée par leurs compagnons d’armes métropolitains. Ils représentent quelque 7% des 8,4 millions de mobilisés de l’armée française. Avec 270 000 hommes, les Maghrébins (tirailleurs algériens, marocains, tunisiens…) sont les plus nombreux, suivis des Sénégalais, des Indochinois (49 000) et des Malgaches (41 000).
Plus de 70 000 de ces poilus venus d’ailleurs sont morts pour la France dont 36 000 d’Afrique du Nord et 30 000 d’Afrique noire. Ils ont subi un taux de perte important (12% de victimes) mais pas beaucoup plus élevé que celui de l’ensemble des disparus engagés sous le drapeau français. Les statistiques ne permettent pas d’établir que les tirailleurs étaient globalement de la chair à canon. Même si dans certains affrontements, ils ont payé un lourd tribut sur le front, notamment lors de la bataille du Chemin des Dames en Picardie en 1917. Les tirailleurs sénégalais ont à cette occasion perdu la moitié de leurs 15 000 engagés.
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