En 2010, une exposition de têtes Ife au British Museum à Londres a fourni l’opportunité de procéder à un examen scientifique et technique détaillé d’une tête en laiton, plus connue sous le nom de tête d’Olokun, et publiée par Léo Frobenius en 1912 ; une sélection d’autres têtes Ife exposées ont fait également l’objet d’analyses. La tête d’Olokun avait été étudiée et reléguée, soixante ans auparavant, au statut de simple copie obtenue par fonte au sable. Cette nouvelle approche, particulièrement bienvenue, établit sans aucun doute que la tête d’Olokun est une fonte à cire perdue, très similaire aux autres têtes en termes de technique et de composition. Par ailleurs, tout un faisceau d’éléments suggère qu’il s’agit bien de la tête mise au jour à Ife en 1910.
Cet article livre les résultats du ré-examen technique et scientifique de la célèbre tête en laiton d’Olokun, originaire d’Ife (Nigéria), considérée en 1949 par William Fagg et Léon Underwood comme une copie réalisée par moulage de la tête originale découverte en 1910 par Leo Frobenius.
La discussion s’articule autour de trois grandes parties. La première examine les nombreux arguments utilisés par W. Fagg et L. Underwood pour reléguer la tête au statut de simple copie. La seconde décrit la façon dont on pense actuellement que la tête a été coulée. Enfin, la troisième dévoile l’examen scientifique établissant son ancienneté probable, sa production en Afrique de l’Ouest, et sa ressemblance frappante avec d’autres têtes d’Ife.
Parmi les nombreux points retenus par W. Fagg et L. Underwood, trois revêtent une certaine importance. Dans l’ensemble ils dénoncent la nature diffuse de la surface du métal et le manque de détails précis (les points a, b, f et g de Fagg et Underwood), alors attribués à la méthode de fonte au sable. En réalité, l’examen attentif a très vite démontré que l’origine de cette différence d’aspect résidait dans le fait que, contrairement aux autres têtes d’Ife présentes au British Museum de nombreux mois avant l’exposition – pour examen et nettoyage –, la tête d’Olokun n’était arrivée en Grande-Bretagne que la veille de son ouverture et n’avait, par conséquent, reçu qu’un traitement très superficiel. Sous la couche de cire appliquée à la hâte, la corrosion, la terre et même des restes du matériau de moulage d’origine ont subsisté, remplissant les interstices et brouillant les détails de la fonte (fig. 8).
Une objection plus sérieuse (g) résidait dans le fait, qu’en certains endroits de la tête, des accrétions de matière de surface paraissaient être en métal, comme si on avait là la traduction dans le métal du moulage de résidus, de poussières et de traces de corrosion, ce qui aurait pu effectivement être un argument en faveur d’une copie moulée sur l’original. Cependant, l’examen approfondi des zones concernées a montré que la plupart de ces « moulages de poussière » sont en fait constitués de vraies poussières et de résidus de fonte (fig. 9). À la base du cimier, on distingue quelques gerces de métal et le décor du cimier lui-même est ­recouvert de métal (fig. 10), mais cela pourrait s’expliquer par le simple fait que l’argile utilisée pour le moulage n’était pas assez fine pour pénétrer profondément dans cet interstice, ou encore que la surface du moule avait été endommagée pendant la cuisson et la coulée.

Leur point h nécessite également une explication. Ainsi W. Fagg et L. Underwood décrivent deux zones sur le front qu’ils attribuent à une ­tentative d’introduction de broches en fer dans un possible moule en plâtre. Cette interprétation est entièrement erronée. Pour que cela soit interprété comme la preuve que cette tête était une copie d’un original, le métal aurait dû être coulé par les canaux intérieurs dans l’original et ce que l’on voit dans le métal de la présente tête correspondrait alors au moulage des canaux de coulée de la tête originale. Toutefois ces canaux de coulée coupés contenaient encore les extrémités de broches de renforcement et par conséquent il s’agit bien, non de moulages de canaux, mais de vrais canaux qui pour une raison quelconque n’ont pas été utilisés. En outre l’examen indique que c’est la cire que l’on a coupée à cet endroit, et non le métal. L’explication la plus probable est que le moule a été assemblé, prêt à être chauffé, mais qu’il a subi un accident qui l’a endommagé avant le début de la coulée. Les canaux de cire originaux ont alors probablement dû être coupés et remplacés par deux autres à l’intérieur de la tête (fig. 2).
Dans l’ensemble il est à noter que, dans leur discussion, W. Fagg et L. Underwood ne mentionnent aucune des principales caractéristiques qui permettent de distinguer les fontes au sable ou les fontes postérieures, telle une réduction de taille de la copie qui aurait pu être constatée. De même, la présence de traits tout aussi distinctifs de la fonte à cire perdue qui peuvent être observés sur la tête ne sont pas évoqués.

L’examen scientifique a établi que le métal est sérieusement corrodé, avec une corrosion intergranulaire très importante, témoignant fortement d’un enfouissement prolongé (fig. 16 et 18). Les produits de corrosion sont les minéraux auxquels on peut s’attendre sur une véritable antiquité.
Il y a aussi une contamination très superficielle de pigments synthétiques. Ces derniers sont identiques à ceux trouvés sur les moulages en plâtre des têtes réalisés au British Museum, lors de la présence de la tête d’Olokun en 1948.
La composition élémentaire et isotopique du métal de la tête d’Olokun est similaire à celle des autres têtes d’Ife, ce qui suggère fortement qu’elle a été fabriquée à partir du même stock de métal.
L’examen du noyau de la tête indique une composition similaire à celle de l’une des autres têtes échantillonnée pour comparaison (Willett & Sayre 2006). Plus significatif encore, une partie de la matière végétale utilisée comme remplissage du noyau de la tête d’Olokun provenait de plantes qui poussent uniquement en Afrique de l’Ouest, signe évident que la tête a été coulée dans cette région.
Ainsi, dans l’ensemble, le réexamen jette un doute considérable sur le rapport de 1949. Il établit que la tête est certainement une fonte creuse à la cire perdue, probablement réalisée en fonte directe – bien qu’une fonte indirecte ne puisse pas être totalement exclue –, très similaire à celle mise en œuvre pour réaliser les autres têtes. L’ensemble de ces arguments suggère qu’il s’agit bien de la tête exhumée par L. Frobenius en 1910.

ECOUTEZ:https://www.franceculture.fr/emissions/la-visite-au-louvre/sculpture-d-une-tete-de-la-civilisation-d-ife

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